Dans l’Ouverture de cuisine, publiée par Lancelot de Casteau en 1604, j’ai longtemps hésité à propos du mot « caracolle », que l’on trouvait notamment dans cet extrait :
Pour faire pastés de caracolle. Prennés les caracoles qui soient bien cuites & nettoyees comme il appartient, & les couppés grossement auec vn couteau, & mettés muscade, poiure, beurre, ayant esté demie heure dans le four prennés quatre iaulnes d’oeuf debattus auec vn peu de vin d’Espaigne, tirés le paste hors du four, & iettés la saulse dans le pasté, & le laissés encor vne pater noster dedans le four, & non plus.
Des caracolles ? Rien dans les ouvrages de la même époque : François Massialot, Pierre de Lune, Nicolas de Bonnefons… Je désespérais un peu, car le Trésor de la langue française informatisé (le seul vrai bon dictionnaire, malgré ses insuffisances culinaires, n’avait pas cette entrée… que j’ai fini par dénicher dans les Difficultés du Français, de Hanse, où il est dit que ce mot désigne des escargots : le mot subsiste en flamand et en wallon, alors que le mot « escargot » vient d’Espagne.
Chez ce dernier, ce sont « limaçons », dont il dit :
« Je m’étonne de ce que la bizarrerie de l’homme a été chercher jusqu’à ce ragoût dépravé pour satisfaire à l’extravagance de la gourmandise car, à quelque cuisson & sauce qu’on le puisse accommoder, il m’est impossible de leur donner mon approbation. Néanmoins, pour ne rien omettre, je dirai que le vrai temps de le manger est pendant & à la sortie de l’hiver, auparavant qu’il se soit décadenassé d’une peau qui le couvre, laquelle il rompt pour ramper ou cheminer. Quand on voudra les apprêter, il faudra crever cette peau & les mettre tremper dans le sel & le vinaigre pour leur faire jeter toute leur bave, les retournant & agitant afin que l’acidité les purge entièrement de cette colle. Après on les fera cuire dans un bon court-bouillon & on les tirera de leur coquille avec la pointe d’une lardoire ou autre poinçon & on lavera bien la coquille. On fera cuire les limaçons dans une sauce à l’huile d’olives avec un peu de vinaigre, vin & épiceries, puis on les remettra dans leur coque. On les dressera sur le pain mitonné avec bouillon du grand pot & on versera par dessus de l’huile ; cela s’appelle potage d’escargots. On les servira aussi sans pain avec l’huile seule dessus. On les mettra aussi en étuvée ou fricassée comme pour les poulets, les servant sans coquille avec la sauce d’œufs au verjus ou la crème. Étant tirés hors de leurs coquilles, on les farinera ou trempera dans la pâte de beignets pour les faire frire & dresser à l’ordinaire des autres fritures avec le jus d’orange & le persil frit. »
Moi, je m’étonne qu’il s’étonne, car on n’oubliera pas que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine, dans l’histoire de l’humanité. Certes, le roi Louis XIV n’avait pas faim, lui, mais le peuple oui ! Ce qui permet de rappeler que les livres de cuisine de jadis étaient pour des gens fortunés. Le livre de cuisine pour tous est un progrès social considérable, que nous devons savourer.
Par Hervé This