Pour le Trésor de la langue française informatisé, la cuisson à l’étouffade est une manière de faire cuire certaines viandes très lentement et dans leur vapeur. Mais cette acception s’oppose à celle du Guide culinaire, pour lequel une estouffade est un jus brun. Alors ?
Puis, en 1720, François Massialot décrit des « étouffades » : il s’agit de cuire une viande ou un poisson dans son jus, après un suage. En revanche, ni étouffade (ou estoufade, ou étouffade, ou étouffée, ou étuvée) dans la Suite des dons de Comus, de François Marin, en 1758. Et la technique n’apparaît pas non plus sous ce nom chez Marie-Antonin Carême, qui parle plutôt de poêler, ou de « blond de veau ».
Urbain Dubois, qui était un élève de Carême, évoque un « Sterlet à l’estoufade », dans La cuisine classique : « Habillez un sterlet vivant, posez-le sur la grille beurrée d’une poissonnière, mouillez-le au quart de sa hauteur avec du vin blanc et du koas (V. page 37), ce dernier pour un tiers seulement; ajoutez un bouquet de persil garni d’aromates, une gousse d’ail, un morceau de glace ; couvrez la poissonnière, faites vivement partir le liquide en ébullition, cuisez le poisson pendant 20 à 25 minutes; égouttez-le alors pour le glisser sur plat; passez le fonds de la cuisson, dégraissez-le, additionnez un verre de vin blanc, 2 cuillerées à bouche d’espagnole; réduisez vivement la sauce jusqu’à ce qu’elle soit succulente et liée à point, finissez-la en incorporant, hors du feu, un morceau de beurre fin et le jus d’un citron, versez-la sur le poisson en la passant. »
De même, Jules Gouffé parle d’estouffée, en 1867 : « Truffes à l’étouffée au vin de Champagne. Préparez les truffes comme il est dit à l’article précédent ; Mouillez-les avec vin de Champagne sec et blond de veau; ajoutez sel et muscade; égouttez-les et dressez-les dans une casserole à légumes ; Passez la cuisson au tamis, et faites-la réduire de moitié; Saucez les truffes avec la cuisson, et servez. »
Le problème, c’est que le Guide culinaire parle aussi bien d’estouffade que d’étouffée ou d’étuver. Pour l’estouffade décrite précédemment, je propose d’observer que ce livre que j’ai souvent pris en faute est le seul, de ceux que j’ai consultés,qui donne cette définition, qui semble donc trop idiosyncratique pour qu’elle soit retenue.
D’ailleurs, Paul Bocuse écrit justement, dans La cuisine du marché, p. 87 : « Jus, ou fond brun. Pour cette préparation, employer des os et de la viande de veau, jarret, quasi, cou, épaule ou tendrons, dits « bas morceaux ».
Préparer une estouffade
1 kilo de veau
250 grammes d’os
100 grammes de couennes fraiches
1 carotte moyenne
2 oignons moyens
Un bouquet composé de quelques branches de persil, une brindille de thym, un fragment de feuille de laurier
2 litres ½ d’eau
1 forte pincée de sel, soit 3 grammes environ.
Méthode :
Éparpiller dans un plat à rôtir beurré ou graissé la viande coupée en cubes et les os brisés menus.
Mettre à rissoler au four de bonne chaleur. Remuer assez souvent jusqu’à ce que l’ensemble ait une jolie couleur de rôti. Pendant ce temps, foncer une casserole de dimensions juste suffisantes, c’est-à-dire disposer dans le fond de cette casserole les légumes débités en rondelles de 4 millimètres d’épaisseur, les couennes, puis, par-dessus, la viande et les os rissolés. Laisser une dizaine de minutes sur le côté du fourneau à chaleur douce pour provoquer l’exsudation de l’humidité des légumes. Faire bouillir un verre d’eau dans le plat à rôtir utilisé pour dissoudre (déglacer) les sucs des substances qui s’y sont cristallisés.
Terminer la préparation par l’addition des 2 litres ½ d’eau et le sel ; faire prendre l’ébullition lentement, écumer, placer la casserole sur un coin du fourneau et cuire tout doucement pendant 5 heures au moins.
Et voilà : un blond de veau, comme disait carême, c’est un jus, ou fond brun. Une étouffade, c’est plutôt une préparation complète, ce que nous nommerions sans doute aujourd’hui le résultat d’un poêlage (dans un poêlon, donc, et pas dans une poêle). L’orthographe ? On trouve tout aussi bien étouffade, étoufade, estoufade, estouffade, estouffée, estoufée, étouffée, de sorte que nous sommes en revanche assez libre, de ce côté-là.
Par Herve This