Voici une de mes inventions très anciennes : sauf erreur, j’introduis cela en 1993 ou 1995, et on la trouve dans mon livre « Révélations gastronomiques ». Le mieux, pour l’expliquer, est de raconter comment elle a été faite.
J’étais en train de faire de l’aïoli, et je regardais diverses recettes : toutes comportaient ail et huile (d’olive), mais certaines ajoutaient du jaune d’œuf, du pain trempé dans du lait, des pommes de terre… Et, en réalité, l’aïoli n’est pas de la mayonnaise à l’ail, de sorte que le jaune d’œuf et à proscrire. Quant à la pomme de terre, elle n’était pas présente en Europe, et notamment en Provence, avant la découverte de l’Amérique, de sorte qu’elle n’a rien à faire dans cette préparation. Le pain trempé dans du lait, pourquoi pas, mais pourquoi ?
A l’époque, donc, j’avais déjà conclu -et je conserve cette idée aujourd’hui- que l’aïoli se fait seulement avec ail et huile d’olive. On obtient une émulsion… parce que le travail du pilon, dans le mortier, disperse l’huile en petites gouttelettes (trop petites pour être visibles à l’oeil nu) dans une « phase aqueuse », avec des « tensioactifs » pour couvrir les gouttelettes. Répétons : c’est une émulsion, avec du gras dans un liquide aqueux, et pas une mousse, avec des bulles d’air dans un liquide.
Mais je savais que l’ail est une plante du genre Allium, tout comme l’échalote, ou l’oignon, par exemple. Pourrait-on faire une émulsion, en reprenant le même procédé, à partir d’échalote ou d’oignon ? Après tout, ces ingrédients, comme les têtes d’ail, comportent environ 80 pour cent d’eau, cette eau nécessaire pour y disperser des gouttes d’huile. Et oui, l’expérience conduisit à des émulsions… pour lesquelles il fallait un nom : j’ai introduit « oignolli » et « échalottoli ».
On sait donc d’où vient l’eau, d’où vient l’huile, mais d’où viennent les composés tensioactifs ?
Tous les tissus végétaux ou animaux (les légumes, fruits, viandes, poissons) sont faits de petits sacs accolés, les « cellules vivantes », et la « peau de ces sacs est faite majoritairement de composés nommés « phospholipides » (pensez aux lécithines, par exemple) ; et tout, en outre, contiennent des protéines. Or ces deux catégories de molécules naturellement présentes sont tensioactives. Pas étonnant donc (a posteriori, puisque, auparavant, personne n’y avait pensé en ces termes, à ma connaissance) que l’on puisse faire une émulsion avec ail, oignon, échalote… mais aussi avec plein d’autres ingrédients culinaires : n’importe quel légume, fruit, viande, poisson, fruit de mer… D’ailleurs, l’empirisme culinaire avait déjà conduit au « caviar d’aubergine », n’est-ce pas ? Un peu par hasard, en quelque sorte.
Non, maintenant, nous savons que l’on peut faire une émulsion de n’importe quel viande, poisson, fruit, légume, et y émulsionner de l’huile, soit au mortier et au pilon (très efficace), soit au mixer (plus moderne, moins fatigant). Ici, j’insiste un peu pour signaler qu’il faut broyer très énergiquement, car il faut libérer l’eau des cellules, afin d’avoir un minimum de cinq pour cent de liquide, pour y disperser l’huile. L’émulsion peut être « dure » au point que le pilon tient debout dans la sauce. Et bien sûr, les ingrédients de base (viande, poissons, fruits de mer, légumes, fruits…) peuvent être cuits, pour diversifier les goûts. Par exemple, l’ail peut être blanchi, pour moins d’agressivité.
Mais, finalement, tout est possible, et le nom que j’ai donné à toutes ces préparations est « ollis » : on peut faire des truitollis, des huitrollis, des pouletollis, des tomatollis…
par Hervé This