Ici, nous proposons d’examiner les quenelles anciennes, afin de bien savoir ce que sont et ce que peuvent être des quenelles. Puis ayant bien compris les principes mis en œuvre dans ces recettes, nous considérerons des règles pour les réussir.
Par Hervé Thisculture gas
Comme dans plusieurs billets précédents, nous remontons dans le temps… après avoir signalé que la page « Wikipédia » consacrée aux quenelle manquait absolument de précisions… et de justifications. On aura intérêt à ne pas s’y référer, même si je viens de l’améliorer un peu.
Le Guide culinaire, pour commencer, indique que « les quenelles se font de grosseurs et de formes différentes, soit : 1° En les roulant sous les doigts, sur la table farinée, en forme de petits cylindres ; 2° En les couchant à la poche dans une plaque beurrée ; 3° En les moulant à la cuiller ; 4° En les moulant au doigt en forme de rognons de coq.
Ces préparations auxiliaires sont trop connues pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter, pas plus d’ailleurs que sur le pochage. Nous dirons seulement que les quenelles pour garnitures ordinaires, comme Financière, Toulouse, etc., se moulent à la cuiller à café, ou se couchent à la poche de forme unie ou cannelée. Le poids moyen de ces quenelles est de 12 à 15 grammes.
Les quenelles pour grosses garnitures, comme : Godard, Régence, Chambord, se moulent toujours à la cuiller, et sont du poids de 20 à 22 grammes.
Les quenelles décorées qui figurent généralement dans ces grosses garnitures se font du poids de 40 à 50 grammes, et se moulent de forme ronde, en ovale simple, ou en ovale allongé. Les éléments de leur décor sont presque toujours fournis par la truffe ou la. langue écarlate, souvent par les deux, et les détails du décor sont fixés avec du blanc d’œuf cru. »
Mais, au fait, d’où sortent ces informations ? Après tout, les auteurs du livre n’avaient pas la science infuse ! Et, d’ailleurs nous avons souvent eu l’occasion d’observer que le Guide culinaire est ignorant de l’histoire, et qu’il détourne très illégitimement des appellations, de sorte que nous ne nous y arrêterons pas.
Allons donc vite voir autre chose, par exemple Joseph Favre, et son Dictionnaire universel de cuisine. Cette fois, il est dit que le mot dériverait de l’anglo-saxon Knyll, qui signifie piler, frapper ; parce que les chairs dont on fait les quenelles sont pilées au mortier. Les quenelles seraient des pâtes faites de chair et de beurre ou de graisse, homogénéisés, de forme ovoïde et de différentes grandeurs.
Favre cite des quenelles avec toutes sortes de viandes : veau, chevreau, porc, parmi les viandes de boucherie ; poulet, poularde, dinde, faisan, coq de bruyère, pintade, gélinote, perdreau, etc., parmi les volailles et le gibier à plumes ; renne, daim, gazelle, chevreuil, cerf, chamois, sanglier parmi le gibier à poil; homard, langouste, crabe, etc., parmi les crustacés ; brochet merlan, cabillaud, rouget, rascasse, saumon etc., parmi les poissons. Il évoque des grandes et des petites quenelles, éventuellement garnies intérieurement avec un appareil de légumes ou de salpicon. Et il donne une formule de farce à quenelle qui comprend :
– chair dénervée : 500 g
– beurre fin : 250 g
– jaunes d’oeufs : 4
– sauce réduite 1/2 dL
– sel et épices.
Le procédé est le suivant : on pile la chair au mortier, on ajoute les jaunes d’oeufs et le beurre par intervalles, et en dernier lieu l’assaisonnement ; on ajoute aussi une partie de la sauce, on triture et on essaye la farce, en la faisant pocher dans un petit moule à tartelette. Mais Favre cite aussi d’autres procédés : à la cuiller, par moulage, pour faire des quenelles rondes, allongées.
Mais Favre, malgré l’intérêt de son livre, n’est pas non plus parole d’Evangile… et j’y ai souvent trouvé des erreurs, notamment historiques ou étymologiques. Allons voir avant lui, par exemple Urbain Dubois, élève de Carême. Cette fois, on trouve des quenelles de volaille, faites de chair, crème, sauce blonde, mais aussi des quenelles de pommes de terre (au parmesan), que l’on fait avec chair de pomme de terre cuite, beurre, farine. Il s’agit en quelque sorte de cousin des échaudés, des cornuaux ou des gnocchis. Et pour d’autres quenelles encore, il y a de l’oeuf entier et des jaunes, et des formes en boudins.
Un peu avant, André Viard, dans son Cuisinier royal (1822), cite également des quenelles de volaille faites de blancs pilés, avec mie de pain trempée dans du lait, beurre, jaunes d’oeufs, blancs d’oeufs battus en neige, ou des quenelles de noix de veau, avec maigre de veau, panade, beurre, œufs, ou encore des quenelles de lapin avec filets de lapin, mie de pain trempée dans du lait, beurre, œufs.
Et la plus ancienne référence que je trouve est de MCD (il est dit que c’est un dénommé Briand), dans son Dictionnaire des aliments, publié en 1750.
Avant lui ? Rien… sauf que l’on connaissait les « godiveaux », et que ce nom est le nom ancien de certaines quenelles. C’est ce que l’on voit en 1654 chez Nicolas de Bonnefons, par exemple.
Tout cela étant établi, il nous reste à discuter le principe de la quenelle. Nous avons vu que, pour les quenelles de viande ou de poisson, il y a toujours la chair, plus parfois du beurre, de la crème, de la panade, de la pâte à choux, de la mie de pain trempée dans du lait, des œufs, de la sauce…
Où sont les raisons de tout cela ?
Commençons par dire que les quenelles sont des équivalents des terrines, des farces, des mousses ou des mousselines : il y a toujours de la chair ou de l’oeuf qui coagulent. D’ailleurs l’expérience fondatrice consiste à broyer de la chair d’un animal et de la chauffer : la masse broyée coagule. C’est ainsi que se font les terrines, qui n’ont pas beaucoup de tendreté. Pour en donner, la matière grasse s’impose : beurre, crème, lard ou graisse de rognon de bœuf. Mais avec la crème, on voit de l’eau apparaître en plus de la matière grasse. Et cela explique que l’on gagne en tendreté dans une farce à quenelle si l’on ajoute une sauce. La mie de pain, la panade, la pâte à choux ? C’est une « charge », pas chère. Un moyen d’attendrir, mais qui risque de faire perdre du goût.
Evidemment, la consistance dépend de la composition, mais dans tous les cas, il faut des protéines qui coagulent, et là, un bon ordre de grandeur à retenir est qu’il faut un minimum de cinq pour cent d’agent gélifiant pour faire coaguler. Pas certain que la quenelle se tienne avec si peu de protéines ! N’hésitons pas à doubler !
Enfin, dans la préparation des quenelles, je n’ai pas parlé de la question du goût. Bien sûr, la chair en a, mais on peut vouloir en donner davantage. Et là, il faut se souvenir que s’il y a de l’eau qui est utilisée pour la préparation, alors cette eau peut être un bouillon, un jus de légumes, du vin, une sauce au goût corsé, etc. Pour la matière grasse, aussi, il y a toute la différence du monde entre le beurre, la crème, l’huile, la graisse de rognons de bœuf. Et pour la partie « amylacée », il y aura également lieu de choisir entre panade, mie de pain, riz, pomme de terre…
Bref, une infinité de quenelles sont possibles !
Par Hervé This