Animateur et chroniqueur, ici présentant les cook-show 2011 de la FAV de Colmar

La sauce béchamel

La sauce béchamel, tout le monde connaît. Alors pourquoi une chronique sur celle-ci ?

Sa seule évocation fait naître en mon être, de doux souvenirs d’enfance, quand, dans le nid douillet familial, ma mère la cuisinait pour confectionner les lasagnes, farcir des bûches au fromage, recouvrir des choux-fleurs trop cuits ou réaliser un soufflé au jambon. La recette est simple : bouillir du lait frais, ajouter un mélange à quantité égale de farine et de beurre (roux blanc), assaisonner de sel, poivre du moulin et muscade râpée. Remettre sur feu puis cuire quelques instants.

Autre variante : prendre du lait UHT, ajouter un roux réalisé à la margarine (ou acheté en granulé) assaisonner. Vous pouvez aussi délayer une poudre avec de l’eau ; donner ensuite un bouillon : ça fleurera bon le glutamate de sodium. Si vous choisissez la formule “Préparation en poudre » pas besoin de rectifier l’assaisonnement car des ingénieurs-techniciens du goût l’ont fait pour vous. Autre solution : acheter un sachet “Sauce béchamel” résistant à 110°C ; plonger-le dans de l’eau bouillante puis ouvrir selon les pointillés : rapide, hygiénique, pas de vaisselle, et on peut remettre le reste au frais, mais le top c’est la sauce Béchamel “Prête à gratiner” en sachet UHT stérilisé d’un poids de 200 grammes. Sa composition ? Lait, eau, matière grasse hydrogénée, amidon de maïs, farine de blé, poudre de beurre, sel, lait écrémé. Jusque là ça va à peu près. Mais pour conserver l’ensemble il faut ajouter deux épaississants : E 415, E 412 ; des exhausteurs de goût E 621, dextrose, extraits naturels de poivre et de muscade et des colorants : E 100 et E 160. Bon appétit.

J’en connais plusieurs, s’ils pouvaient lire ma prose, qui se retournerait dans leur tombe.

À commencer par Louis de Béchameil, marquis de Nointel (1630-1703). Cet homme était un fermier général, fort riche et puissant, surintendant de la maison du duc d’Orléans, intendant de police de justice et des finances de la généralité de Tours, puis de la province de Champagne. Il acquit ensuite la charge de maître d’hôtel de Louis XIV. Outre la sauce qui porte son nom, il était aussi connu comme gourmet et amateur d’art éclairé.

La sauce béchamel, qui porte aujourd’hui son nom, est en fait, le résultat du perfectionnement d’une sauce plus ancienne à base de crème, crée par François Pierre de La Varenne (1615-1678), cuisinier du marquis d’Uxelles. Ce dernier dédia son invention culinaire au noble Marquis de Béchameil pour obtenir probablement quelques faveurs, comme le faisaient souvent les cuisiniers envers la noblesse de l’époque. D’ailleurs, le duc d’Escars, un peu jaloux s’exprima en ces termes : “Est-il heureux, ce petit Béchameil ! J’avais fait servir des émincés de blancs de volaille à la crème plus de vingt ans avant qu’il fût au monde et, voyez, pourtant je n’ai jamais eu le bonheur de pouvoir donner mon nom à la plus petite sauce ! “

Louis de Béchameil, marquis de Nointel
D’après d’autres sources, François Pierre de La Varenne se serait inspiré d’une sauce encore plus ancienne, la toscane salsa colla, venue en France d’Italie en 1533 dans les bagages de Catherine de Médicis, venue épouser la France et son roi avec son bataillon de cuisiniers transalpins. Pourquoi pas, car en Italie, au début du XVI siècle, on confectionnait déjà des lasagnes.

D’autres historiens supposent que cette sauce a été inventée par Philippe de Mornay (1549-1623), dans les années 1600. Celui-ci est également crédité d’avoir inventé la sauce qui porte son nom (une béchamel enrichie de fromages), la sauce lyonnaise, la sauce chasseur, et la sauce au porto. Quoiqu’il en soit, notre béchamel est bien connue et utilisée à la fin du XVIII siècle. Mais de quelle sauce s’agit-il ? Certains rares auteurs de l’époque en donnent des formules bien imprécises car les recettes se passaient de bouche à oreille et le rare lecteur, habituellement praticien, du moins érudit, était sensé connaître les proportions.

