Lors d’un du séminaire de gastronomie moléculaire de juin 2016, nous avons exploré une précision culinaire apparue plusieurs fois dans les livres de cuisine publiés depuis environ le début du vingtième siècle. Il s’agissait de glacer des navets, et de savoir si les produits utilisés pour le glaçage entraient ou non dans les racines. Certains textes, et certains cuisiniers actuels, pensent et disent, voire écrivent, que l’eau de glaçage entre dans les navets, et ils tiennent pour « démonstration » le fait que les navettes s’attendrissent. D’autres disent et pensent, voire écrivent, que le beurre utilisé pour le glaçage vient à coeur des navets.
Finalement, au-delà des « intuitions » et des argument d’autorité, que se passe-t-il vraiment ? C’est là tout l’intérêt de nos séminaires : en avoir le coeur net, définitivement.
Expliquons.
Les cellules qui constituent les navets sont comme de petits sacs emplis d’eau, mais avec évidemment aussi une foule de composés chimiques, qui permettent aux navets de vivre (car les navets sont vivants !). Le ciment, qui donne la fermeté aux navets en collant les cellules entre elles, est fait de celluloses et de pectines, essentiellement. La cellulose, ce sont des « fibres ». On voit mieux sa présence quand on passe des navets à la centrifugeuse : il y a le jus qui sort de la machine et toute une partie solide, fibreuse, que l’on jette habituellement, mais qui est constituée de ces « fibres alimentaires » dont on vante tant les mérites. Ajoutons d’ailleurs qu’en vanter les mérites est une chose, mais qu’il n’en demeure pas moins que ce sont ces fibres qui sont à l’origine des ballonnements et des flatulences que ressentent ceux qui mangent beaucoup de fruits et de légumes. D’ailleurs, profitons de l’occasion pour signaler que, au-delà de la maladie coeliaque qui touche une très faible proportion de la population (la maladie empêche de manger du « gluten »), il vient d’être montré que l’intolérance au gluten est quasi certainement un fantasme et que l’on s’est trompé : ce qui était en cause, ce n’est pas le gluten mais les fibres qui sont très généralement associées à ce dernier.
On terminera cette description en observant en un point essentiel : les tissus végétaux sont majoritairement faits d’eau : 99 % pour une salade, 95 % pour une tomate, 85 % pour une pomme.
Tous ces systèmes sont formellement des gels, puisque l’eau est tenue dans le solide, en l’occurrence essentiellement par la cellulose, par les pectines, et aussi par les membranes cellulaires qui sont faites de molécules de « phospholipides », catégorie à laquelle appartiennent les lécithines, qu’elles soient de soja non pas.
On le répète : la seule façon pour un liquide d’entrer dans les navets serait par capillarité ou par osmose. Je passe sur la définition de ces phénomènes (voir mon livre Mon histoire de Cuisine, Belin), mais, à y regarder un peu finement, l’osmose ferait plutôt sortir l’eau des navets, ce qui conduiraait à les ratatiner, et non pas à les gonfler Et la capillarité pourrait se produire après une longues cuisson, si des fissures apparaissaient, auquel cas, l’eau et la matière grasse du glaçage, éventuellement avec du sucre, pourraient entrer dans les navets.
Ma conviction, toutefois, était que ce phénomène n’avait pas lieu.
De la théorie à l’expérience
Toutefois, nous ne nous sommes pas limités à cuire : nous avons évidemment pesé, avant la cuisson et après la cuisson. Si les navets avaient gonflé en absorbant de l’eau et de la matière grasse, alors leur masse aurait dû augmenter.
Première observation expérimentale : une masse de navet d’environ 90 grammes a été réduite à environ 50 grammes après un glaçage à blanc, c’est-à-dire cuisson dans de l’eau et du beurre jusqu’à attendrissement et formation d’une couche brillante à la surface des racines. Bref, nous avons suivi la pratique professionnelle. Nul doute qu’après le glaçage à brun, la perte aurait été encore supérieure.
Une théorie confirmée
Antérieurement, j’avais déterminé les échanges dans des cuissons à l’anglaise, où une telle perte n’a pas lieu, mais voici donc une nouvelle information, qui doit nous conduire à penser que le glaçage, s’il attendrit les navets par la réaction d’élimination bêta des pectines, conduit à une perte d’eau, ce que l’on nommait anciennement une « eau de végétation » sans que l’on sache bien de quoi il s’agit.
Plus prudemment, je propose de dire des choses simples et justes, à savoir que les navets perdent beaucoup d’eau, environ 40 pour cent, lors d’un glaçage à blanc. J’ajoute que l’emploi de beurre est trompeur, parce que, à la cuisson, il arrive fréquemment que la masse de ce dernier semble diminuer… et elle diminue effectivement, puisque le beurre, c’est environ quatre cinquièmes de matière grasse et un cinquième de l’eau. Or, dans de nombreuses conditions culinaires, cette eau du beurre s’évapore, de sorte que la masse du beurre est réduite d’autant.
Nul doute que nombre d’intuitions des praticiens se sont fondées sur cette évaporation, ce qui a probablement contribué à des précisions culinaires fausses, telles celles qui sont relatives au glaçage des navets.
Par Hervé This