Alexandre Mazzia (“le Bienheureux !”) est le Cuisinier de l’année 2019 du Gault&Millau

Lundi 12 novembre 2018, le Gault&Millau récompensait les lauréats de son palmarès FRANCE 2019. Que d’émotions quand son épouse et toute sa brigade montent sur scène.

Retour sur un parcours, Alexandre Mazzia rend hommage au Gault & Millau qui l’a soutenu depuis le début, (avec la dotation), à Marc Esquerre qui faisait “toujours peur quand il arrivait, mais il avait raison de le pousser”, aux chefs qui l’ont guidé et avec une spéciale dédicace à Marco son pâtissier.

Video de la remise du prix

Anne et Alexandre Mazzia ©Sandrine Kauffer-Binz

LETTRE d’ ALEXANDRE MAZZIA publiée sur Facebook 

“Mon grand-père était pêcheur sur l’Île de Ré. Il aimait les formules. Il m’en répétait une sans cesse : « Aime ton métier, un jour il te le rendra ». Mon grand-père avait raison, le titre de Cuisinier de l’année 2019 Gault&Millau en est l’une des plus belles preuves.
Mon père, lui, vendait du bois en Afrique. Il m’a dit un jour : « Cuisinier, c’est bien, ça permet de voyager et, si on n’est pas trop mauvais, on gagne bien sa vie ». Mon père avait à moitié raison, j’ai beaucoup voyagé et je voyagerai encore.

Pour moi, le déclic est venu lors d’un repas avec mes parents chez Joël Robuchon, avenue Raymond Poincaré, à Paris. Je n’étais qu’un enfant, tout juste adolescent. Je me souviens très bien de la prestance et de l’aisance du maître d’hôtel aux cheveux gominés. Je me souviens surtout d’avoir eu le sentiment que nous étions considérés à l’égal de tous les autres clients. Je ne l’ai jamais oublié. Tout a commencé ici. Merci Monsieur Robuchon.
Je garde aussi en mémoire cet autre dicton de mon grand-père : « La parole vaut l’homme ou l’homme ne vaut rien ». Au moment d’être honoré pour mon travail, pour le travail de toute mon équipe, je veux remercier ces hommes de parole qui m’ont ouvert les portes, qui m’ont écouté, inspiré, m’ont aider à comprendre qui je suis en me consacrant un temps qu’ils n’avaient pas forcément, en posant un regard sur moi, un regard généreux. Ils n’étaient guidés que par une chose, la bienveillance, sinon pourquoi l’auraient-ils fait ?
Je pense à Santi Santamaria, cœur sensible et créatif, qui m’a ouvert les portes de la grande cuisine contemporaine espagnole.

