L’histoire de la Dinde de Noël…

Il ne fait pas bon être un agneau à Pâques, un bœuf en été pendant les barbecues, une oie à la Saint Martin, un cochon en automne et une dinde à Noël. Car nous avons l’habitude de convier ces animaux sur nos tables pour célébrer telle ou telle fête. Mais pourquoi diable, dévorons-nous de la dinde à Noël ? Il est certain que la famille du p’tit Jésus, il y a 2011 années, n’en a pas mangée. Pour honorer la divine naissance, amis, bergers et proches ont dû sacrifier chèvres et moutons, et peut-être un peu plus tard les dromadaires épuisés des Rois Mages !

Une chronique de Daniel Zenner

À cette époque, notre dinde ne fréquentait ni l’Asie, ni l’Europe, encore bien moins le pourtour du Bassin Méditerranéen et l’Afrique, car cet imposant gallinacé est bien originaire d’Amérique. Mais vous connaissez l’histoire : la bande à Colomb, croyant accoster en Inde, découvre un autre continent inconnu des Européens fin du 16ème siècle. Tout ce qu’ils trouvaient sur ces nouvelles terres étaient donc forcément d’Inde, comme les autochtones (Les Indiens), le cobaye que les indigènes appréciaient fort (Cochon d’inde), l’œillet d’inde, et la dinde (D’Amérique…) Bref, notre volaille allait connaître un remarquable destin dans le monde entier, grâce à son fort intérêt alimentaire.

Un peu d’histoires :
Il existe deux versions de son arrivée en Europe. Les “Glouglou” auraient été ramenés par Astérix et Obélix, lors de leurs formidables aventures vécues au pays de l’Oncle Sam. Marie et Joseph auraient donc pu en déguster. La deuxième version, un peu moins crédible, est celle de sa venue sur notre vieux continent, en 1521. Les conquistadors, lors de la conquête du Mexique l’avaient appelée “Poule d’Inde”, les Mexicains la nommait Guajolote et l’avait domestiquée depuis plusieurs milliers d’années.

 "La Dinde de Noel " par Daniel Zenner

Nous avons plusieurs points communs avec la dinde car elle fait partie du même règne que les humains (animal) ainsi que de l’embranchement des vertébrés comme nous. Mais la comparaison s’arrête là, sauf pour quelques expressions bien connues que vous lirez en fin de chronique.

Le dindon est le mâle, sa femme la dinde et les petits les dindonneaux. Dans certaines régions, l’invitée de Noël porte le nom de dindonne, ce qui me paraît un bon compromis linguistique car, ni le législateur, ni le consommateur ne font la différence entre le sexe des volailles, que nous consommons négligemment sous le nom générique de dinde. Le cas est similaire pour les bovins car, sous la dénomination bœuf, on trouve indifféremment la plupart du temps, de la vieille vache de réforme… Lisez les étiquettes !

Aussi bizarre que cela puisse paraître, le dindon, comme d’ailleurs tous les oiseaux, sont les ancêtres directs – mais lointain – des dinosaures ; des reliques vivantes en quelque sorte. Pas étonnant, car ils pondent des œufs, possèdent des becs crochus, des pattes munis de cornes écaillées qui n’ont rien à envier à un Caudipteryx, et ils ont adopté, pour la plupart, un régime omnivore, voir carné. Entre un grain de blé et un ver de terre, une dinde ou une mésange n’hésitera jamais ; elle se jettera sur le malheureux lombric ! Imaginez maintenant, que vous soyez de la taille des gamins dans “Chérie, j’ai rétréci les gosses” Le dindon serait alors le plus laid et le plus terrible de toutes les bêtes de la terre : il n’aurait rien à envier aux meilleures créatures de “Jurassic Park”.

Dinde de Noël

C’était il y a bien vingt ans. J’étais invité chez des amis en Lorraine pour célébrer la veillée de Noël. Venant de loin, je ne m’étais pas occupé du dîner et quand j’arrivai, la dinde était déjà au four. Au moment de la déguster, ce fût bien sûr moi qu’on désigna pour la découper. La volaille était bien rôtie. Peau croustillante et bien bronzée, boursoufflée par endroit : la masse imposante de la somptueuse dinde me faisait saliver.

Armé d’un couteau en acier inoxydable et d’une grande fourchette en argent, ayant probablement appartenue à l’arrière grand-mère de mon hôte, je juge la bête pour mieux la maîtriser. D’un geste sûr et vif, assuré et professionnel, je plante la fourchette séculaire en plein milieu des deux poitrines. Et là, en ce moment précis, il se produisit une chose extraordinaire : la volaille rôtie, tel un château de cartes, s’écroula sur elle-même, formant en son plat de cuisson maculé de tâches brunâtres, une espèce de masse informe blanche, striée de raies de peau dorées, et de laquelle émergeaient ça et là quelques débris d’os noirs. Nous avions devant nous, l’image d’une catastrophe surnaturelle digne de l’effondrement programmé d’une vieille tour vouée à la démolition. Je venais de découvrir dans sa plus belle expression la dinde industrielle !

 

Impossible de détailler les moindres morceaux, car les chairs sèches des poitrines tombaient en filaments, des débris de cartilages se mêlaient à quelques monticules de viandes éparses. Plus aucunes chairs n’adhéraient aux os mous. On aurait dit un amas de papier à recycler. Et je ne vous parle pas de l’odeur !

Consternée, une assemblée me dévisageait : me soupçonnerait-on de ne pas avoir su découper le royal volatile ?

Figé devant ma carte postale apocalyptique, je ne savais quoi dire. Une farce de type charcutière, introduite dans l’abdomen étripée de la dinde aurait pu me sauver. Celle-ci, à la façon d’un béton armé ou d’une structure en acier, aurait pu tenir le squelette de la dinde. Que nenni ! Car le vide créé par l’ablation des tripes et organes divers de l’animal ne m’a pas permis de garder entière l’ossature de la volaille rôtie.

Pour moi, en ce jour béni de Noël 89, je venais de comprendre ce qu’est l’élevage intensif de la dinde industrielle.

Au secours Obélix !

 "La Dinde de Noel " par Daniel Zenner
Obélix, je t’envie. Tu as su déceler le potentiel gastronomique du ” Glouglou”.
Merci à tes pères Uderzo et Goscinny. Tu as eu la chance, mon bon Obélix, de goûter la vraie dinde, celle qui pavanait dans les forêts d’Amérique, la dinde originelle, alors que tes contemporains ne connaissaient que le poulet.
Obélix, tu étais plus gourmand que gourmet, mais j’aurais aimé et apprécié en ton temps, la saveur de cet oiseau géant ayant déjà oublié les recettes du vol libre.Cette année, je penserai à toi, apôtre du cholestérol, adepte du bon vivre, Gaulois dans l’âme. Et dans tes actes alimentaires, goinfres et gourmands, je te pardonne au nom de notre culture latine et de nos ancêtres Celtes.

 

Plus sérieusement, choisissez pour vos fêtes de fin d’année une dinde digne de ce nom.

Elles sont faciles à trouver sous ces labels : Dinde label rouge, bio, qualité certifiée ou fermière, qu’elle soit de Loué, d’Alsace ou d’ailleurs. Appréciez la chair fine et délicate, soyeuse et fondante de l’AOP Bresse. Farcissez la dinde noire des Landes ou la jaune du Gers, vous m’en direz des nouvelles !

Par Daniel Zenner