Une bisque ? On se doute que c’est un potage, et qu’il y a sans doutes des crustacés, parce que l’on connais les bisques d’écrevisses, les bisques de homard… Mais peut-on parler de bisque de crabe ? De bisque de poisson ? Et existerait-il des bisques de veau, ou de carottes, ou de champignons ?
On a un peu mieux avec le Dictionnaire étymologique de la langue française (1750) de Ménage, qui indique : « Le mot bisque ne viendrait-ils pas de bis cocta ? Ce qui me le fait soupçonner, c’est que pour faire une bisque, on en arrose d’abord les soupes, ou tranches, d’un bouillon, qu’on laisse sur le réchaud jusqu’à ce que le bouillon soit consumé, et ces tranches à sec ; ensuite de quoi on y verse à une autre fois tout le bouillon qui doit y entrer, qu’on réduit à sec encore une fois ; après quoi on sert cette soupe ; laquelle est devenue une bisque ».
Vous trouvez la préparation compliquée ? Regardons les Délices de la campagne (1654), de Nicolas de Bonnefons, on trouve des bisques de pigeons, de sorte que l’hypothèse des crustacés doit être oubliée. Plus précisément, sa recette est :
La bisque est un très excellent potage qui est composé de plusieurs autres, dont vous la garnissez. Ce qui la distingue, particulièrement d’avec quantité de ceux que l’on couche sur le pain mitonné, ce sont les pigeonnaux. Tout cuisinier qui apprêtera bien une bisque et qui la servira bien à propos, se pourra dire capable de préparer beaucoup d’autres pottages façonnez, tous lesquels ne sont que des diminutifs de la bisque.
Pour la commencer, vous empotterez des plus petits de vos pigeonneaux avec du meilleur bouïllon que vous ferez cuire en leur perfection (c’est-à-dire sans se dépecer) avec un peu de clou de girofle et une ciboule. Vous aurez un autre pot dans lequel il y aura des fagouës*, ou ris, ou gorges de veau, que ferez cuire aussi comme les pigeonneaux. Puis vous verserez les deux pots en un, afin qu’ils prennent un même goût.
Vous aurez aussi un autre pot où cuiront les crêtes et rognons de coq assaisonnés de même goût. Ce que je vous fais prendre trois pots, c’est que les petits pigeonneaux ne veulent guère cuire à cause qu’ils s’achèvent sur la bisque et aussi que, bien souvent, les crêtes de coq, quand elles sont vieilles arrachées, elles durcissent et, après les avoir bien fait tremper, échauder en suitte, mettre cuire long-temps, il y en a quelques-unes qui durcissent au lieu de s’amollir, lesquelles il faut trier et jetter aux chiens.
Il faudra faire rôtir à la broche un bon gigot de mouton, (et vous n’attendrez pas qu’il soit tout cuit pour le débrocher) lequel vous picquerez partout avec un couteau, le mettant dans un plat sur une assiette pour égoutter le jus ; vous le couvrirez d’un autre plat, et mettrez une nappe par dessus, afin qu’en l’étouffant il sèche jusques à la dernière goutte. D’aucuns ont des petits pressoirs mais il est plus propre de l’autre façon et la chair en est moins désagréable à faire quelque fricassée pour le commun. Pour dégraisser ce jus, il faut le laisser refroidir et le couler dans un autre plat, tenant un couteau contre la graisse pour l’empêcher de tomber avec le jus.
Le tout étant ainsi disposé, et vos viandes à demy cuites, vous prendrez un bassin d’argent, dans lequel vous ferez mitonner un pain à la mode séché, ainsi que j’ay dit cy-devant à l’article des poulets, en traitant du pottage à la Jacobine, lequel vous tremperez votre meilleur boüillon sans herbes et le ferez attacher au bassin sans le laisser pourtant brûler, puis vous y mettrez un lit de chair de poulet rôty, ou autre volaille (pourveu qu’elle ne soit point faisandée) hachée bien menuë, de laquelle vous aurez ôté tous les lardons ou bardez. Ayant premièrement poudré le pain avec une pincée de bonne cannelle battuë, par dessus ce hachis, vous mettrez quelques morceaux de bonne moelle de bœuf, puis vous ferez mitonner tout de nouveau, y remettant une cueillerée de boüillon de vos pigeonneaux et une de champignons, que ie suppose que vous aurez aussi préparez et assaisonnez dans un autre pot à part. Demie heure avant que de servir, vous dresserez vos pigeonneaux, mettant les têtes sur le bord du bassin, puis les ris de veau, les crêtes, rognons et champignons autour des pigeonneaux, les rangeant avec le plus de proprieté que vous pourrez. Couvrirez votre bisque d’un autre bassin, la remettant mitonner sur le feu et luy donnant du boüillon de pigeonneaux si elle en a besoin.
