Ainsi qu’il le décrit dans un joli parchemin portant profession de foi et déposé à l’endroit de ses convives, la cuisine de Christian Sinicropi crée une identité gourmande complète. Ce n’est pas “Je” mais “Nous”. Et le “Nous” en question, ce sont les producteurs, les éleveurs, les maraîchers, les pêcheurs, les cuisiniers, les serveurs, les artistes, les céramistes…
Entretien avec le Chef exécutif doublement étoilé de l’Hôtel Martinez à Cannes: un homme de convictions dont le caractère affirmé se teinte d’une grande pudeur.
Accompagné du Maître d’Hôtel Guillaume Mantis, je m’installe. C’est l’endroit idéal pour observer le ballet bien réglé de la brigade, mené par Mathieu Molero, Sous-Chef Exécutif des cuisines du Martinez et Christophe Nanonni, Chef de la Palme d’Or.
En pâtisserie, l’équipe de Julien Ochando le Chef Pâtissier, met la dernière main aux amuse-bouche. L’un d’entre eux, une succession aérienne de feuilles constellées de cumin, de pavot ou de sésame, attire mon attention. Une telle finesse n’est obtenue qu’en étalant la pâte au pinceau à travers un pochoir et en la faisant sécher avec une grande délicatesse.
Posés sur des supports en céramique de couleur, des mini barbajuans, des billes d’olive à la tapenade et coulis de poivrons vinaigré, des noix de pili enrobées d’un confit de sardine, ou encore des anchois et herbes de Provence, clin d’œil à une tradition qui remonte au Moyen-Âge.
La cuisine est un tout…
Cette proximité de la cuisine et de l’art contemporain procède d’une volonté d’habiller les ingrédients et les textures d’un relief et de nuances qui les mettent en valeur dans une dynamique hors des modes.Quand je lui demande comment il créé sa cuisine, le Chef souligne:
– Chaque molécule d’un plat comporte une saveur. Leur réunion lui donne sa personnalité. Le plus grand atelier, c’est dans notre esprit qu’il réside, mais penser une recette reste un exercice intellectuel si on ne matérialise pas un résultat. C’est ce que je m’attache à faire en essayant à chaque fois de sublimer la nature profonde du produit.
Très vite, je saisis que la démarche créatrice de Christian Sinicropi se fond dans un équilibre entre soi et les autres, entre le refus de toute dépendance, hormis celle de l’essentiel. Cela suppose une belle dose de résilience et de confiance en soi. C’est précisément ce que lui a apporté le regretté Christian Willer, “L’Alsacien de la Croisette”, sept fois étoilé, et qui n’a pas hésité à lui confier les clés de la Palme d’Or en 2007, après 5 ans de collaboration.
– Au delà de l’exemple permanent de son talent, Christian Willer m’a protégé, il a installé des garde-fou qui m’ont préservé du côté aveugle des gens.
Le Chef jette un regard en cuisine.
– Vous voyez ces commis, ces jeunes chefs de partie? Ce sont une de mes plus grandes fiertés. Il faut leur donner leur chance, comme le Chef Willer me l’a donnée.
– Et Franck Cerruti au Louis XV?
– Il a clarifié ma cuisine. En fait, il m’a apporté ce que j’attendais: une cohérence dans l’appréhension de la cuisine du Sud.
Le cube et les trois temps…
C’est ce que symbolise le mouvement du cube, qui présente sur chacun de ses côtés une facette de l’offre en trois déclinaisons, autour d’un thème ou d’un produit. La proposition actuelle comporte:- Le Végétal
– L’huitre de Méditerranée
– La langoustine et le gamberoni
– Le Sud, mes racines
– Tradition et inspiration autour du bovin
– Le pigeon fermier du Mont-Royal
Les trois temps doivent rallonger le plaisir et l’envie d’un client qui possède seul la dernière pièce du puzzle, quand l’assiette est déposée devant lui.
Christian Sinicropi ajoute:
– C’est un parcours, un cheminement. On ne garde pas les choses pour soi. Dans ma cuisine, je prends l’énergie et je la restitue. Et c’est une énergie collective.
– Votre route peut-elle encore prendre une voie différente?
Le Chef a un sourire.
– Je ne m’interdis rien. Nos limites sont celles de notre curiosité. Une seule question compte: A-t-on trahi l’enfant que l’on a été? En ce qui me concerne, je pense que je lui suis fidèle.