Mon Paris gourmand (3/3)

Ou retour sur le salon de l’agriculture Quand je suis en mission à Paris, je sélectionne mon hôtel en fonction de la position spatiale de mes restaurants préférés. Mais cela, je vous l’ai déjà dit. Je vous ai entretenu, dans mes deux dernières chroniques, de mes aventures gastronomiques dans la capitale. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin : mes stammtischs Japonais !

Au salon de l’agriculture, j’arrête de manger vers 16 heures, car je veux être en condition optimale pour apprécier la saine nourriture du pays du soleil levant. Je refuse donc les langoustines de Dédé (juste une douzaine quand même pour le fun, mais sans mayo), les huitres de Marcel (juste une bonne quinzaine pour l’iode, mais sans beurre), le steak de taureau de Camargue (merci Jean-Luc, mais je le garde pour le lendemain) et le foie gras de Francis (Promis, pour l’accompagner, on s’ouvre demain une bonne bouteille de Gewurzt de Binner…)

Bref, je soigne mon état de mangeur, c’est-à-dire que j’essaie d’arriver à table avec un appétit modéré, afin d’éviter de me goinfrer et de trouver tout excellent, et avant la satiété, car je n’aurais plus d’appétit et ne prendrais plus plaisir. J’écoute donc les préceptes de mon maître Brillat Savarin qui écrit en ces termes : “Qui s’enivre ou s’indigeste, ne sais ni boire ni manger”.

Me voilà donc fin prêt pour aller m’adonner à un de mes sports favoris : bien manger !
Depuis vingt ans, mes obligations professionnelles m’obligent à aller plusieurs fois par an à Paris. Je croyais bien connaître les quartiers Nippons, mais grâce à Asako, une amie Japonaise, je découvre chaque fois de nouvelles adresses. Elle m’emmène dans de véritables restaurants de son pays, nous nous promenons dans des épiceries dans lesquelles je ne connais pas la moitié des produits. Passionnée de cuisine, elle vient quelquefois en ma demeure pour m’initier à l’art des sushis et autres succulences. Auteur d’une thèse sur le rapport entre le terroir, l’économie locale, les agriculteurs et les cuisiniers (je simplifie), elle attaque un doctorat. Bref, elle m’apprend beaucoup.

Pour réaliser sushis ou sashimis, il faut un poisson extra frais. En Alsace, il existe quelques poissonniers dignes de ce nom, la plupart réservés aux professionnels…Il nous reste toujours les piscicultures. Dernièrement, je suis allé avec Asako chercher de l’omble-chevalier et une superbe truite saumonée. Il n’y a pas plus frais, l’élevage est à 15 minutes de chez moi. Je pare donc la truite en vue de lever les deux filets. Pour cela, je coupe une partie du ventre, blanc et gras et la jette. Asako m’arrête ! Quelle grossière erreur ! C’est la partie la plus noble du poisson ! Du moelleux, du gras, de la saveur, de la douceur, du fondant : essayez avec quelques gouttes de sauce de soja de cinq ans d’âge ! Un pur bonheur ! Mais j’aurai du m’en douter car à l’île de Ré, on fabrique un saucisson de thon fumé avec cette partie, appelée aussi ventrèche. Merci Asako, je ne donnerai plus jamais au chat cette impériale partie du poisson au goût de noisette.
Prudence ! Manger du poisson cru implique d’avoir un animal extra frais !
C’est une condition primordiale, essentielle, car il y va de la santé du mangeur. Préférez certains filets de thons congelés, surgelés dès la capture sur des navires usines, à d’autres, chairs suspectes, mates et suintantes trainant sur glace sur des étalages de poissonneries bon marché. Méfiez vous aussi des promotions, qui servent souvent à éviter au marchand peu scrupuleux, des pertes de marchandises. Préférez à un poisson de mer à l’œil glauque, une dorade d’élevage à l’œil saillant et vif, aux branchies bien rouges et à la peau tendue. Sinon, ne mangez pas de poissons crus !

Ne fréquentez jamais les fast food des sushis, si nombreux à Paris et arrivant en force en province. Ils se reconnaissent de l’extérieur par des affiches de plats ou de menu en couleurs, et de l’intérieur par l’ambiance néon-formica. Ces enseignes présentent des produits standard, décongelés, mous, qui ne respectent pas toujours la chaîne du froid et qui sont à des années-lumière des sublimes saveurs des véritables sashimis et sushis.

