Il y a des mystères culinaires, qui imposent des expérimentations, sans que le doute soit toujours levé. Ainsi, dans les écrits d’Augustin Parmentier, on trouve des recettes de tablettes de bouillon, où l’on utilise de la « corne de cerf ». De la corne de cerf ? Faut-il aller dans les bois pour chasser des cerfs et en rapporter les cornes, pour cuisiner ?
Une recherche dans un bon dictionnaire nous en dispense peut-être… nous disant que la corne de cerf est une plante à feuilles très découpées, qui représente des petites cornes de cerf ; une sorte de plantain.
Et d’ailleurs, le cuisinier de Louis XIV, Nicolas de Bonnefons, n’écrit-il pas : « Des menues herbes de toutes sortes pour les Salades. L’Estragon, la perce-pierre*, le cresson, la tripe-madame, la corne de cerf*, l’herbe à l’évêque ou doucette*, la pimprenelle* & mille autres, tant fleurs qu’herbes, servent à composer les petites salades à l’huile ou au sucre, qui plus agréables elles sont que plus de diversité il y a. La pimprenelle sert même dans le verre pour tremper le vin & lui donner son goût & odeur. »
Tout irait très bien si l’on s’arrêtait là… mais le même Bonnefons, plus loin, donne des indications différentes : «De la Gelée de poisson. Pour la faire, vous prendrez des carpes, que vous viderez de tous les dedans & les laverez bien. Vous en ôterez la langue (quoique ce soit parler improprement, d’autant que c’est le palais de la carpe) ; vous ôterez aussi le cerveau, à cause qu’il est gras & que toute graisse est nuisible à la gelée. Vous les mettrez dans un pot de terre neuf avec des tanches accommodées de même. Si vous avez des arêtes & des écailles des poissons vidés, vous les mettrez aussi avec. Vous ferez bouillir le tout puis passerez ce bouillon par l’étamine sans le presser beaucoup. Après vous le remettrez dans son pot avec de la râpure de la corne de cerf ou de la colle de poisson, les faisant bouillir longtemps ensemble. Vous repasserez tout de nouveau ce jus & presserez bien ; puis vous le dégraisserez au mieux qu’il vous sera possible, le remettrez dans son pot & y ajouterez le sucre & autres ingrédients que l’ai enseignés à celle des pieds de veau, vous gouvernant de même tant pour l’assaisonner que pour la clarifier, couler, parfumer & teindre en toutes sortes de couleurs & blanc manger. »
Cette fois, c’est clair : cette corne de cerf que l’on râpe, c’est sans doute plus tôt de la corne du cervidé, et non une plante (que l’on cisèlerait).
Méfions-nous donc : il n’est pas certain que le plantain permette de faire des gelées, et il n’est pas certain que la corne des cerfs puissent faire des salades. Une question de contexte, donc d’expérimentations. 04
Par Herve This