Quand on demandera à manger, vous la mettrez sur un feu vif, afin qu’étant fort chaude, vous la puissiez dégraisser en penchant le bassin pour faire dégoutter la graisse dans un autre plat. Quand vous la voudrez envoyer, vous y verserez le jus de gigot que vous aurez mis chauffer dans lequel vous épreindrez du jus de citron pour y donner la pointe seulement et non pas l’aigrir, remuant un peu le bassin afin de faire décendre une partie de ce jus dans le hachis de la bisque. Si elle est trop douce, vous mettrez un peu de sel blanc dans ce jus auparavant que de le verser.
Vous observerez en tout ce que vous assaisonnerez de tirer toûjours au doux, d’autant que l’on se méprend souvent au sel, et particulièrement à la bisque, à cause qu’en luy faisant consommer quantité de boüillon, l’humidité s’en évapore et le sel reste toûjours : joint aussi que bien souvent l’on attend que le reste du service soit prêt ou bien que la compagnie qui le doit manger se veule mettre à table. Cependant, il faut toûjours entretenir le boüillon. Vous prendrez garde aussi de n’avoir manque de boüillon propre ; autrement vous seriez obligé d’en prendre du commun qui gâterait tout.
Quelques-uns ornent les bords du bassin avec des tranches de citron, mettant par-dessus des pistaches et de la crenade. Le plus beau est de le tenir bien net.
Dans la graisse ou jus que vous aurez versé dans un plat en dégraissant votre bisque avant que d’y mettre le jus de gigot, vous y casserez des œufs pour cuire à la huguenotte, et un peu de jus de gigot par dessus.
Pour sa bisque de poisson :
Dans les temps récents, il est exact que c’est un coulis qui est utilisé pour les bisques, mais qu’est-ce qu’un coulis ? Une préparation concentrée obtenue par une cuisson lente d’aliments (légumes, poissons, viandes), qui sont ensuite pilés et finement passés. En 1877, Jules Besset écrit ainsi, dans L’art culinaire, p. 50 : « Un mot encore sur les sauces ou coulis. Leur formule culinaire est la suivante : un corps gras, un corps agglutinant, un corps parfumant. Le corps gras sert d’abord, ainsi que nous l’avons vu, à extraire des corps mis dans la casserole, viandes ou légumes, une partie de leurs arômes ; ensuite à cuire les éléments qui composeront le plat. Les corps gras employés sont la graisse, l’huile, le beurre, le lard, la végétaline, etc. Le corps parfumant sert, comme son nom l’indique, à donner le parfum. On ne se contente pas d’un seul, mais si on en emploie plusieurs, un seul domine, c’est celui qui donne son nom à la sauce. Les principaux corps parfumant sont tous les légumes, les champignons, les truffes, le madère, le rhum, le citron, l’orange, etc. Le corps agglutinant sert à lier entre elles toutes les parties errant en liberté dans la sauce. C’est lui qui donne aux coulis leur velouté. On le délaye à froid avec un peu de sauces, puis on le précipite dans la casserole. Les principaux corps agglutinants sont : la farine, de froment, de riz, la fécule de pommes de terre, le jaune d’oeuf, le lait, etc.
Ainsi, un coulis doit être lié, sans doute plus liquide qu’une sauce, et ce serait une bonne idée que d’utiliser un tel coulis pour une double cuisson, telle que la décrit Ménage !
Car je ne crois que ce soit une bonne idée que l’on confonde le potages avec les consommés, les coulis avec les bisques !
Par Herve This