Ils ont cependant l’avantage de contenir légumes, omégas trois et vitamines…
Un sushi ne tolère pas d’être passé au réfrigérateur car le poisson comme le riz et ses condiments doivent être à température ambiante ! Qu’on se le dise ! Il faut qu’un homme expert en la matière façonne l’œuvre devant vous, qu’il fasse naître de ses doigts habiles le délicat sashimi. Il n’y a rien de pire qu’un sushi décongelé mais les industriels de ce nouveau venu dans la catégorie fast food ont bien lu les statistiques : le français, après le japonais, est le premier mangeur de sushi au monde ! Ces spécialités doivent se créer à la minute, impérativement !

Fuyez aussi les enseignes qui indiquent “Spécialités Japonaises, Coréennes, Thaïlandaises, Chinoises”. Ces établissements sont habituellement tenus par des Chinois, pourvus par ailleurs d’une fabuleuse capacité d’adaptation dans tous les domaines. C’est comme si j’ouvre demain un restaurant à Pékin avec l’enseigne “Spécialités Européennes” et induit dans l’esprit naïf du client asiatique que je maitrise autant la cuisine de France, d’Italie, d’Espagne, de Grèce, de Hongrie, de Pologne, du Danemark et d’Allemagne réunis ! La Chine est un pays immense composé d’une multitude de régions, elle-même morcelée en une myriade de cultures. Manger Chinois, comme manger Français ne veut pas dire grand-chose. Il faut manger Alsacien ou Sétchouanais, Breton ou Pékinois, Niçois ou Cantonnais. Prétendre proposer sous une même enseigne une telle diversité de typicité de cuisine est pur mensonge. Fuyez donc !

Et les Japonais dans tout ça ? Petit pays en somme, coincé entre mers et montagnes. La cuisine, à part quelques disparités notables, est unifiée et codifiée du nord au sud de l’île. La tradition est plusieurs fois millénaire. Pendant que le bon gaulois chassait le sanglier dans les forêts épaisses de Lutèce et mangeaient sans fourchette, Empereurs et Samouraïs se délectaient déjà de subtilités gourmandes dégustées avec des baguettes.
Un Alsacien sur trois mourra d’un accident cardio-vasculaire. Nous tenons le record de France. La faute à quoi ? Pas assez d’activité physique et une overdose de graisses animales. Au Japon, le saindoux et le beurre n’existent quasiment pas. Les gens (avant Fukushima…) vivaient centenaires car tous les jours ils mangent le poisson cru, des algues, le riz pas salé, des légumes et des fruits. Nourritures industrielles exit.

Mes bonnes adresses à Paris

*TORITCHO, 47 rue du Montparnasse
Prenez place devant la vitrine réfrigérée dans laquelle vous pourrez voir les poissons que vous allez déguster. Les chefs détaillent à la commande les filets devant vous, confectionnent sushis et sashimis dans les règles de l’art. Excellents yakitoris, dont celui de peau de poulet caramélisée. Essayez le thon-natto. Les tsukemonos (légumes salés) sont divins. 40 € à la carte, 60 € pour un festin, sakés compris !

*KOETSU, 42 rue Sainte-Anne

De la classe. Laissez vous allez en apéro avec les hijikis (algues noires fines), les concombres marinés ou la sèche crue au soja fermentée. Les brochettes (yakitori sont de belle tenue) Si vous êtes en couple, tentez le Sukiyaki et le Shabu-shabu, sorte de marmite dont vous ajoutez progressivement les ingrédients. 50 à 60 €

* HOKKAIDO, 14 rue Chabanais

Trois marches à monter pour voir une armée de marmitons chinois manier le wok et les paniers vapeurs. Oui, des Chinois, encore eux ! Car, m’explique Asako, il existe au Japon, une communauté de Chinois qui proposent quotidiennement aux Japonais une excellente cuisine Nippone. Je déguste les meilleurs gyozas, sortes de raviolis au porc cuit vapeur puis frits d’un seul coté. Les nabe yakiudon (divers bouillons de nouilles fraiches, calamars, bœuf, etc.) sont de bonne facture. Le butaniku no shogayaki n’est autre qu’un filet de porc dans un jus de gingembre. Impossible avec la bière Asahi de dépasser 20 €.

