Les mots de Rabelais

Les célèbres livres de François Rabelais, avec Gargantua, Pantragruel et leurs amis, semblent célébrer la bonne vie, avec mets, vins, et plaisirs charnels, mais cela n’est qu’apparence et on n’est jamais déçu de relire les cinq livres, tant ils sont variés. Apparemment -mais apparemment seulement- ces histoires sont de guerre, d’hésitation à propos de mariage, de voyages, etc., mais ce ne sont là que prétextes à joyeusetés, inventions, jeux de langages, philosophie.

De bonne chère ?

J’ai bien relu, et il n’y en a pas tant que cela. Ou, plus exactement, il y a des énumérations d’ingrédients, animaux ou végétaux, mais peu de préparations. Dans ces dernières, on observe qu’il y a des mots exactement conformes à ceux d’aujourd’hui : boudins, andouilles, jambons, saucisses, etc.

A côté de ceux-ci, il y a des mots orthographiés différemment d’aujourd’hui, mais qui correspondent à ce que nous mangeons encore : des «lappins » (lapins), des « lappereaux », des « perdriaux » (perdreaux), du « caviat » (caviar), du stocficz (Stockfish), de la « sort crot » (Sauerkraut, ou Surkrut, ou choucroute), des « charbonnades » (ou carbonades : de la viande grillée), la « boutargue » (la poutargue), le « coscoton » (pour le couscous), des « gasteaux », etc..

Puis il y a des mots qui désignent des mets encore pratiqués, mais plus régionalement, telle la « fouace », qui est une galette de fleur de froment cuite sous la cendre ou au four ; on la trouve encore en Auvergne, mais elle est alors à base d’œufs, de beurre et parfumée au cognac et à la fleur d’oranger. Les fricandeaux sont variés, mais certains, en tout cas, étaient faits de veau (rouelle, noix) piqué de lardons, braisé ou poêlé, servi seul ou avec de l’oseille, des épinards, etc.

Enfin il y a des mots intéressants, parce que nous ne savons plus les interpréter :

les hochepots : à l’époque de Rabelais, on faisait ce ragoût avec de la viande (bœuf ou porc), des légumes, de la chair de veau hachée, de la graisse de bœuf, des œufs et des herbes ;

les gaudebillaux : comme dit Rabelais, « gaudebilleaux sont grasses tripes de coiraux ; coiraux sont beufz engressez à la creche et prez guimaulx ; prez guimaulx sont qui portent herbe deux fois l’an ».

les cabirotades sont des grillades de chevreau ;

– les hâtereaux sont des morceaux d’apprêts enfilés sur brochettes, panés, puis frits.

une eschinée est un apprêt d’échine de porc

– une saugrenée était une fricassée de pois, de fèves,

– la caillebote est un caillé de lait, pressé, puis un peu séché

– une profiterole, qui était un petit chou ou un petit pain farci de salé, garniture de gibier, etc.,

une galimafrée : une fricassée de diverses viandes

un salmigondin : un ragoût fait de diverses viandes, et réchauffé.

Surtout, si l’on observe que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité à ne pas avoir connu de famine (il y en eut une en Languedoc, du vivant de Rabelais), on comprendra pourquoi des évocations culinaires mêmes rudimentaires ont séduit les lecteurs de la Renaissance.

Par Hervé This