Il sont quelques chefs en Alsace à bénéficier de superlatifs généreusement attribués par Gilles Pudlowski, une hyperbole significative pour Philippe Bohrer, chef de deux établissements étoilés et surnommé le ” petit Ducasse alsacien.”
Philippe Bohrer est, certes, moins connu qu’Alain Ducasse. Tandis que le second gère une quarantaine d’établissements haut de gamme dans le monde entier (de la table tendance style Mixt à Las Vegas, Trattoria à Monaco ou Spoon à Paris, aux trois étoiles de Paris, Londres et Monte Carlo, en passant par des auberges en Provence et des bistrots à l’ancienne), et une chaîne hôtels (Châteaux & Hotels Collection), le premier en possède une vingtaine d’établissements entre Habsheim (la Table de Louise) et Strasbourg (le Crocodile, le Stadtwappe), en passant par Colmar, Mulhouse (la Bourse), Illzach (chez Edouard) ou Guebwiller (La Table de l’Ange), sans omettre la table étoilée de Rouffach qui porte son nom et sa brasserie Julien, plus une chaîne hôtelière et gourmande dite Alsace Booking, Hôtels & Co.
Formé dans de grandes et belles maisons (Gaertner à Ammerschwihr, Loiseau à Saulieu, Lameloise à Chagny,Bocuse à Lyon), Philippe Bohrer, qui fut aussi chef à la présidence de la république jadis, et que l’on prit longtemps pour un jeune chef malicieux, doué d’idées, mais se contentant de jouer sa carte perso dans son village, est devenu le businessman que l’on sait désormais.
La chance pour le gastronome, c’est que tout ce qu’il touche se transforme sinon en or, du moins en lieu de qualité. Témoin, la Table du Verger que je viens de tester, à deux kilomètres de Dambach sur la route des vins.
Il y a là une haute façade moderne avec son colombage repeint et stylisée, des chambres fonctionnelles et rénovées qui ont vue sur les vignes, plus une table sérieuse, mi-winstub, mi-gastro. Où l’on sert une cuisine bien vue et bien faite à un prix fort raisonnable. D’où les grandes tables littéralement prises d’assaut.
Par temps ensoleillé, la vaste terrasse a du succès. Tout le monde mangeant joyeusement des choses rustiques ou chics, ou les deux, à la fois savoureuses, légères et fraîches. Le hareng mariné à la crème, avec ses pommes de terre sautées en cocotte Staub (à 5€ la belle portion !), le carpaccio de veau avec son jus de viande, la carpe frite servies à volonté, la belle tête de veau, le croustillant de pied de cochon au vinaigre de banyuls, la roulade de homard aux courgettes avec son crémeux au saté (le plat le plus cher de la carte à 22 €), le siesskäs avec sa confiture de myrtilles, comme l’exquis vacherin glacé sont des mets fort bien vus et tarifés avec gentillesse.
On ajoute les vins du coin, signés Klipfel à Barr (pour le riesling coup de coeur du jour) ou Gisselbrecht à Dambach (exquis pinot noir dit barriques, mais où le fruit reste majoritaire). Le service est empressé, sous l’oeil de Luis, jeune mexicain élégant rallié au pays d’Alsace avec verve, et la belle- soeur de Philippe.
Car chez le petit Ducasse alsacien, qui a le profil d’un dessin néo-moyenâgeux de Léo Schnug, l’illustrateur 1900 de la Kammerzell, tout se fait en famille. Sa femme est à la déco et au marketing, lui à gestion et… à la cuisine.
Bref, à Dieffenthal, parmi une vingtaine d’autres pièces disséminées dans le paysage alsacien (mais il pourrait bien y en avoir d’autres), et rassemblées sous le nom de “Alsace Booking Hôtels & Co “, on sait faire bien, bon, pas trop cher et remplir la salle ou la terrasse avec efficacité, sérieux, probité et joyeuseté.
Un article de Gilles Pudlowski