Daniel Zenner partage son expérience passée au Restaurant &Samhoud places chez Moshik Roth à Amsterdam, 2 étoiles au guide Michelin.
Pour la première fois, je posais les pieds aux Pays Bas, ou en Hollande, je n’ai jamais su.
Je distinguais par les hublots de notre avion de larges bandes de sable définissant les bords dentelés de l’océan. Notre aéroplane vibrait. L’arrivée fût turbulente. Des vents puissants venus du grand large contraignirent l’avion à louvoyer pour atterrir enfin avec précision et minutie.
Nous étions attendus dans un des meilleurs restaurants d’Amsterdam, deux macarons au guide Michelin.
Un Ceviche de poissons et crustacés était assorti d’un croustillant de crevettes au combawa. Je soupçonnais en cet amuse-bouche des traces de guacamole et de chocolat blanc. Nous avions laissé carte blanche au chef. Celui-ci nous proposa un menu dégustation en harmonie avec des verres de vins. Nous ne savions alors pas ce que nous allions goûter.
Qu’on évacue sur le champ le champagne dont je n’ai pas fini la coupe. Ce vin bourré de gaz carbonique me gâche le plaisir de savourer ce Ceviche, d’apprécier les multiples saveurs de ce premier plat.
Je veux, j’exige un vrai vin. J’aimerai tant un cru de Loire pour accompagner le faux sorbet à la poire Williams et gin d’une surprenante texture onctueuse, sans la sensation thermique glacée, censée définir un sorbet. Je suis perturbé. Je perds mes repères.
Un verre de bourgogne arriva. Ce chardonnay obéissait à ce que l’on pouvait attendre d’un tel cépage : de la rondeur, des notes de beurre et de pain grillé, un peu de vanille. Mais il fût assez court en bouche, excitant mon palais de sa plaisante et franche acidité.
Comment apprécier maintenant la glace au topinambour? Des saveurs d’artichaut, de patate douce, de pomme boskoop confite? Un Savenniéres nous fut servi. Voici l’accord parfait.
Toujours l’équilibre, voilà le fil conducteur de ce repas gastronomique, de ce voyage au pays des saveurs.
Je ne suis pas venu en ces lieux pour manger, me repaître, me remplir la panse. J’ai réservé une table pour prolonger mon voyage en Hollande, pour vivre des émotions, découvrir des goûts surprenants, des mariages osés, des juxtapositions d’ingrédients nouveaux, des combinaisons de saveurs, de nouvelles sensations gustatives, et tout simplement: celui de terminer une assiette et d’attendre fébrilement la suivante, excité comme un gamin devant une gaufre de foire.
Une crème de yaourt. C’est pas très sexy une crème de yaourt, comme ces produits de l’agro-alimentaire qui traînent sur les rayons réfrigérés des grandes surfaces, juste à côté des cœurs de camembert, merveilleux fromage dont on a retiré son âme, sa croute fleurie ! Mais ici, la crème de yaourt fut croquante, un tour de passe-passe, une prouesse technique du chef. La masse molle du lait fermenté avait revêtu des habits de fête. Enfermée dans une carapace croquante, la texture spermatique du yaourt se libérait enfin dans ma bouche, éjaculant sa saveur acide et veloutée, épaisse et crémeuse. Les formidables et fines lamelles de sel de Maldon croquaient sous la dent. Le sucre et le sel, revendiquant chacun leur caractère primordial, s’envoyaient pourtant en l’air dans cette crème lactée, légère et volubile, croquante et molle, tiède comme un fruit d’été cueilli mûr sur l’arbre.
Un turbot. Oui, un turbot de pleine mer arriva.
Le bête fut prise, attrapée dans les filets. La voici présemptement dans mon assiette, pour mon plus grand bonheur.
