Huîtres, granité au vinaigre de gingembre, une recette de Nicolas Masse ©Assiette Gourmande

Histoires d’huitres

La vue d’une huitre, en tous lieux et toutes saisons, me réjouis.

Dire qu’autrefois, je détestais ce bivalve ! Enfant, j’observais curieusement parents et amis, le soir du réveillon, se délecter de cet animal mou, gluant et salé ! Pour rajouter un peu d’insolite à ce funeste tableau, mon père mettait quelques gouttes de jus de citron sur le manteau de la bête : celle-ci se rétractait brusquement : horreur ! Elle est vivante !

Aujourd’hui, je lui voue un véritable culte. Je recherche au printemps les meilleures provenances ; en été les plus grosses, mais les moins laiteuses ; en automne, les plus grasses et au creux de l’hiver les plus fines, car les huitres peuvent se consommer toute l’année, et non pas que les mois en “R”. Autrefois, il était fort difficile de transporter ce mollusque en plein été dans des conditions acceptables. Aujourd’hui, en une nuit et dans un camion frigorifique, elles arrivent fraiches en bourriches sur nos étals.

Je les mange crues ou cuites, mais les préfère nature : quand l’huitre est belle, en cet état, je fais fi de tout accompagnement, rangeant dans les absurdités de la dégustation, vinaigres puissants et échalotes ciselées… Une noisette de bon beurre, une tranche de pain de seigle, un petit vin blanc sec fringant : voila comment je les apprécie !

Un peu d’Histoire racontant les huitres aphrodisiaques

On prête l’invention de sa culture au Romain Sergius Orata (-100) : la saveur des huîtres du lac Lucrin le rendait fou ! Friands de ce coquillage, les Romains en cherchaient dans toute l’Europe. Ces derniers mangeaient aussi bien les coquillages crus que cuits avec du Garum (l’équivalent du nuoc-mam asiatique)
Néron “reconnaissait au goût la provenance des huîtres” (Juvénal) et Cicéron en mangeait très souvent “pour nourrir son éloquence”. L’empereur Vitelius, amateur passionné de ces mollusques, s’en faisait servir 4 à 5 fois par jour. Il les vomissait ensuite pour avoir le plaisir d’en avaler à nouveau !

Ces huîtres provenaient des côtes anglaises. Juvénal accuse l’huître “d’être la cause du libertinage effréné” chez ses contemporains, car notre bizarre animal marin jouit depuis fort longtemps d’une solide réputation d’aphrodisiaque : Casanova en mangeait cinquante à chaque dîner !
A la pleine lune, les huîtres secréteraient une hormone sexuelle… Demandez donc à votre poissonnier l’heure de la récolte ! Dans le Kamasoutra, il existe une position appelée “L’union de l’huître”.

En 1798, Brillat Savarin fut nommé commissaire pour homologuer un record de mangeur d’huîtres

L’engouement pour sa consommation en France ne date pas d’hier. Louis XI rendit obligatoire – pour les gens proches de la gouvernance de son état- l’ingestion quotidienne de ce précieux bivalve. Sous Henri IV, il existait à Paris pas moins de 4000 marchands d’huîtres. Ce souverain en mangeait vingt douzaines par jour comme plus tard la reine Marie Antoinette.
A Paris, vers 1640-1650, des centaines de marchands d’huîtres sillonnaient les rues de la capitale. Les coquillages arrivaient conditionnés en baril dans du sel et de l’eau de mer. Ils étaient transportés par les “Chasses marées” des chars tirés par des bœufs. Une ordonnance de 1779 stipule qu’il ne doit pas y avoir plus de cinq jours de transport…
En 1798, Brillat Savarin fut nommé commissaire pour homologuer un record de mangeur d’huîtres. Le sieur Laperte, greffier au tribunal, mangeât 32 douzaines en une heure puis dîna ensuite avec beaucoup d’appétit en partageant son repas avec l’auteur de la physiologie du goût.