* HARU, 18 rue Blomet

Restaurant Coréen-Japonais. Je ne sais si le cuisinier japonais a épousé une coréenne ou si c’est l’inverse, mais j’adore. Les bachangs, légumes saumurées accompagnent les plats. Le riz est sublime, comme l’anguille rôtie, servie avec une sauce aigre-douce. Laissez-vous tenter par une superbe sélection de vins de fruits. La cuisine est extra-fraîche, sautée minute. Juste une anecdote : je sortais heureux un soir de ce restaurant, il était assez tard. Les tenanciers avaient, comme la plupart des habitants de la rue Blomet, sortis leur poubelles. Devant le restaurant étaient empilés des boites en polystyrène blanc ayant contenu du poisson. Curieux, je m’approche et lis l’étiquette sanitaire. Les poissons étaient du jour, en provenance de Rungis ! Incroyable ! Les bons restaurants asiatiques disposent d’un réseau ultra frais à Paris !

*Rue Sainte-Anne : La Mecque des bons plans Japonais.

Dans cette rue et ses annexes, vous pourrez sans façons vous adonner à la cuisine populaire Nipponne, comme ces nombreuses gargotes, qui proposent des plats à base de nouilles de blé (Uddon ou shirataki), de Dashis (bouillons divers) que vous pouvez voir dans d’immenses gamelles, dans les vitrines. De 6 à 20 € maximum.

Et je garde d’autres adresses pour la prochaine fois…

Dans ma chronique de la semaine dernière, je vous avais promis un coup de gueule concernant un repas dans une gargote tenue par des Alsaciens “La Petite Auberge, 13 rue du Hameau (15ème) 40 € quand même” car je me suis prêté au jeu d’assister au dîner annuel des exposants alsaciens du salon de l’agriculture. Et devinez où va manger un Alsacien à Paris ? Chez des compatriotes car le “heim” se fait sentir dès les premiers jours dans la capitale et l’Alsacien, paysan qui-ne-mange-que-ce-qu’il-connaît, veut être rassuré. Bref, nous aurions mieux fait de nous empiffrer d’un couscous, deux numéro de rue avant, danse du ventre comprise, car ce fût une honte : une carte qui ne change jamais comme l’on en trouve dix mille à Paris. J’ai pris le faux-filet flambé au poivre, commandé saignant. Qu’on pende à l’instant, haut et court, l’homme qui se prétend cuisinier. Le filet était bien faux et bien cuit, baignant dans une sauce acide tenue par des principes amylacées et autres saloperies normalisées. Le goût flambé provenait probablement du flambeur en cuisine. Le vin (un Saumur-Champigny à 25 €) était imbuvable. Pour détendre l’ambiance nous l’avons mélangé avec de l’eau pétillante.
Comme garniture ? Des frites. Point de légumes, même pas une tomate pas mûre du Maroc ou des haricots boites ! Des frites brunes et molles qui sentaient et suintaient la graisse rance. Le restaurant, comme le serveur peu aimable et familier, et la patronne suspicieuse, sentait l’huile de frite jaune et mousseuse. Des frites infâmes dans le berceau de naissance de la pomme Pont-Neuf. J’exècre. Je vous épargne la carte des desserts avec la crème caramel, la salade de fruits en boite et les trucs décongelés qui traînent dans la vitrine. J’ai eu envie de vomir. J’ai failli vomir d’ailleurs, car une heure après m’être enfui de ce lieu sordide, je rotais l’huile de frite. La nausée m’a pris quand je suis sorti de la bouche de métro Montparnasse, nez à nez avec un marchand de Churros…Honte à toi, bistrotier de malheur, que les Schmitts et les Meyers t’enveloppent dans un boyau de meetwurst jusqu’à la cinquième génération !

Voilà mon coup de gueule. Mais à Paris, un client déçu est vite remplacé par un autre.
Les chalands et affamés sont là, pourquoi diable faire un effort ?


Allez, pour les inconditionnels de la cuisine française à Paris, je vous donne deux tuyaux :
Le beurre noisette” 68, rue Vasco de Gama. Un superbe carpaccio de pied de porc et une belle sélection de vins.
Le Pareloup” 80, rue Saint Charles. Du bon et du solide avec l’aligot et la côte de bœuf race Aubrac. Aymeric Carmarans, c’est son nom, est un pur souche du pays.

Gastronomiquement vôtre !

Daniel Zenner