L’édito de juillet-août du magazine “Que Choisir” m’a fait bondir. Son auteur, le rédacteur en chef, écrit un article pavé de bonnes intentions qui commence ainsi; “Cet été, peut-être serez-vous tenté de pousser la porte d’un restaurant, alléché par son menu qui fleure bon la gastronomie française. Mais, comment être certains qu’il y a bien un chef qui mitonne les plats inscrits sur la carte? Comment distinguer le restaurant qui cuisine des produits frais de celui qui réchauffe des plats tout prêts fournis par l’industrie agro-alimentaire?”
Merci “Que Choisir”, je vais enfin savoir comment ne pas me faire pigeonner à table, lors de mon séjour estival à Palavas-les-Flots ou à Toulon.
Ma quête du graal gastronomique va enfin aboutir: je vais bientôt détenir les clés qui vont à coup sûr me permettre d’ouvrir la porte, d’un bon restaurant. Finies les tables choisies au hasard, me voici doté d’un super outil pour trier le bon grain de l’ivraie: le fameux logo “fait maison”…
“Servez leur de bons vins, ils vous feront de bonnes lois.”
Cette maxime de Montaigne est, presque 500 ans après avoir été écrite, toujours juste et vérifiable. Nos politiques ont pondu un décret publié au journal officiel du 11 juillet 2014 concernant le “fait maison”. D’après le rédacteur en chef du magazine “Que Choisir “l’échec était patent”. Dans les cuisines et les salles de restaurants on a d’abord bien rigolé face à l’incohérence du décret et surtout son inutilité et son inapplicabilité. Une responsable des services de la répression des fraudes m’a avoué qu’elle ne disposait ni de moyens, ni des connaissances pour faire appliquer ce décret ou sanctionner le restaurateur négligeant, qui aurait oublié d’afficher son logo cocotte sur les cartes, menus et ardoises. Ce décret, on s’en doutait, n’est pas un échec patent mais un échec cuisant. Ce décret ridiculise ses auteurs et discrédite l’Etat. Il est, sans tambours ni trompettes, tombé à la trappe et ses auteurs doivent se cacher dans des trous de gruyère.
Giscard savait accueillir ses invités dans la tradition de la haute gastronomie Française, cette culture que d’autres pays nous envient, celle qui fait que la France est toujours le premier pays au monde, où les futurs grands cuisiniers viennent se former. Mitterrand ne dédaignait pas déguster un Château Margaux, la cave de l’Elysée était bien fournie, l’homme était aussi un érudit. Puis vint Chirac que l’on voit souvent en photo une choppe de bière à la main. Mais le contenu de ce verre n’est hélas qu’un breuvage industriel composé d’eau, d’alcool et de frais généraux. Les lettres de noblesse de la divine boisson cinq fois millénaire sont à chercher du côté des brasseries familiales et artisanales et la culture populaire bière n’a pas à rougir devant celle plus aristocratique dédiée au vin.
Et mettez moi aussi dans la bande de drôles, le rédacteur en chef du magazine “Que choisir”, car il n’emploie pas une seule fois dans son édito dédié aux restaurants, les mots “qualité”, “goût” et “plaisir”.
Les bobos Parisiens sont rassurés, les campeurs des “Flots bleus” sont comblés, la famille “Tant mieux” en vacances à la campagne va pouvoir choisir en connaissance de cause. Le “Pierres et Vacances” en visite à Eguisheim, dans un des plus beaux villages de France, va enfin pouvoir se ruer sans réfléchir dans un restaurant, et nos amis Hollandais pourront grâce à ce magique logo déguster en toute confiance une tarte flambée dans la Petite France à Strasbourg. Et moi, pour mon prochain déplacement à Carcassonne, je saurai où déguster le véritable cassoulet. Merci donc à ce nouveau décret, à nos politiques et à ce merveilleux logo en forme de cocotte surmonté d’un toit, qui je n’en doute pas, va enfin aider le consommateur dans son choix. Je vous le dis: on a pas fini de rigoler!
Alors là, je fulmine, j’enrage, je désespère. J’exècre l’auteur de ces lignes assassines, personnage incompétent qui ne doit jamais fréquenter de bons restaurants. Avoir la chance d’écrire un édito dans un magazine intègre ayant un fort impact et une visibilité médiatique reconnue et écrire de telles âneries!
