Noisettes de chevreuil, Mousseline de cèleri, gel kumquat, sauce aux baies de genièvre de Julien Binz ©Lukam

En venaison, à la sauvage, à la chevreuil

Dans un billet précédent, j’avais discuté les préparations « à la sauvage », que l’on applique, par exemple, à du rôti de porc, que l’on fait mariner plusieurs jours dans du vin rouge, du vinaigre, avec de l’huile et une garniture aromatique, souvent beaucoup d’oignons et d’ail ; on cuit la viande dans sa marinade, et, en fin de cuisson, on dégraisse la marinade, on la réduit et on la lie.

J’avais montré que cette préparation se distinguait de la préparation « en venaison », que François Marin décrivait en 1742 dans sa Suite des dons de Comus : il piquait un aloyau avec du lard et marinait dans du bouillon, du vinaigre, du sel, du basilic, de l’oignon, de la coriandre et des clous de girofle, pendant six heures seulement ; c’était servi, après rôtissage à la broche, avec une sauce poivrade liée.

Dans un cas, une longue maturation qui attendrit la viande, et, dans l’autre, une simple aromatisation.

Et la préparation « en chevreuil » ?

Pour le Guide culinaire, c’est une marinade pour le « mouton en chevreuil », ou encore pour des filets en chevreuil : ces filets sont les filets mignons qui sont piqués d’une rosace de lardons sur le milieu, mis en marinade courte, peu acidulée, où l’huile domine, pendant un temps qui est surtout déterminé par la température ambiante, et qui est, en moyenne, de 2 jours en été, et de 4 jours en hiver. Les filets en chevreuil se sautent à l’huile fumante après avoir été égouttés et bien épongés. On les dresse généralement sur croûtons en cœurs, frits ; ou en turban, en les alternant de croûtons.

Mais comme on se méfie des terminologies du Guide culinaire, je suis allé cherché plus avant, notamment en 1906 : Colombié, dans sa Cuisine bourgeoise, discute un « gigot en chevreuil », et voici ce qu’il en dit :

« Les auditrices de mes cours de cuisine savent combien je suis ennemi des viandes marinées, qui ne conviennent pas à beaucoup de tempéraments. Mais ayant reçu plusieurs demandes de la recette du gigot en chevreuil, appelé aussi gigot au chasseur, je la donne volontiers, mes préférences dernières étant celles de mes lectrices. Il y a deux façons de mariner un gigot, soit à chaud, soit à froid. La première méthode convient lorsque la viande a subi un commencement de décomposition par suite de temps orageux, d’un voyage en pleine chaleur, l’animal étant d ailleurs tué depuis peu de temps ; ou bien lorsqu’on est pressé de l’apprêter. Cette méthode active la décomposition de la viande, qu’on ne pourrait garder plus d’un jour ou deux étant ainsi traitée.

La marinade à froid est préférable ; avec elle la viande se fait lentement, prend plus de délicatesse, plus appétissante couleur.

La marinade : dans une casserole en cuivre bien étamé, de la contenance d’environ trois litres, faites légèrement dorer sur feu doux, dans 50 grammes d’huile d’olive de très bonne qualité, 100 grammes d’oignons (deux oignons moyens) et 200 grammes de carottes taillées en rouelles minces ; mouillez d’un quart de litre de vinaigre, d’un demi-litre de vin rouge, d’un litre d’eau filtrée ; ajoutez trois tranches de citrons, 50 grains de poivre, deux clous de girofle, une cuillerée à bouche de sauce française, très peu de piment enragé, de la muscade râpée, un peu de cannelle, deux feuilles de laurier sauce, du thym sans parcimonie, du persil, de l’estragon, de la sauge, de la pimprenelle, deux morceaux de sucre, une cuillerée à bouche de gros sel ; faites bouillir très doucement, casserole couverte, pendant cinq minutes ; retirez du feu. Si vous marinez à chaud, versez le contenu de la casserole sur le gigot, à travers un tamis. Si vous marinez à froid, laissez refroidir dans la casserole couverte avant de passer. Dans un cas comme dans l’autre, versez un peu d’huile par-dessus la marinade passée.

Pour la sauce : faites fondre 30 grammes de beurre, saupoudrez de 30 grammes de farine de gruau ; dès qu’elle est couleur noisette, mouillez d’un demi litre de la marinade, laissez mijoter pendant une bonne heure sur feu très doux, l’ébullition se faisant sur le devant de la casserole, pour que la sauce dépouille son corps gras ; écumez celui-ci ; goûtez pour constater le degré de salaison et la saveur du poivre qui doit légèrement se sentir. Passez la sauce une seconde fois au tamis, et tenez-la au bain-marie.

La sauce chevreuil doit être plus piquante que la sauce chasseur ».

« Gigots en chevreuil»  et « gigots en venaison»

Ce n’est guère différent des traitements précédents. Qu’en disait Joseph Favre, à la même époque ? Il distingue des « gigots en chevreuil», et des « gigots en venaison». Pour les premiers, ils sont piqués, puis « marinés pour leur donner le goût de venaison » propre au gibier. Autrefois on se servait surtout de gigot de jeune chèvre grasse, pour ce genre de préparation, qui se rapproche davantage de celle du chevreuil que le gigot de mouton. Pour le gigot en venaison, il y avait en plus du cognac, du vin de Bordeaux, du vieux vin de Madère ou Xérès, qui « donne à la venaison un goût aromatique, acidulé et suave, qui n’a rien de commun avec le goût de la marinade ordinaire ». La pièce était servie avec une « sauce à la sauge pour venaison », que l’on obtenait en faisant réduire à trois quarts des baies de genièvre récentes, dans un demi-litre de marinade fraîche, puis en passant, avant d’ajouter de la sauge hachée, du sucre et le jus de la venaison.

Pourquoi pas. Mais plus avant encore ? André Viard et M. Fouret, dans leur Cuisinier royal de 1822, discutent des filets de mouton en chevreuil. Rien sur des préparations à la venaison ou à la sauvage. La marinade dure 24 heures, dans ce cas.

Et je ne vois pas grand-chose d’autre. Finalement, que conclure ?

Que les préparations « en venaison » ou « en chevreuil » sont vraiment analogues : elles veulent donner un goût de « sauvage ». Pour la préparation « en chevreuil », elle s’applique à des animaux voisins : mouton, chêvre. Pour la préparation « en venaison », on peut traiter du veau, du porc, ou mouton et chèvre, mais aussi lapin ou poulet : la venaison ne se limite pas au seul chevreuil.

Quant à la préparation « à la sauvage », elle semble être identique à la préparation « en venaison ».

Et les façons de marinées dépendent des auteurs, toutes assez relevées, d’où l’usage du vinaigre ajouté au vin, avec des temps qui dépendent des goûts de chacun.

Par Hervé This

 

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