En 1921, par suite d’épizooties, les huîtres plates faillirent disparaître. Les Portugaises tinrent bon. Ces dernières furent menacées vers 1967. Heureusement, des huîtres creuses géantes japonaises à croissance rapide arrivèrent en Charente Maritime. En 1970, deux mille tonnes de naissain vinrent à Arcachon, Oléron, Marennes, Noirmoutier, Vannes et Saint Nazaire…
Toutes nos huîtres creuses sont aujourd’hui d’origine japonaise !

Pendant les fêtes de fin d’années, la demande atteint des sommets, son prix aussi ! D’ailleurs cette année, ceux-ci augmenteront de 30 à 40% par rapport à l’année précédente. La cause ? Une mortalité anormale dans les naissains des trois dernières années, et cela de l’Irlande aux côtes françaises.

L’huitre est un animal bizarre car à l’âge d’un an, elle est alternativement mâle puis femelle. Elle peut pondre, quand la température de l’eau avoisine les 20°C, plusieurs centaines de millions d’œufs ! Elle est omnivore et sa nourriture vient à elle. Elle possède un petit cœur qui bat à quinze contractions par minute. Ses plus grands ennemis sont l’homme (Prélèvements et pollution) puis les maladies et enfin le crabe, le bigorneau perceur et l’étoile de mer. Consommées vers trois ans et demi : elles naissent en juillet/août et sont sur nos tables à Noël !
A l’état naturel, elle peut vivre jusqu’à trente ans. Certaines huitres sauvages de pleine mer, les “sabots de cheval” peuvent atteindre plus de deux kilos. Elles sont appréciées des amateurs.

On retrouve sur les meilleures tables “Les truffes de mer”

Huître en gradation de Jean-Georges Klein ©Assiette Gourmande
Des recettes de cuisine existent déjà dans les livres à partir de 1552, Rabelais en parle dans ses différents ouvrages. En 1651 dans le “Cuisinier François” les huîtres sont accommodées au court-bouillon, en potage, en beignets, en fricassées et en ragoût. L’huître rôtie était en vogue à cette époque.
“Les huîtres d’Ostende furent apportées mignonnes et grasses, semblables à des petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés” (Guy De Maupassant -Bel ami).
“Après les huîtres, qui furent trouvées très fraîches, on servit des rognons à la brochette, une caisse de foie gras aux truffes, et enfin la fondue” (Brillat Savarin dans Physiologie du Goût). “Huître chère au gourmet, huître bienfaisante qui excite au lieu de rassasier, tous les estomacs te digèrent, tous les estomacs te bénissent” (Sénèque). “Les huitres sont un aliment qui ne peut satisfaire les ouvriers, mais qui sied aux sédentaires, en guise de souper avant de se mettre au lit” (A.J.Bellows 1870), “Les huitres constituent l’entrée classique pour un déjeuner d’hiver…disons même qu’elles sont quasi indispensables”. (Almanach des Gourmands, 1803) et
Alexandre Dumas les appelait “Les truffes de mer” et enfin, petite annonce parue dans le Philadelphia Inquirer, mars 1941 : “Cherche cuisinier blanc, comprenant les huitres. S’adresser chez Iliffe, 847 E. Allegheny, ap.13h”

Il existe deux principales espèces en France 

La plate : Elle vit sur les côtes françaises à l’état sauvage (Morbihan) La plus recherchée est la “Belon” Elle est rare aujourd’hui.

La creuse : Napoléon III (1853) s’aperçu du déclin des gisements. Le bougre s’en délectait ! Il autorisa alors la venue d’huîtres portugaises venues de l’embouchure du Tage. Un peu plus tard, un navire largua par accident, en mai 1868, ces huîtres qui trouvèrent un terrain d’épanouissement sur nos côtes.

Différentes qualités sont appréciées des connaisseurs

  • L’huître grasse : c’est en fait du glycogène (réserve donnant du sucre) qui se traduit par des zones blanches et lisses.
  • L’huître laiteuse : on la trouve surtout vers la fin du printemps et en été. Son aspect est lié à l’activité des organes de reproduction. Elle est moins digeste pendant cette période.
  • L’huître verte: une des meilleure est celle de Marennes. Vers la fin du mois d’août, une minuscule algue se reproduit et tapisse le fond de l’océan : la navicule bleue. L’huitre s’en nourrit et acquiert une couleur verte typique et un goût fin et délicat. Celles d’Angleterre étaient déjà recherchées en 1776, un livre en parle : La Science du Maître d’Hôtel Cuisinier.

