Daniel Zenner, cuisinier, auteur et chroniqueur gourmand revient avec une nouvelle chronique extrait de son prochain roman. Voici une mise en bouche nippone de son voyage gastronomique au pays du soleil levant.
” La cuisine est un art qui s’apprend par soi-même. Ne suis pas les règles fixées par d’autres, mais crée les tiennes. Invente, essaye, explore, plonge au cœur de la matière sinon ton palais ne s’éduquera pas, et saches que c’est en faisant des erreurs que l’on apprend”.
Ainsi parlait mon maître, Masamitsu Takischima.
Mon amie Asako, épicurienne, gourmande et curieuse, maitrisait parfaitement la langue française. Elle me servirai donc de traductrice pendant ces deux semaines d’apprentissage, d’échanges gastronomiques. De bon matin, quand les brumes épaisses caressaient encore les montagnes, Masamitsu prit son Yanagiba, un couteau pourvu d’une longue lame fine et tranchante d’un seul côté puis me regarda fixement. Il parla ainsi :
” La forme de sa lame est comme celle d’une feuille de saule. Il faut qu’il coupe parfaitement, car la façon de trancher le poisson renforcera ou réduira le goût de l’aliment que tu prépares. Ne cherche pas à dominer la saveur primordiale des ingrédients que tu prépares mais complète leur goût intrinsèque. Ne supprime pas une amertume mais rend-la agréable “.
Deux chinchards gras, une partie du dos d’un thon obèse, quelques belle dorades, des poissons volants, trois énormes maquereaux, un turbot de pleine mer, des Saint-Jacques en coquille, des clams et des bulots étaient posés sur la table.
A l’aide de son couteau damassé, Masamitsu commença à fileter les chinchards, puis les maquereaux, les poissons volants et enfin les dorades. En un instant, les filets de turbot furent détachés de l’arête. Ils furent rangés en bon ordre sur un linge propre. ” On nomme jomi les filets levés et parés en vue de la préparation du sashimi ” me dit Masamitsu. ” Maintenant, regardes comment l’on détaille ces beaux morceaux de chairs nacrées “.
Il tranchait précisément dans le filet des tranches d’une épaisseur rigoureusement identique, d’un seul mouvement calme et régulier, utilisant toute la longueur de la lame, de la garde jusqu’à la pointe, sans s’interrompre, en dessinant un arc un peu arrondi.
Quand la tranche était coupée, il l’écartait du filet par un geste sec et précis, puis essuyait à chaque fois la lame brillante sur un linge blanc et humide.
Sur une planche, mon maître rangeait en bon ordre les tranches de poisson crus.
Masamitsu détailla d’abord le pavé, dans le sens de la longueur, en quatre morceaux, puis le long couteau pénétra sans forcer dans la verticalité de la chair.
Comme des steaks taillés dans le cœur de rumsteck, de larges tranches se chevauchèrent sur la planche. Entre chaque coupe, Masamitsu essuyait consciencieusement la lame brillante. Puis il me dit : ” il faut laisser reposer ces saku sur un linge, afin que celui-ci absorbe l’humidité des chairs. Nous détaillerons les sashimis juste avant de passer à table. Ceux-ci doivent être dégustés à température ambiante, jamais présentés froids “.
Par Daniel Zenner
Extrait de son roman de cuisine à paraître bientôt…