Je profite de la douceur inhabituelle de ce mois de novembre, pour aller encore glaner, avant les grandes gelées, fruits et baies dans ma montagne. J’ai rempli un bon tonneau de sorbier des oiseleurs. Les grappes de petites baies rouge foncé se cueillent facilement sur des arbres au bois fragile. J’adore déguster au creux de l’hiver, cette eau-de-vie connue et appréciée dans le pays Welche (Vallée de Kaysersberg).
Cette année les oiseaux ne m’ont laissé que quelques alises, ces fruits orangés qui donnent un schnaps aux arômes d’amande amère. Par contre, je suis arrivé à temps pour récolter le sureau noir. Celui de plaine à depuis longtemps disparu. J’ai laissé macérer les baies dans du bon vin rouge avec un peu d’eau-de-vie neutre. Dans deux semaines, je filtre puis ajoute un sirop de sucre : ma crème de sureau noir est prête !
Pour m’amuser, j’ai disputé aux écureuils, sous les hêtres, un demi-litre de faines. Autrefois, ces fruits qui ressemblent à de minuscules châtaignes donnaient une huile bienvenue dans les campagnes. Nos aïeuls avaient le temps et l’huile d’olive était inconnue en Alsace ! J’adore les faines grillées pour accompagner un poisson grillé.
Grâce à une année très sèche, les chênes se sont montrés prodigues : dans les sous-bois, de véritables tapis de glands se mêlent aux feuilles colorées. Bien cuits à plusieurs eaux, ils peuvent se manger, mais le jeu n’en vaut pas la chandelle : le goût est rude et reste tannique et amer !
Pensez à récolter en ce moment les prunelles, ce cousin sauvage de notre quetsche. Cette année, les arbrisseaux en sont pleins. J’en réalise d’excellentes gelées, des pulpes, et des sirops. Cru, le fruit est astringent et présente moins d’intérêt que cuisiné. Comme les églantines, n’attendez pas les grandes gelées pour les récolter, les fruits sont mûrs en ce moment.
Au verger, il reste encore des petites « Reines des Reinettes » et des « Christkindels »
Je ramasse les quelques noix que les pies ont oublié (Bien les étaler au grenier pour qu’elles sèchent rapidement, sinon elles moisissent…) Les noisettes et les châtaignes sont toutes tombées, vers et rongeurs en profitent bien !
Les cognassiers croulaient sous le poids de leurs fruits que je considère comme une source intarissable de créativité en cuisine. Son parfum m’enchante, comme ses qualités pour réaliser gelée et pâtes de fruits. Je trouve que l’on ne le valorise pas assez en cuisine !
La choucroute est bien nouvelle. Je l’entends encore fermenter. De temps en temps, dans un gros « blup », le couvercle posé sur le joint d’eau se soulève, pour laisser s’échapper une bulle odorante…
Bizarre année 2011. La neige à fondu rapidement mi-janvier sur un sol gelé : l’eau fraiche a rempli rus et torrents, oubliant de pénétrer l’humus des sous-bois pour constituer les réserves de printemps. Ce dernier est arrivé précipitamment avec ses concerts de chants d’oiseaux, son cortège de pousses et d’herbes sauvages tirées précocement de leur sommeil hivernal. Les fruitiers ont abondamment fleuris mais les abeilles n’étaient pas toujours au rendez-vous. L’été s’est vite mêlé au printemps, on ne savait plus trop. La végétation a souffert du manque d’eau : je regardais désespérément le niveau des sources et les près environnants aux courtes herbes sèches, leur croissance était stoppée.
Comme beaucoup d’Alsaciens, j’ai chauffé ma maison le 14 juillet ! Souvent en aout, les brumes enveloppaient toutes choses : on aurait dit l’automne ! L’eau, revenue fin juin, a nourrie les derniers regains, la terre respirait à nouveau. De belles poussées de champignons ont eu lieu mi-aout : les cèpes et girolles du pays accompagnaient les escalopes à la crème. Une cohorte d’espèces typiquement automnales est venue remplir mon panier : lactaire délicieux, chanterelle en tube, clitocybe nébuleux, bolet à chair jaune et trompette de la mort en quantité…
Depuis septembre, les pluies se font à nouveau supplier : la terre a de nouveau soif. Les quelques belles rosées matinales ne suffisent pas en forêt à réhydrater les mycéliums de nos chers cèpes. La fonte de la petite couche de neige tombée la semaine dernière suffit cependant à faire pousser en abondance dans les pâtures, la noble et grande coulemelle. J’adore la déposer sur le feu ardent d’une bonne braise, puis la déguster juste avec un peu d’huile d’olive et de fleur de sel.
Voila plus de dix ans que la saison mycologique n’est plus au rendez-vous en octobre. Je désespère et me rappelle les récoltes d’antan, quand les paniers croulaient sous le poids des champignons. Où sont passées les automnes froids et humides de mon enfance ?
J’ai découvert dans ma vallée une eau de vie rare et précieuse, qui pour moi, possède une complexité aromatique unique et une longueur en bouche exceptionnelle : la baie de houx.
Certes, pour les non-initiés, le premier nez peut paraître rustre, voir même déplaisant. Qu’à cela ne tienne ! Lancez-vous, le plaisir de la dégustation sera sans égal.
J’attends le mois de décembre pour récolter sur ma propriété ces baies rouge foncé, qui décorent souvent les couronnes de l’avent et qui sont vendues en branches à la sauvette sur les trottoirs des villes : l’espèce est protégée sur nos massifs, car le houx est arbrisseau à croissance extrêmement lente. Grâce à cela, on tournait dans son bois lisse et dur des rouleaux à pâtisserie ; il faut une cinquantaine d’année pour en fabriquer un !
Le bois est rentré. J’ai séché au dessus de la cuisinière qui ronronne depuis quelques jours, poires et pommes. Les récoltes sont toutes rentrées, les fruits du Berawecka peuvent bientôt macérer. Le vin rouge est au cellier et la cannelle dans le placard. L’oie est grasse et le cochon bien portant. Je peux maintenant jouir des couleurs éphémères mais éclatantes d’un automne dans ma montagne.
Par Daniel Zenner