Je pense à Pierre Gagnaire, qui me fera rêver toute ma vie, qui m’a fait comprendre le sens de déconstruire pour reconstruire.
Je pense à David Toutain, « Dadou », mon meilleur ami, sur qui je peux toujours compter, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, homme sensible et merveilleux.
Je pense à Michel Troisgros, homme délicieux avec qui on peut parler aussi bien d’architecture et d’art contemporain que de cuisine.
Je pense à Jean-Luc Rabanel, capable de m’appeler en pleine nuit, de très loin, pour me dire de croire en moi, et de poser toujours un regard sincère et constructif, comme un second papa.
Je pense à « Christina » allias Christine
Je pense à Alain Passard, que l’on ne peut qu’aimer, qui m’a permis de comprendre le sens de comment affiner le trait d’une main légère pour mieux l’appuyer.
Je pense à Yannick Alléno, qui m’a fait briller les yeux en 2015 par sa classe étincelante.
Je pense à Gilles Goujon, qui m’a tout expliqué sur l’ouverture d’un restaurant, la patience, les erreurs à ne pas commettre, la nécessaire attention aux autres et à soi-même.
Je pense à Luc Dubanchet, journaliste visionnaire sans faux-semblant, boulimique de vie, gourmand à jamais, qui m’a fait vivre un moment unique, mettant en lumière ma cuisine et la ville de Marseille alors que je venais à peine d’ouvrir.
Je pense à Michel Bras, qui m’a aidé à comprendre le rôle essentiel de la lumière dans les assiettes, cet éclat au-delà de l’esthétique, cette profondeur qui attrape le regard du gourmet, cette vibration qui m’inspire, au spectacle d’un pin ondulant dans le vent au coeur des calanques.
Je pense à Gérald Passédat, pour ce dîner la veille de la naissance de notre fille Juliette, avec JB et Marco, qui a été une révélation.
Je pense à Pascal Barbot, insatiable curieux, au cœur brillant tel un maestro.
Je pense à Arnaud Faye, le premier chef au Hom-Art, amitié éternelle
Je pense aux frères Pourcel, qui ont mis du soleil dans mon cœur grâce à leur cuisine profondément chantante, à l’image du Sud.
Je pense à Georgiana, comme une sœur
Je pense à Michel Portos, chef de l’année « marseillais » aux paroles franches et sincères.
Je pense à Eric Jambon, généreux et bienveillant
Je pense à Christophe Bacquié, Emmanuel Renaut, Olivier Nasti, chefs-frères qui montrent une détermination sans faille et des engagements vrais, un exemple.
Je pense à Jean-François Rouquette, qui m’a ouvert les portes d’un palace parisien, homme exceptionnel de générosité.
Je pense à Alexandre Couillon, qui m’a mis les larmes aux yeux pour son titre de chef de l’année.
Je pense aux frères Tourteaux, double Bernard L’hermite exceptionnel, à jamais fraternels.
Je pense à Yoann Conte, El Pablo, homme enjoué et envoûtant.
Je pense à Dimitri Kuchenbrod, l’ancien cuisiner, homme attachant
Je pense à Franck Pinay-Rabaroust, premier à avoir mis en lumière notre cuisine il y a 7 ans déjà, homme attentionné et sincère.
Je pense à Oliver Roellinger, qui m’a démontré que l’on pouvait être le capitaine de sa cuisine comme d’un bateau.
Je pense à Denis Courtiade, qui me fait briller les yeux par sa passion, chapeau bas Monsieur.
Je pense à Anne et Jean-Philippe Garabedian, les généreux, à jamais dans mon cœur.
Je pense à Akrame le grand frère
Karine et Ludovic Turac, les Pikachu de la table au Sud ; Dimitri et Marielle Droisneau, la gentillesse normande ; Hervé Rodriguez le baroudeur ; Olivier de Basquiat, un frère ; Jérôme Roy l’ingénieux ; Olivier Dugabelle, mon professeur modèle ; Lombardi, l’inclassable ; Robert Amar, le sauveur ; Anne-Sophie allias Churros ; Anne-Marie et Gérard Altenburger; Gérard, le parrain ; Charlotte, la sensible ; Roland Bonello, The Doc ; les Cortinovis ; Robert Fauchet, le Papi que l’on aimerait tous avoir ; l’équipe de Pointe-noire menée par Vince, le déterminé ; Tic et Tac alias Mika et Yu Shimatanî ; Julien Claude, le Vosgien ; Jean-Laurent, mon frère ; Zohra, la débutante ; Gourméditerranée et tant d’autres…
Je pense à Arnaud Donckele, pour ses mots tendres et affectueux.
Je pense aussi à Hélène Cantin, ma grand-mère, 98 ans printemps, qui m’a soufflé a l’oreille de m’engager dans ce merveilleux monde de la cuisine.
Je pense à mes producteurs, Jean-Baptiste Anfosso, dont les légumes sont des œuvres d’art, Xavier Alazard et ses huiles merveilleuses, Sylvain Erhardt et ses asperges « du Pérou », Grégory Philippe et sa cueillette miraculeuse, Florent, Éric, Fabien et leurs poissons magiques, tous présents lorsque le restaurant était encore en chantier, fidèles parmi les fidèles. Et tous les autres, que je ne peux citer.
Je pense aux Marseillais, joyeux et spontanés, à l’image de cette vieille dame qui m’a reconnu dans un bus, il y a quelques jours, et a fait applaudir tous les voyageurs, chauffeur compris… Larmes aux yeux.
Je pense bien sûr à tous les membres de mon équipe, qui est monstrueuse de générosité.
Samuel Beatrix qui a sauté dans ce projet sans filet, à jamais gravé.
Hafid Groud, 10 ans déjà, qui a surpassé ses peurs et ses limites insoupçonnées qui font ma fierté.
Lucas Pierre, le sensible. Antoine Blanchard, en qui je me reconnais il y a plusieurs années, Damiano el Pasta, Alexis dit Suzette, Maylis, la petite, Romain la pile électrique, Clarys la discrète,Thomas à jamais les premiers, Abdou le souriant, Jean-Philippe l’acteur passionné.

Je ne les remercierai jamais assez pour leur rigueur, leur patience, leur confiance, même sur les chemins parfois escarpés où je leur propose de me suivre, certains que nous ferons mieux demain qu’hier.

Je pense à Côme, homme imprévisible de bienveillance, jamais je n’oublierai.
Je pense aussi à vous, nouveaux lauréats de la dotation, jeunes talents, sommeliers, pâtissiers, maitres d’hôtel, grands de demain et nouveaux toqués… Félicitations du fond du cœur.

Je pense à la personne la plus importante, essentielle même, que je dois préserver…
Ma femme, Anne, sans qui rien ne serait possible, coussin de sérénité quand le blues s’invite, toujours positive avec cette force de caractère qui m’encourage à aller de l’avant, quelle que soit la difficulté. Essentielle et vitale. À jamais ma moitié.

Je pense à mes enfants, Gabriel et Juliette, parce que je pense tout le temps à mes enfants.

