Quand on ignore quels sont les ingrédients ! On sait que, surtout pour de la cuisine classique, les auteurs de recettes se recopient sans vergogne : passant beaucoup de temps dans les livres de cuisine du passé lointain ou proche, comme des livres modernes, je vois des paragraphes entiers qui sont repris de livre en livre, les auteurs n’ayant même pas changé un seul mot !
Et cela conduit à un état bizarre, où l’on retrouve parfois des orthographes périmées (par exemple, le mot « échalote » écrit avec deux t, comme jadis) ou encore des noms d’ingrédients devenus plus ou moins incompréhensibles.
Par exemple, j’ai trouvé le mot « able », qui, selon les meilleurs des dictionnaires, serait soit une ablette, soit un petit poisson de rivière sans précision, soit même un saumon ! Bien sûr, on peut cuisiner de façon analogue de l’ablette et du saumon, mais, avec si peu de précision, comment imaginer le goût de la recette proposée ?
Carreau ? Là, le dictionnaire nous parle d’un filet tendu sur deux bouts de bois en croix et suspendu à une perche… mais n’essayez pas de cuisiner cela… car, dans les livres de cuisine, le mot désigne plutôt les gros brochets. Tout comme on désignait par « lanceron » les jeunes brochets. Parfois, dans certaines régions du bord de mer, on utilise le mot à la place de « lançons », qui désigne des poissons longs et minces qui vivent enfouis dans le sable… mais on a également utilisé le mot « lançons » pour désigner des « brochetons », des petits brochets. Bref, beaucoup de confusions.
Pour lamproyon, même changement de forme : le mot désigne des lamprillons, des larves de lamproyes, parfois utilisées comme appât. Mais, dans les livres de cuisine, ce sont plutôt de petites lamproies.
Les poissons ne sont pas seuls à être dénommés de façon ambiguë ; les volailles le sont aussi, et d’autant plus que nous vivons moins à la ferme que jadis, que nous connaissons moins bien les mots qui les désignent. Bien sûr, nous savons généralement la différence entre une volaille de Bresse, un coucou de Rennes, une poule de Barbezieux, de Chine, de Livourne, de Dorking, mais connaissez-vous la poule-soie ? La poule de Houdan ? La Faverolles ? La Crèvecoeur ? Là, on comprend que chaque race ait son nom, mais une « géline » (ou geline) ? C’est encore une petite poule engraissée dans une basse cour -on dirait aujourd’hui une poularde-, alors qu’une gelinotte (pas d’accent aigu) est plus proche de la perdrix. Quant à la « campine », ce n’est pas seulement une plaine siliceuse, sableuse ou caillouteuse, mais, en cuisine, c’est une petite poularde élevée sur ces terres. Initialement, c’est le nom d’une région de Belgique d’où cette race de poules est originaire.
Et pour terminer avec ces mots d’oiseaux, laissez-moi proposer à votre sagacité celui de « nantilles », que l’on trouve dans le Cuisinier royal et bourgeois, de François Massialot : le texte nous permet de comprendre que c’est un oiseau… mais la consultation des dictionnaires ne m’a pas permis de comprendre duquel il s’agit. A vos recherches !
Par Hervé This