Une sauce à la Genevoise ? Les dictionnaires généralistes modernes, ceux qui sont bien ignorants de l’histoire de la cuisine, prétendent que c’est une sauce à base de vin rouge pour poisson d’eau douce. Ils se trompent, mais ils ont des excuses : ils se fondent sur des textes qui n’ont pas effectué le travail de recherche dans l’histoire de la cuisine.
En 1868, Urbain Dubois propose sous ce nom de « sauce genevoise » une sauce pour poisson (pas nécessairement d’eau douce) faite de vin rouge de Bordeaux, truffes, champignons, jambon cru, coupé en dés, un bouquet garni d’aromates, quelques grains de poivre ; on couvrirait le poêlon et on ferait réduire le liquide de moitié avant d’ajouter de la sauce espagnole, du fonds de cuisson de poisson, puis du madère et du beurre d’écrevisses, une cuillerée à café d’essence d’anchois, une pointe de cayenne. Cela étant, cette recette est bien étonnante : comment faire réduire de moitié un liquide dans un poêlon couvert ? Et puis, du Bordeaux pour Genève ? Décidément, il faut trouver mieux !
Un peu avant lui, en 1822, André Viard indique, dans son Cuisinier royal : « Vous prenez une bouteille de vin de Bordeaux, ou de gros vin, chargé en couleur que vous mettez dans une casserole avec un peu d’oignon, du persil, échalotes, ail, laurier, thym et des épluchures de champignon ; faites réduire le tout au quart, mettez une cuillerée à pot d’espagnole, et mouillez avec du fond du poisson que vous aurez disposé pour votre service ; faites travailler votre sauce comme celle de la matelote réduite, passez là à l’étamine ; vous finirez votre sauce avec un beurre de deux anchois, un bon quarteron de beurre ». Là, encore, du vin de Bordeaux qui n’a pas sa place, mais on imagine que l’on ait initialement utilisé du vin suisse. Et, en tout cas, il y a du poisson (toujours pas spécifiquement d’eau douce) qui a cuit dans ce liquide, qui est additionné d’herbes et lié au beurre
Remontons encore, et nous trouvons, en 1740, dans Le Cuisinier gascon, des « Maquereaux à la Genevoise », qui se font ainsi :
« Dans une casserole, avec toutes sortes de fines herbes, persil, ciboule, oignon, sel, poivre, girofle, mouillé avec de l’eau et cuit doucement, servis avec rémoulade froide, au citron et à l’eau ». Cette fois, le vin bizarre a disparu, le poisson n’est absolument pas d’eau douce, et la terminologie « à la Genevoise » découle plutôt de la cuisson dans un liquide avec des herbes, des épices.
Pourrions-nous confirmer cette impression ? Le même auteur discute un « Brochet à la genevoise », dont la recette est la suivante : « Ficelez le saumon, et mettez-le dans une poissonnière avec sel, poivre, oignon piqué de quatre clous, quatre feuilles de laurier, deux croûtes de pain, quatre bouteilles de vin, trois de blanc, une de rouge pour qu’il nage, puis une demi-livre de beurre, cuit doucement ; puis macis, girofle, cannelle ».
Et nous avons donc une confirmation : il faut un liquide, qui peut être de l’eau ou du vin, blanc ou rouge, mais, surtout, des herbes et des épices, puis une liaison (ici, pain et beurre). C’est cela, le poisson à la Genevoise, et, de ce fait, la sauce qui en dérive.
Par Herve This