Je pense enfin à quelqu’un qui ne pourra pas être à Paris avec nous lorsque je recevrai ce prix inespéré et impensable. Il est pourtant à mes côtés depuis très longtemps, c’est un frère d’arme, un frère de coeur. Aujourd’hui, il se bat avec courage contre un mal qui le ronge mais qu’il vaincra, j’en suis sûr.
Cet homme c’est Marco… Mon Marco…!
Il s’appelle Marc Altenburger, mon double de travail, de rigueur, d’abnégation.
Certains d’entre vous le connaissent déjà.
Et, si vous le permettez..,
…je souhaite lui dédier ce trophée de « Cuisinier de l’année 2019 ».
Avec ma plus profonde affection, je vous embrasse.
Je vous aime.
Alexandre le Bienheureux !

Avec toute sont équipe du restaurant AM et celle du Gault & Millau ©Sandrine Kauffer-Binz
Alexandre Mazzia est le Cuisinier de l’année 2019 du Gault&Millau

“Après l’avoir croisé au Ventre de l’Architecte, dans les constructions superbes et originales du « fada », Le Corbusier, c’est à un autre jeune et talentueux fada que Gault&Millau décidait d’attribuer la première Dotation Gault&Millau d’aide aux jeunes talents”, a souligné Marc Esquerré

A ce moment-là, le chef voulait voler de ses propres ailes, mais n’avait pas encore les moyens de s’installer et ne comptait que sur quelques aides familiales, encore modestes. Cette dotation allait lui ouvrir des portes, celle des banques notamment, et lui permettre de s’installer du côté du Vélodrome.

Le mot du Gault & Millau
L’expérience d’un moment (plus vraiment la peine de parler de restauration, ou même de repas…) chez Alexandre Mazzia, va beaucoup plus loin que le temps d’un dîner. En une vingtaine, parfois une trentaine d’assiettes, de choses qui se goûtent”, il livre sa vision, large, de l’émotion culinaire, et il se livre, entièrement, par sa recherche, sa profondeur, son engagement. L’expo de cette année marque, au-delà des très nombreuses nouvelles idées, une maîtrise encore plus aboutie des cuissons, des températures et du “dosage” des arômes et saveurs : sur les poivres et sur les condiments, l’aromatique qui peut aller jusqu’au métallique ou au minéral, sur le fumé magnifiquement distribué, qu’il vienne de l’anguille ou du hareng, du chou-fleur ou de la pancetta, sur les épices comme bien sûr sur les textures (un exemple symbolique, les oeufs de truite et saumon sauvage au saké et lait fumé, le palet chocolat anguille fumée et en contrepoint croustillant une géniale biscotte végétale poivre de Sarawak yuzu texture de tobiko…).
Côme de Chérisey et Alexandre Mazzia, restaurant AM à Marseille

Peu ou pas de banalité, de “plat pour rien” dans cette séquence qui vous transporte, les bravos à cinq toques allant cette année à la petite chips de topinambour katsuobushi de crevettes parmi les mises en bouche, la chair de tourteau sous un voile de loup mariné à la betterave et au saké, semoule envoûtante parfumée à la fleur d’oranger garum de tourteau (une version adoucie…) et jus des carcasses en émulsion (on frise le 20/20), le diabolique triptyque hareng moule maquereau discrète noix de coco betterave et jus vert légèrement moutardé de diplotaxis, gambero rosso jus des têtes avocat et chou-fleur fumé poivre vert câpre accompagné d’une brioche façon tropézienne à la sardine condiment gingembre pamplemousse et Colonnata… Au pointu puissant que l’on connaissait chez Alexandre, s’ajoute désormais une dimension globale d’aboutissement : moins d’angles, plus de rondeur… Un psychanalyste d’arrière-cuisine vous expliquerait que la naissance de sa fille a permis, par transfert, cet arrondissement, toujours-est-il que désormais le plaisir, la satisfaction du goûteur est au moins égal à celle de l’inventeur, ce qui est aussi une évolution. Dans ce maelstrom de de saveurs étourdissantes, le pâtissier (disons l’homme des desserts) tire également fort bien son épingle du jeu, avec son chocolat navet bacon, le citron goyave agrumes et chocolat blanc ou la mangue ananas pleine de fraîcheur (attention toutefois de ne pas tourner en rond sur le concept chocolat-légume…). Ce pop-up permanent ne saurait autant séduire sans l’atmosphère de mangeurs avertis – on pourrait presque dire impliqués – dans la confidence et la confiance, animant cette salle sans formalité en prise directe avec la cuisine (quelques veinards sont au comptoir, face au passe). Excellente orchestration de Samuel, travail toujours aussi pointu à la cave, avec les codes d’usage (Agrappart, Morantin, Souhaut par exemple) et une belle palette de découvertes permettant un pairing total avec la rafale d’assiettes.

www.alexandremazzia.com