Daniel Zenner revient sur les origines et l’histoire de la pomme de terre, du “Ban-de-la-Roche dans la Vallée de la Bruche (67)”. Surnommée le “fruit du diable” avant de faire la fortune des producteurs.
La moyenne montagne, le climat rude, la rareté des terres cultivables, les sols à dominante acide et granitique du Ban-de-la-Roche convenaient fort bien à la culture du fameux tubercule. De plus, dans cette région, la culture des céréales est toujours aléatoire , alors que celle de la patate réussit presque toujours. Le Ban-de-la-Roche doit son nom à un château édifié au 12ème siècle nommé autrefois “de Rupe” (de la Roche). Quelques vestiges subsistent encore aujourd’hui, accrochés à un piton rocheux, non loin de Bellefosse.
Entre guerres et famines, les habitants de cette partie de la Haute Vallée de la Bruche trouvèrent dans la pomme de terre, une source de nourriture essentielle à leur survie. Sa culture passa rapidement de la vallée de Schirmeck aux domaines des abbayes de Senones et de Moyenmoutier. Pourtant, les qualités gustatives et la mauvaise réputation de la patate mirent du temps à être effacées. On la nommait “fruit du diable” car elle poussait dans la terre, plus proche de l’habitat de Lucifer dans l’obscurité, le feu et le soufre, que dans le ciel, plus près de Dieu! Fruit vil et grossier, la pomme de terre fut donc reléguée au plus profond des montagnes des Vosges.
Encouragée par le Pasteur Oberlin, tenant paroisse à Waldersbach, sa culture fut développée et améliorée. Une variété, la “Steintäler “, pomme de terre rouge, gagna une solide réputation. Dans ses Annales, Oberlin mentionne que l’hiver très froid de 1709 fut à l’origine de l’exportation de pomme de terre du Ban-de-la-Roche vers la ville de Barr. Non contente de rassasier les habitants, elle devint aussi une source de revenu.
C’est donc bien avant qu’elle ne soit appréciée et servie sur la table de Louis XVI, que les habitants du Ban-de-la-Roche s’en délectaient. Et ce ne furent pas les seuls. Car un certain Jean-Henri Fels, professeur de droit à l’Université de Strasbourg et beau frère du pasteur Walter officiant au Ban-de-la-Roche à la fin du 17ème siècle, devint un ardent défenseur.
Charles Gérard en parle en ces termes succulents : ” A chaque voyage qu’il faisait au Ban-de-la-Roche, il rapportait de nombreux et succulents exemplaires qu’il faisait servir sur sa table et à ses amis. Son zèle le porta même à faire des présents à quelques maisons de grande considération. Bientôt la pomme de terre parut sur les tables aristocratiques du Maréchal Dubourg et de l’intendant d’Angervilliers. Sa fortune était décidée. L’engouement et l’esprit d’imitation, ou, pour parler plus justement, la raison et la justice se mirent de la partie.
De 1724 à 1730, on la cultiva en grand dans les environs de la ville, et à la faveur du triomphe qu’elle avait obtenu à Strasbourg, elle se répandit promptement dans les autres parties de la province”.
Voilà qui est dit! C’est donc grâce à la belle et délicieuse Steintäler cultivée au Ban-de-la-Roche, que l’Alsace apprivoisa la pomme de terre et donna à cette modeste solanacée ses lettres de noblesse.
L’auteur de cette carte en parle en ces termes: “… Comme légumes, nous avons les pommes de terre du Steinthal (Ban-de-la-roche) , qui sont aussi délicates et farineuses que des marrons de Turin…”
Aujourd’hui, sa culture n’est plus guère connue dans la vallée de la Bruche. Mais l’histoire de la Steintäler ne s’arrête pas là, car vous pourrez toujours goûter ” Chez Julien ” à Fouday, les fameuses Totsches de Mémère Odile cuisinées par Gérard Goetz!
Par Daniel Zenner, chroniqueur gastronomique et auteur de plusieurs livres sur la cuisine des plantes sauvages.