Monsieur, j’ai dîné mercredi, pour la quatrième fois de l’année, dans un restaurant que j’adore: “La Vignette”, à La Roberstau, à côté du Parlement Européen à Strasbourg, vous savez? ….Là où nos politiques produisent des lois et des décrets, en buvant de l’eau…
A la Vignette, le chef Joël Margotton est entouré d’une équipe de plus de dix personnes. Ce petit monde arrive dès 8h30 le matin. Son restaurant accueille 100 convives. Plusieurs fois par semaine, il reçoit la marée: 200 kg de poissons frais. Ceux-ci voyagent entiers. En cuisine, ils sont écaillés, filetés, parés, tronçonnés. Les cageots de légumes frais, les herbes arrivent chaque matin. Les viandes sont maturées et choisies avec soin. La carte fait la part belle à la saison. Les clients ont le choix: chaque jour, une ardoise propose des suggestions en fonction du marché. De plus, il y a la carte, qui évolue avec les saisons et les coups de cœur du chef. Vous avez le choix entre plus de vingt cinq mets. Non, un vaste choix de plats n’est pas un critère de sélection pour qualifier un excellent restaurant d’une gargote. Et des gargotes de ce type, j’en fréquente assidûment une bonne quarantaine, en Alsace, tout au long de l’année!
Pour reconnaître un bon restaurant d’un mauvais, d’après vous, devons-nous donc attendre l’application d’un nouveau décret?
La crédibilité du nouveau logo “fait maison”
Voilà donc bientôt une charge de travail en plus pour les restaurateurs: encore des obligations administratives… pour le bien du consommateur? Rien n’est moins sûr car les fraudeurs se sont déjà organisés pour frauder. Acheter un produit industriel pour un restaurant X et le présenter dans le restaurant Y ? Magouiller les factures ? Simplement tricher en se disant que la petite amende réglementaire (en cas de contrôle…) sera largement payée par l’abondance des clients venus grâce à la cocotte coiffée d’un toit?
Et que dire de restaurateurs peu scrupuleux qui achètent à moitié prix un poisson “frais” en fin de vie? Il sera cuisiné “maison”. Mais dans ce cas-là, je préfère encore un thon pêché par un navire-usine, surgelé correctement en mer, une heure après sa pêche.
Cuisinier c’est un métier
Que dire des salades de carottes maison (avec le label vinaigrette comprise), dont les racines non lavées sont épluchées par une personne qui sort des toilettes sans se laver les mains? Et cette crudité qui traîne trois jours dans le frigo? Je préfère dans ce cas, une salade de carotte industrielle conservée sous azote.
Faisons la part des choses: ce label ne sera jamais un label de qualité.
Alors, comment choisir son restaurant?
En Alsace 170 restaurants se sont réunis sous le label “Chefs d’Alsace”.
Au niveau national, faites confiance aux “Logis de France” et à leur menu terroir. Le titre national de Maitre-Restaurateur est aussi une reconnaissance de qualité. Les panonceaux “Membre du Club Prosper Montagné”, “Disciples d’Escoffier”, “Maitre Cuisiniers de France”, “Collège Culinaire de France”, “Jeunes Restaurateurs d’Europe”, membre de “Slow Food” vous aident aussi dans le choix de votre table.
Et la nouvelle trouvaille?
Continuons à être intelligent. La personne intolérante aux crevettes ne prendra pas le cocktail de crevettes. La personne réactive aux pépins de fraises ne commandera pas le tiramisu aux fraises. Pour les fruits à coques, le gluten et autres aliments, demandez simplement au serveur qui vous donnera le réponse du chef.
Pour vivre vos vacances, fréquenter les marchés. Pour la même note, préférer un bon restaurant plutôt que deux mauvais. Et n’écouter pas les aigris: notre patrimoine gastronomique français est encore bien vivant! Et même si certains domaines vinicoles prestigieux sont achetés par des investisseurs étrangers, ceux-ci ne pourront jamais exporter les brumes tièdes et délicates qui viennent au petit matin caresser nos vignes pour engendrer la célèbre pourriture noble.
Alors, bon appétit et bonnes vacances!
Par Daniel Zenner