Combien de sel faut-il mettre dans l’eau de cuisson des asperges ? Nous sommes bien d’accord que cela est un choix « esthétique » (en cuisine, le « bon », c’est le beau à manger, et le mot « esthétique » ne désigne pas le beau à voir, mais le bon), de sorte que chaque artiste culinaire fait ce qu’il juge bon. La question n’est pas là, sans quoi nous n’aurions pas consacré un séminaire de gastronomie moléculaire à l’étude de cette question.
Si nous avons fait l’étude de l’influence de la quantité de sel dans l’eau de cuisson sur le goût, c’est qu’il avait été dit, par un chef étoilé, lors d’un séminaire ancien, que « les asperges ne prennent pas de sel ». Autrement dit, on aurait pu ajouter autant de sel que l’on voulait dans l’eau de cuisson, sans que les asperges ne soient trop salées. Ou encore il aurait fallu considérablement sursaler l’eau pour avoir des asperges correctement salées.
Nous avons décidé de tester expérimentalement cette idée, en comparant des asperges cuites soit dans de l’eau sans sel, soit dans de l’eau très salée. Mieux, pour avoir des points « fixes », reproductibles par tous, nous avons décidé, dans un premier temps, de comparer une eau sans sel, et une eau de cuisson saturée en sel : quand l’eau bouillait, nous avons ajouté du sel jusqu’à ce qu’il ne se dissolve plus. Oui, l’eau était excessivement salée… mais puisqu’on nous avait dit que les asperges ne prenaient pas le sel, autant essayer de le faire.
Les asperges (de même calibre) ont été pelées, placées dans de l’eau bouillante, cuites pendant le même temps, rincées sous l’eau claire… et consommées en aveugle : aucune hésitation à avoir, l’idée proposée était fausse ! En effet, les asperges cuites dans l’eau non salée n’étaient pas salées… mais les asperges cuites dans l’eau sursaturée en sel étaient beaucoup trop salées, et bien plus sur le pied que sur la pointe (l’eau salée entre par capillarité par le pied).
De surcroît, l’asperge dans l’eau trop salée est plus molle, et il y a une différence de couleur : la tête est plus verte, et plus jaune dans l’eau non salée.
Puis nous avons comparé des asperges cuites dans l’eau saturée en sel, ou dans de l’eau « normalement » salée. Le même effet que précédemment est observé, à savoir que les asperges dans l’eau normalement salée ont été bien salées, mais les asperges dans l’eau trop salée étaient trop salées.
La conclusion est donc très claire : contrairement à ce qui a été prétendu, les asperges « prennent le sel », et il n’est pas souhaitable de trop saler l’eau de cuisson.