Pour se rendre compte de la complexité de cette sauce, il faut consulter l’ouvrage d’Antonin Carême, “L’art de la cuisine Française au XIX siècle” édité en 1832. Dans le chapitre II, à la sauce Béchamel, on peut lire : “Cette sauce est décrite tout au long au travail du velouté, analysé ci-dessus” La formule est trop longue pour la transcrire ci- après. Je vous en donne un résumé :” Beurrer le fond d’une casserole…Placez-y ça et là quelques lames de maigre de noix de jambon ; ajoutez une noix, une sous-noix et un quasi de veau, deux grosses poules et le bouillon nécessaire pour en masquer les viandes à la surface… ” Ensuite, placer le tout sur feu ardent, écumer, laisser sur le coin du fourneau. Nous avons donc là un superbe bouillon qu’il faut lier au roux blanc. Il ne reste plus qu’à ajouter des champignons (trois maniveaux…) et un bouquet (assaisonné de la manière accoutumée…). Laisser cuire doucement une heure et demie puis dégraisser. Réduire encore, puis « Verser trois pintes de bonne crème fraiche double… cela vous donnera une béchamel suave, blanche et parfaite”

Qu’on se le dise ! Voilà la véritable recette de base qui porte ses lettres de noblesse !

Puis notre sauce continue son p’tit bonhomme de chemin dans l’histoire de la gastronomie et à travers mes bibles gourmandes. Jules Gouffé, dans “Le livre de cuisine (1867)”, élève du grandissime Carême, la range dans les “Sauces mères” aux côtés de l’Espagnole grasse. La formule de la “Béchamel à l’ancienne” est à peu près identique à celle de son maître mais, pour la première fois, apparaît la béchamel maigre. Voici la recette dans son intégralité : “Coupez en très gros dés 3 oignons, 1 carotte et 2 échalotes entières ; mettez le tout dans la casserole avec deux hectos de beurre ; faites revenir pendant 5 minutes ; et ajoutez 2 hectos de farine, puis mouillez avec 3 litres de lait ; ajoutez 1 bouquet de persil et 15 grammes de sel ; faites réduire pendant un quart d’heure en tournant toujours avec la cuiller ; puis passez à l’étamine ; couvrez la béchamel d’une couche de beurre fondu d’un millimètre d’épaisseur. Lorsqu’on veut employer la béchamel maigre, on la fait bouillir et on lie avec 1 hecto de beurre par litre”

Qu’en pense maintenant l’illustre Auguste Escoffier dans son “Guide Culinaire (1902)” ouvrage toujours d’actualité ? 

On la retrouve classée au chapitre des “Grandes sauces de base” Son principe d’exécution est à peu près identique à celui de Gouffé, sauf qu’il écrit à la fin de la recette : “On peut aussi faire cette sauce aussi rapidement en procédant ainsi : Ajouter dans le lait bouilli, l’assaisonnement, l’oignon émincé, thym, mignonette et muscade ; couvrir et tenir sur le côté du feu pendant 10 minutes. Passer ce lait infusé sur le roux ; faire prendre l’ébullition, et cuire la sauce pendant 15 à 20 minutes seulement”. La porte est ouverte sur la simplification de cette sauce, au point que l’on oublie totalement sa noble recette dans les ouvrages ménagers du milieu du XX. En 1927, Madame E. Saint-Ange ajoute cependant une mirepoix et faire cuire la sauce trois quart d’heure. Beaucoup plus tard, en 1976, dans son livre “Je sais cuisiner” Ginette Mathiot mentionne la sauce béchamelle “avec deux L” On y arrive enfin : du lait et du roux blanc ! On parle même dans cet ouvrage de préparation instantanée !

Voilà qui est dit. Vous ne pouvez ignorer présentement ce qu’est cette sauce et le Marquis de la Béchameil peut maintenant reposer en paix !

Par Daniel Zenner