L’enseignement moderne de la cuisine a promu des liaisons à la farine (roux), à la matière grasse (émulsion), aux protéines (œufs, sang…), mais quelques liaisons anciennes sont oubliées : au pain, à la chair broyée, à l’amande, à l’oeuf dur…
Pourtant, les séminaires de gastronomie moléculaire ont largement montré qu’il y avait là des possibilités intéressantes, surtout depuis que nous avons des mixers qui nous évitent la peine de piler au pilon dans un mortier.
Ici, je donne la recette de « coulis à la reine » de François Marin, dans la Suite des Dons de Comus, publié en 1742 :
Faites suer un morceau de veau, avec quelques tranches d’oignon, zestes de jambon, carottes & panais, un peu de bouillon gras. Quand il veut s’attacher, mouillez-le avec de bon bouillon que cela soit blanc. Laissez mijoter jusqu’à ce que le veau soit cuit ôtez tout ce qui est dans la casserole : avec une écumoire, mettez-y la mie d’un pain mollet & refaites mitonner. Prenez des blancs de volaille, rôtie ou bouillie, hachez les ou ̃les pilez avec quatre jaunes d’oeuf durs, quelques amandes douces & un peu de coriandre, le tout pilé & délayé avec de bon bouillon & le mettez dans votre casserole un instant. Il ne faut pas que cela bout. Si cela est trop épais, il faut y mettre un peu de bonne crème que vous aurez fait bouillir auparavant. Passez le tout dans une étamine bien blanche & propre & vous en servez au besoin. Le coulis vierge se fait de même. Vous n’y mettez point de coriandre ni d’amandes.
L’intelligence de la recette ? Il faut analyser du point de vue de la socialité, de l’art, et de la technique.08
La technique, c’est le plus simple. Il faut observer :
– d’abord, la viande libère un peu son gras (qui fond), pendant qu’elle cuit, ce qui s’accompagne d’une expulsion des jus par la chair qui se contracte immanquablement
– la cuisson des légumes, qui libère des composés odorants, lesquels se dissolvent dans la matière grasse, tandis que des composés sapides se dissolvent dans la solution aqueuse (on voit une telle sortie des sucres quand on fait suer des oignons ou des carottes)
– puis une extraction des composés gustatifs dans le bouillon, où la matière grasse s’émulsionne
– une liaison au pain, avec l’amidon qui est libéré dans la solutions
– une seconde liaison par les protéines du tissu musculaire et les protéines du jaune d’oeufs
– une dispersion de la crème, la phase aqueuse allant dans la phase aqueuse, et les gouttelettes de matière grasse se dispersant.
A noter que les recettes de coulis indiquent que l’on n’est pas loin d’une consistance de purée.
Pour la question artistique, on sent bien l’association inédite de jambon, oignons, carottes, coriandre et amandes. La présence d’une émulsion permet de donner de la longueur en bouche
Enfin, pour la question sociale, il y a la consistance, qui est doit être parfaitement réglée, entre la sauce et la purée.
Au fait, nous parlions terminologie ? Oui, j’ai oublié de signaler que l’on ne doit pas confondre le coulis à la reine avec le coulis simple, le coulis d’écrevisses, de navets, de lentilles, de pois… ni même avec le coulis à la reine simple et sans viande, lequel s’obtient de la façon suivante :
Mettez dans une casserole environ une pinte de bon bouillon, avec la mie d’un pain mollet d’une livre. Faites mitonner doucement, en finissant mettez deux ou trois amandes amères échaudées & pilées avec cinq ou six coriandres, une liaison de quatre jaunes d’oeuf faite avec de bon bouillon. Mêlez bien le tout jusqu’à ce que cela soit lié, et passez à l’étamine. Si cela se trouvait trop épais, vous y mettez un peu de bon bouillon en le passant.