Des terroirs et des crus

LA NORMANDIE est la première région ostréicole de France. Une huitre sur quatre consommée dans l’hexagone est originaire de cette région !

Quatre crus réputés pour une production d’environ 45000 tonnes par an.

  • Côte Ouest : de Portbail à Granville : mer pure, coquilles très solides, peu charnue, très iodé, huîtres maigres à consommer toute l’année.
  • Isigny –sur-Mer: pousse rapide car richesse en plancton, douce croquante, charnue, aime être cuite.
  • Saint Vaast-la-Hougue : extrême Nord de la pointe du Cotentin, goût de noisette, moins iodée et plus charnue que ses consoeurs, finesse de la chair…
  • Côte de Nacre : dernier né des crus normands. L’huitre vit à l’est d’Arromanches sur un site particulier : les courants y sont forts et riches, ce qui favorise une croissance rapide et un goût unique.

En BRETAGNE : Douze crus sont répertoriés :
  • La Cancale : Baie du Mont Saint Michel. Les coquilles peuvent être rondes et lisses ou ornées de fines dentelures, parfois douces…
  • La Paimpol : c’est une huître du grand large, bien iodée et salée avec une pointe fruitée.
  • La Rivière de Tréguier : les bonnes grasses recherchées par les amateurs.
  • La Morlaix Penzé : sa forme ronde est obtenue par herssage.
  • La Nacre des Abers : elle croît entre océan et ruisseaux d’eau pure. Cette huître, produite la plus à l’ouest de la France, est toute en finesse.
  • La Rade de Brest : célèbre pour son corps plein et généreux.
  • L’Aven Belon : c’est un lieu d’affinage uniquement.
  • La Rivière d’Etel : huîtres vertes à la chair noisette.
  • La Quiberon : beaux volumes, bien iodée.
  • La Golfe du Morbihan : 365 îles ! Nombreux herbiers.
  • La Pernef : presqu’île minuscule, petite production.
  • La Cancalaise : elle engraisse au large du Croisic. Je l’adore !
les producteurs exposent lors des Cabanes en fête à Andernos ©Assiette Gourmande
En VENDEE ATLANTIQUE
  • 3400 producteurs (conchyliculteurs) sur 1800 ha pour 16 000 tonnes/an.
  • Plusieurs lieux de production comme Saint-Jean-Croix-de-Vie, La Plaine sur Mer, Noirmoutier etc.
  • Elevage le plus ancien en France connu des Romains.
  • Les huîtres de la baie de Bourgneuf étaient très réputées au 18 ème siècle.

MARENNES OLERON :
Spécialiste de l’huître verte, de la spéciale de claire et de la “Pousse en claire”

BASSIN D’ARCACHON
*5000 producteurs produisent l’huître d’Arcachon, dite plate ou gravette et l’huître creuse.

BASSIN DE THAU pour des Huîtres de Bouzigues.

Comment déguster l’huitre

L’huître peut se conserver dix jours au frais, si possible dans une cave. Elle est meilleure après trois ou quatre jours. A 0°, elle meurt. Pour cette raison, éviter de la présenter sur de la glace pilée.
Il faut jeter la première eau. Le liquide se reformera de suite dans une huître fraîche. Certains amateurs tournent et retournent la bête dans sa coquille afin d’ôter le plus d’eau possible (merci amis Normands !)

Valeur alimentaire de l’huître 

Elles sont pauvres en calories, contiennent à peine 2% de lipides (70 calories pour 100 gr) ; 1 à 2 % de sels minéraux, beaucoup de vitamines (dont la B) et d’oligo-éléments comme le phosphore, le zinc, le sélénium ou le fer. Son temps de digestion est court : 2h55 contre 3h30 pour du pain et 4h pour un poulet rôti !

Par Daniel Zenner