A l’Albuféra ? A l’Albufera ? A l’Albufeira ?

Dans les plats mythiques, qui font saliver les Gourmands, il y a la poularde en demi-deuil, l’oreiller de la belle Aurore, le lièvre à la royale façon du sénateur Couteaux… et les faisans à l’Albuféra. Je viens de mettre un accent aigu à Albuféra, mais est-il légitime ? Cherchons dans les livres de cuisine du passé.

On trouve tout d’abord chez Edouard Nignon, un cuisinier trop méconnu qui, à la même époque qu’Auguste Escoffier, fut sans doute plus artiste que lui, sans avoir autant le même goût du pouvoir. Il donne la recette d’un potage nommé « crème Albuféra », avec un accent aigu : c’est un potage « à la reine » (un consommé, avec du blanc de volaille broyé), auquel on ajoute de la crème fraîche et une liaison de jaunes d’œufs, de la « fine confiture de tomate fraîche », du beurre d’amandes et des perles du Japon.

Un peu avant, le Guide culinaire met également l’accent aigu sur Albuféré, mais, cette fois, il s’agit d’une sauce : une sauce suprême additionnée de glace de viande blonde, de beurre de piment. Elle aurait accompagné la poularde à l’Albuféra qu’Adolphe Dugléré aurait créé en l’honneur du maréchal Louis-Gabriel Suchet, duc d’Albuféra.

Mais, alors, ce serait plutôt « Albufera » qu’il faudrait écrire, sans cet accent qui n’est pas présent dans le mot espagnol ! D’ailleurs, il semble que l’on doive plutôt parler de faisan Albufera, ou de poularde Albufera.

Et ce serait Dugléré qui aurait créé le plat ? Erreur ! Dugléré était un élève de Carême… qui donne déjà un « aloyau braisé à l’Albuféra (avec un accent aigu) :

«  Après avoir préparé , braisé , glacé et dressé votre aloyau de la manière accoutumée (voir celui énoncé à la Montebello), vous versez autour un ragoût composé ainsi mettez une partie de la glace de la cuisson de la grosse pièce et un peu de beurre frais dans la sauce indiquée à la tortue (voir chapitre VI , quatrième partie) ; mêlez- y une escalope de riz de veau sautés, une escalope de langue à l’écarlate, et des champignons , une assiettée de chaque ; donnez une seule ébullition à ce ragoût, et le servez ; posez autour une garniture d’escalopes de filets de lapereaux à la Horly ; placez sur la grosse pièce dix hatelets composés chacun de cette manière : placez d’abord une belle crête double, une escalope de lapereaux à la Horly, une crête une grosse truffe glacée , une crête, et une truffe noire glacée. Servez du ragoût dans deux saucières ».

Et c’est ainsi qu’une préparation à l’Albuféra s’écrit avec accent, d’une part, et, d’autre part, doit comporter beurre, glace de viande, ris de veau, langue à l’écarlate, champignons, crête de coq, truffe.

Un plat qui mérite que l’on s’enthousiasme, n’est-ce pas ?

Hervé This