Le CFA de la rue de la Gare à Colmar a fêté ses 20 ans (2003-2023) le 28 septembre, en présence du chef étoilé Thierry Marx, président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’Hôtellerie (Umih). Il est resté pour assister et répondre aux questions des adhérents de l’Umih, invités à l’Assemblée Générale de l’Umih 68.
Le directeur Olivier Ynard, qui succède à Daniel Furth et Elisabeth Kech s’est réjoui de cette journée et les chefs qui se sont rendus en cuisine ont mis des étoiles plein les yeux des apprentis.
Jean-Jacques Better, le président du CFA et président de l’Umih Alsace a énoncé les travaux entrepris, tels la construction d’une nouvelle cuisine en 2016, l’agrandissement du self en 2019, et l’ouverture de nouvelles sections l’an dernier avec le bac pro. En 2025 un nouveau restaurant d’application est prévu sur le toit, créant un 4ème étage. Depuis sa création 9000 apprentis ont été formés.
« Nous n’en sommes qu’au stade de la réflexion, le permis de construire n’est pas délivré, mais on imagine une sorte de « penthouse » avec une verrière et vue sur la ligne bleue des Vosges », mentionne Olivier Ynard.
Thierry Marx a relevé que c’est le seul CFA en France créé et géré par l’Umih, donc la profession. «Je devrais faire toutes les AG de l’UMIH dans les CFA, au cœur de la formation et de la transmission ». Il rajoute « qu’il aimerait créer un UMIH Jeunes, pour les former et les accompagner dans la reprise des entreprises. Un sujet qui a soulevé de nombreuses inquiétudes. Comment vendre son entreprise à l’aube de la retraite, lorsqu’aucun repreneur ne se présente ou que les banques ne suivent plus ?
L’arrivée de Thierry Marx fut marquée par la présence des élus, députés, sénateurs, maire, des représentants de la collectivité et du tourisme, des membres des Etoiles d’Alsace et des Chefs d’Alsace, qui ont réalisé, avec les apprentis du CFA, le cocktail déjeunatoire. La fête fut belle, ponctuée d’hommages et de souvenirs, et de la remise de la médaille d’honneur du travail à Pascal Frick, qui a travaillé 30 ans chez Joseph Leiser.
Les nombreuses inquiétudes
Près de 270 apprentis ont fait leur rentrée au CFA Hôtellerie-restauration en septembre 2023. Des chiffres encourageants, mais qui n’ont pas suffi à lever le voile d’ombre sur les difficultés que rencontrent la profession.
Objets de tous les débats : le recrutement, la transmission des entreprises, les plates-formes de réservations, les meublés de tourisme qui génèrent une concurrence déloyale, sans règle de sécurité, (drame de Wintzenheim), portant préjudice au recrutement car sans logement, le salarié ne peut occuper un emploi.
Les restaurateurs sont mécontent des difficultés liées au recrutement d’employés étrangers, après avoir posté des offres chez Pole emploi, restées sans réponse.
D’ailleurs pourquoi la profession n’est pas éligible à la qualification « métier sous tension» ? Réponse, car des diplômés en hôtellerie-restauration sont inscrits à Pole Emploi ou sont bénéficiaires du RSA.
Question, mais comment est-ce possible que l’Etat prenne en charge (au frais des contribuables) des demandeurs d’emploi, sollicités en urgence à de nombreux postes, y compris pour sauver des entreprises et relancer une économie touristique ?
Les ruptures conventionnelles demandées par les salariés pour s’inscrire chez Pole emploi, les arrêts maladie déposés le vendredi pour le week-end, ou encore la convention collective obsolète datée de 1997, mettent en exergue les dysfonctionnements. La valorisation du chef d’entreprise, créateur d’emploi et de richesses pour le pays, doit remplacer l’image du patron qui exploite.
Le chèque-vacances et les tickets restaurants sont également dans le viseur de la profession, car si Thierry Marx les juge utiles pour sortir des familles d’une certaine précarité, les restaurateurs dénoncent une augmentation scandaleuse des frais de fonctionnement, (4.8 %de frais) réfléchissant au fait de ne plus les accepter.
Enfin, l’hypocrisie sur les aides énergétiques a été dénoncée. Même les cabinets comptables en perdent leur latin. Tout semble construit pour décourager les demandeurs d’aides ou les rejeter à la moindre erreur dans une ligne.
Entretien avec Thierry Marx par Sandrine Kauffer
L’Umih a porté plainte contre Airbnb
« L’Umih a déjà déposé plainte contre Airbnb», souligne Thierry Marx, relevant que «Bercy, pourtant alerté s’indigne, mais laisse faire, et que ces plates-formes sont soutenues par des prêts auprès de la BPI ».
Ces meublés de tourisme asphyxient les capacités locatives des particuliers et donc des demandeurs d’emploi. Éric Straumann, le maire de Colmar s’est emparé du dossier, refusant toute nouvelle autorisation de création de meublés de tourisme. « Nous avons 2400 meublés de tourisme à Colmar, j’ai dit Stop ! », révoquant les transformations immobilières en résidences de tourisme. Mais cela sera-t-il suffisant ?
Eric Straumann fait état d’un refus de permis de construire pour une résidence sans sortie de secours, ni obligation de sécurité. « Mais le tribunal a différé notre décision et les travaux se poursuivent. Il y a des parlementaires dans cette salle ? », interpelle le maire.
Ces indignations ont été portées par le spectre de l’incendie du gite à Wintzenheim, car les meublés de tourisme ne sont pas soumis aux mêmes règles de sécurité que les hôtels. Thierry Marx, a relevé, qu’à ce stade, il s’agit d’un combat, d’une guerre et que la profession doit se mobiliser. «Dès que je prends position dans les médias contre Airbnb », je reçois une lettre de leur avocat »
Ubérisation du travail et métier sous tension
Thierry Marx, alerte sur l’ubérisation du travail qui encourage chacun à s’inscrire sur des plateformes en auto-entreprenariat les privant, souvent d’une couverture sociale. “L’Hydre de Lerne (créature de la mythologie grecque) incarne la défaillance de nos systèmes”, précise-t-il.
“Il faut former à nos métiers pour qu’ils deviennent un projet de métier et un projet de vie, une opportunité et non un emploi par défaut”. Thierry Marx martèle qu’il faut penser à l’impact social, sociétal et environnemental du management, réfléchir à la planification, au temps partiel, au logement, aux formations de nos collaborateurs. Car tant qu’on ne recrute pas, le tourisme va se dégrader et la gastronomie française, classée au 6ème rang mondial pourrait encore reculer
Le mot de la fin
Selon le Préfet du Haut-Rhin, Thierry Queffélec le temps de l’action doit se synchroniser, et se synchroniser avec, sa jeunesse. Le profil de l’apprenti a changé. 39% ont plus de 20 ans et ils choisissent leur patron. Le recruteur est recruté. « De nos jours, rien n’est de l’ordre du contrat indéterminé. Le préfet ironise : « On peut changer de nom, de religion, de parti politique, de sexe alors changer de métier n’est qu’une formalité ».
Enfin, même si le ver est dans la pomme, le fruit est encore juteux et source de vitalité.
L’hôtellerie et restauration offrent des métiers d’avenir, non délocalisables, riches de rencontres, de voyages, de formation et d’épanouissement professionnel. Une conjoncture défavorable et des zones de turbulences à répétition ne doivent pas jeter l’opprobre sur une belle profession altruiste, généreuse, symbole de convivialité, de temps forts dans la vie de tous les Français.
Par Sandrine Kauffer-Binz
