Le 06 décembre, la production des mannala atteint son paroxysme lors du manala owa, une soirée célébrée dans toute l’Alsace. Elle consiste à dévorer le plus grand nombre possible de ces brioches en forme de petit bonhomme en les trempant dans du chocolat chaud pour faciliter l’ingestion. Cette tradition encore bien vivace me réjouissait fort quand j’étais enfant, car j’avais l’impression de prendre le petit déjeuner au dîner. Mes parents, venant de Belfort, ne parlaient pas l’alsacien. Ils nommaient donc ces mannala des Jean-bonhommes, appellation que l’on retrouve encore en Franche Comté.
Concernant le sexe des mannala, sujet souvent abordé en Alsace, me voici ignorant. Quelques essais réalisés par des boulangers audacieux ont tenté de donner à la brioche un peu moins de brioche au niveau du ventre mais plus au niveau de la poitrine. Ces essais n’ont pas eu l’engouement voulu, car en Alsace, on ne badine pas avec les traditions. Je pense tout simplement que les mannala sont comme les anges : asexués, malgré un taux de fécondité remarquablement élevé !
L’histoire du Saint-Nicolas
Nous ne les avons jamais vus et curieusement, pendant ce temps douloureux, mon père n’était jamais présent pour nous rassurer…Cancre à l’école, j’étais encore plus inquiet que mes frères et sœurs par le passage du patron des écoliers.Puis, nous sortions prudemment pour chercher les assiettes. À la lueur faiblarde et vacillante de petites bougies, les assiettes regorgeaient de mandarines, de chocolats, de pains d’anis, de sucreries enveloppées dans des papiers colorés et brillants et des fameux pains d’épices en forme de Saint Nicolas avec son effigie collée au sucre.
Les fameux beraweka
Les Pains d’épices
En automne toujours, Bernard et moi montions quelques fois dans le grenier pour goûter une pâte qui reposait depuis plusieurs mois dans une grande poterie en terre de Soufflenheim. Celle-ci était simplement recouverte d’un gros linge : c’était la base de la pâte à pain d’épices qui fermentait, matûrait doucement pendant au moins trois mois dans le silence des combles.
Le village de Gertwiller, non loin de Barr, jouissait déjà d’une bonne réputation pour ses pains d’épices dès le 14ème siècle. En 1900, neuf fabricants se partageaient un marché florissant, surtout pendant les fêtes de l’Avent. Au début du 18ème siècle, la production s’industrialisa. Il ne subsiste à ce jour que deux pains- d’épiciers à Gertwiller. Une visite s’impose au musée du Pain d’Epices et des Douceurs d’Autrefois, créé par la famille Habsiger qui réalise aussi de succulents et traditionnels pains d’épices sous la marque Lips. Mais la famille des pains d’épices est grande. Les lebkueche, leckerli ou autres sebzelter possèdent tous un secret : celui d’un mélange d’épices savamment dosé. Le leckerli de Strasbourg (Strossburjier leckerli), très aromatique et fleurant bon le vrai miel, est connu de longue date. Le chainon manquant entre le pain d’épices et le bredala est probablement le pfeffernüsse, une recette très ancienne d’un petit gâteau aux noix et au poivre.
L’engouement des Bredele
Les bredele ou bredala connaissent aujourd’hui un engouement qu’ils n’avaient pas autrefois. Des concours, des marchés, une multitude de livres leur sont dédiés. Les boulangers, pâtissiers ou amateurs gourmands rivalisent d’audace, pour en inventer chaque année de nouvelles variétés.
Je vous propose une petite balade dans les bredala authentiques préparés autrefois pour les fêtes de Noël. Ceux-ci étaient la plupart du temps accrochés au sapin de Noël, avant l’invention des boules et autres décorations.
Les anis-brod ou anisbraedala sont parfumés aux graines d’anis vert. Ceux, réalisés à Sainte-Marie-aux- Mines, étaient autrefois particulièrement renommés. Ils peuvent posséder un socle grâce à un séchage d’au moins une nuit, ou être préparés à l’aide d’un moule à springerle. Concernant les springerle, ou petits sauteurs, ce sont des gâteaux secs élaborés à partir de diverses recettes, dont les formes sont données par des moules à empreintes, en creux ou en relief. Leur nom vient du fait que pour les démouler, il fallait donner un coup sec sur le moule : certains springerle sautaient alors jusqu’au bout de la table… Ils sont connus dès le 16ème siècle en Alsace. Le Musée Alsacien de Strasbourg en possède une belle collection. Le brunsli, ou brun de Bâle, petit gâteau aux amandes et cacao connu dans la région de Bâle est adopté depuis fort longtemps par les Alsaciens.
Les himmelsgestirn, de formes diverses, sont connus dans le Sundgau. Les hippe ou cornets aux amandes, sont parfumés à l’eau de rose. Toujours confectionnés aux amandes, voici les mandelbrot, en forme de losange ; les mandelkraentzchen ou mandelherze, sorte de petite meringue connue dans l’ancienne pâtisserie du côté de Mulhouse et enfin les mandelring ou annelets aux amandes, ronds et percés au milieu, dans lesquels est passé un fil pour former une guirlande, accrochée ensuite au sapin de Noël. Ces derniers sont souvent recouverts d’un glaçage coloré. Les pumpernickel sont cuits en plaques, incrustés d’amandes effilées puis détaillés en lamelles.
Le soir de Noël
Le neijohrsbretschdell adoptait la forme d’un gros bretzel. Confectionné en pâte briochée, les parrains et marraines avaient coutume de l’offrir à leurs filleuls, le premier de l’An.
Le menu de Noël
La fameuse bûche de Noël, nommée baümküeche, traditionnellement parfumée au Kirsch, trônait en bonne place sur la table, le 25 décembre.
Le vin chaud
La galette des rois
La galette des rois vient clôturer le cycle des fêtes de Noël le 06 janvier. Lorentz Fritsch, verrier à Strasbourg, note dans son journal en 1625 : « Le jour des trois saints rois, ils ont coutume de cuire des gâteaux des rois, et dans chacun se trouve une fève, celui qui la reçoit est considéré comme le roi… » Dès le début du 18ème siècle, les boulangers alsaciens avaient coutume d’offrir à leurs clients cette pâtisserie nommée dreykönigskuchen. Mais au milieu du 19ème siècle, ils jugèrent que leurs clients n’avaient qu’à les acheter. En 1828, les boulangers de Colmar décidèrent que les galettes des rois seraient dorénavant payantes, ce qui provoqua une véritable affaire d’état. Les boulangers strasbourgeois les imitèrent en 1829.
La galette des rois, habituellement dégustée aujourd’hui en Alsace, est un Pithiviers, constitué de pâte feuilletée et de crème d’amandes. Cette pâtisserie emprunte son nom de la commune où elle est née, dans le Loiret, en Beauce. Autrefois la fève était une vraie fève, mais celui qui la tirait devait payer la tournée. Les plus radins l’avalaient donc sans rien dire ! La fève fut donc progressivement remplacée par des figurines en porcelaine, moins faciles à avaler et à digérer…
Au seuil de ces belles fêtes de Noël, je vous souhaite donc à tous, de joyeux moments festifs en notre si gourmande Alsace !
Par Daniel Zenner