Le filet de turbot était dressé sur une assiette colorée par un gel d’argousier et un beurre noisette à la tanaisie, une plante sauvage de la famille des astéracées, cousins de la camomille. Celle-ci présentait des saveurs mentholées et camphrées. Un précieux trait de vinaigre tonifiait ce beurre parfumé. Le mariage était parfait, la cuisson du poisson restait nacrée. Beaucoup d’énergie émanait de ce plat.J’étais assis, le dos tourné à la cuisine. Je ne voyais donc pas les personnes de salle arriver, portant les assiettes, mais devinais au parfum qui devançait l’arrivée du mets, que le roi des crustacés s’invitait maintenant à table. Il s’agissait effectivement, et pour ma plus grande joie, d’un homard bleu préparé aux agrumes et aux algues. Un de mes vins adulés, un Condrieu, souple et gras, aux arômes de fleur d’acacia, de coing confit, d’abricot mûr et de mangue séchée vint tempérer la précision de l’œuvre. Le Viognier, du côté de chez Cuilleron, à la bouche vive et plaisante renforça le goût iodé du crustacé. De la longueur et de la persistance, de la délicatesse mais aussi de la force. Le plat et le vin s’épanouissaient dans un monde de saveurs paradoxales.
Deux pavés de filet de chevreuil, assortis d’une garniture de légumes un peu décevante, se trouvaient heureusement relevés d’une vraie sauce gibier, réduite à souhait, épaisse, noire et brillante, sirupeuse, amylacée. Un Rioja nous fût servi dans de larges verres ronds. Harmonie simple mais toujours bienvenue. De la puissance sur de la réduction.
Quelques pré-desserts nous amusèrent beaucoup. J’ai hélas oublié de tous les noter. Je me rappelle avoir dégusté pleins de mignardises disposées sur une assiette noire, des saveurs nouvelles, des textures amusantes, comme cette tranche d’orange semi-confite, peu sucrée mais croquante ou cette gelée parfumée à l’aloé vera, présentée comme une pâte de fruit.
Un divin et fin rouleau croustillant au chocolat blanc fit son appariation sur la scène de fin de repas.
Un verre de vin blanc à la robe jaune clair nous fût servi. Comme je connaissais la sommelière, une petite japonaise ayant appris dans les plus belles maisons de France, celle-ci nous servit les vins à l’aveugle. Avec mes amis de table, nous cherchions à mettre un nom sur le vin qu’elle venait de nous servir. Je l’avouais sans détour, j’étais perdu. Le nectar, rond et gouleyant mais d’une belle fraicheur offrait les parfums typiques d’un sauternes ou d’un vin d’Alsace boytritisé. Ce vin était en fait composé de plusieurs cépages hétéroclites, car issus de plusieurs régions de France: du Gewurztraminer, du Sémillon et du Chardonnay. Voilà un vin multiculturel affichant de prime abord l’aspect variétal avant celui du terroir.
Ce dîner fût un des plus beaux vécu en 2015. La fraicheur éclatait dans toutes les assiettes. L’acidité maitrisée avait été la reine de ce mémorable dîner, la ligne conductrice accompagnant des produits racés et de saison, présentés chacun de façon esthétique, très contemporaine.
Lors de mon dîner, je n’ai pas vraiment mangé quelque chose de chaud, car les aliments, dans cette cuisine minutieuse, presque chirurgicale, ne pouvait pas être surcuits. A coeur, les poissons ne dépassaient pas certainement les 56 degrés centigrade. Les cuissons furent donc maitrisées, non pas au doigt et à l’œil comme le pratiquaient l’ancienne génération de cuisiniers, mais au thermomètre et au chronomètre, ce qui est moins poétique mais préserve et valorise mieux les qualités du produit.
Une trame acide tout au long du repas, une harmonie mets-vins juste et bien pensée, une qualité et une fraicheur des produits irréprochables, l’originalité dans le mariage des saveurs, le tout mis en scène dans une symphonie texturelle, interprété par un génie des fourneaux.
Par Daniel Zenner
Amsterdam Samhoud places, janvier 2015