crème brûlée

La crème brûlée ou crème catalane ?

La culinosphère a ses lubies, à propos des « vraies » pâtes à la carbonara, à propos des « vrais » haricots de mouton, des « vrais » quiches lorraines… Certes, les plus anciennes terminologies imposent les recettes, mais on doit admettre que, par le passé comme aujourd’hui, les cuisiniers ont adapté ces dernières : aux ingrédients dont ils disposaient, aux convives pour qui ils cuisinaient, aux périodes de l’année, à leur envie… Nous devons donc apprendre à estimer les possibilités de variations, avant d’introduire une nouvelle terminologie.

Tiens, par exemple : crème brûlée, ou crème catalane ? Je trouve la crème brûlée dans le livre de François Massialot publié en 1705 sous le titre du Nouveau cuisinier royal et bourgeois, mais ce n’est pas la première édition de son livre, qui date en réalité de 1691. Qu’importe : le livre donne la recette de crème brûlée, et pas de crème catalane. De sorte que c’est la terminologie « crème brûlée » que nous devons utiliser quand nous exécutons la recette suivante :

« Il faut prendre quatre ou cinq jaunes d’oeufs, selon la grandeur de vôtre plat ou assiette. Vous les délaïerez bien dans une casserole, avec une bonne pincée de farine, & peu à peu vous y verserez du lait, environ une chopine. Il y faut mettre un peu de canelle en bâton, & de l’écorce de citron verd hachée, & d’autre confit. On y peut aussi hacher de l’écorce d’orange comme celle de citron ; & alors on l’appelle Crême brûlée à l’Orange. Pour la faire plus délicate, on y peut mêler des pistaches pilées, ou des amandes, avec une goûte d’eau de fleur dorange. Il faut la mettre sur le fourneau allumé, & la remuer toujours, prenant garde que vôtre Crême ne s’attache au fond. Quand elle sera bien cuite, mettez un plat ou une assiette sur un fourneau allumé, & aïant versé la crême dedans faites-la cuire encore, jusqu’à ce que vous voïez qu’elle s’attache au bord du plat. Alors, il la faut tirer en arriere & la bien sucrer par-dessus, outre le sucre que l’on y met dedans : on prend la pêle du feu, bien rouge ; & du même temps on en brûle la Crême, afin qu’elle prenne une belle couleur d’or. Pour garniture, serveur vous de feuillantine, de petits fleurons ou meringues, ou autres découpûres de parte croquante. Glacez vôtre Crème, si vous voulez ; sinon servez sans cela, toûjours pour Entremets. »

Là, un commentaire à propos de la « pêle » : c’est une pelle de cheminée que l’on porte au rouge, dans le feu, ce que l’on peut encore faire aujourd’hui. Certains trouvent préférable d’utiliser un chalumeau, mais je recommande d’éviter un tel outil, parce que les flammes déposent des composés cancérogènes sur les aliments… en plus du goût un peu désagréable. Personnellement, j’utilise plutôt un pistolet décape-peinture puissant, mais la salamandre peut également être utilisée, quand on en dispose.

 

Par Hervé This