Sale temps pour les mouches

Non, dans cette chronique, je ne vous parlerai pas du temps froid et pluvieux qui pourrit notre joli mois de mai 2013. Je ne vous entretiendrai pas non plus du raz le bol général qu’éprouvent les gens. Je ne vous déballerai aucune statistique claironnant que ce printemps bat des records de température, en froid bien sûr! Non, j’espère juste vous apporter un petit coin de soleil, vous faire rire, au moins sourire.

Pour le week-end prochain, prévoyez pour vos amis ou vos clients un barbecue Breton, Anglais ou Ch’tis, comme vous voulez. Moi, je préfère le Breton à cause des crustacés. Installez des chapiteaux, prévoyez un solide barbecue bourré de braises ardentes. Offrez à vos invités des cirés jaunes de pêcheurs, cuissardes et collants en laine pour les dames, bottes pour tous. Côté sono, cherchez dans vos vieux CD Alan Stivell pour les nostalgiques ou l’harmonie des binious de la marine nationale. Allez du côté du Port du Rhin ou au port de Colmar attrapez quelques mouettes car il n’y a rien de tel pour égayer le fond sonore. Chauffez du vin ou de l’hydromel que vous servirez dans la bolée traditionnelle, jetez sur les grilles brûlantes des homards encore frétillants, juste fendus en deux, des grosses langoustines de Guilvinec, des sardines de Concarneau, des supions de Quimperlé, des petites limandes de Lorient à 2 euros le kilo. Présentez la bisque d’étrilles ou celle de langoustines avec des croûtons juste caressés par l’ail rose de Lautrec, l’huitre chaude de Belon en sabayon de champagne, le tourteau farci ou la Saint-Jacques rôtie de la baie de Saint-Brieuc posée sur un lit chaud de Bonnottes de Noirmoutier, accompagnée d’un solide gratin de choux fleur, d’un flan de carottes guérandaises ou de patates cuites au lait ribot. En dessert, tiédir le Kouign aman suintant le beurre cru demi-sel; présentez le far à sa sortie du four, offrez caramel au beurre salé et galettes de Pont Aven. Et réjouissez vous de l’exécrable temps qu’il fera dimanche. La pire des choses qu’il puisse vous arriver, c’est qu’il fasse beau le week-end prochain. Dans ce cas là, votre journée bretonne tombera à l’eau.

Sale temps pour les mouches ? Oui, ces dernières, comme les abeilles ne sortent pas en dessous de 14 degrés. Elles sont donc à plaindre. Par contre vous, pourquoi continuez-vous à rechigner? À râler en bon Français qui se respecte? La mouche, elle, subit. Et c’est une histoire de survie pour ces formidables insectes ailés de l’ordre des diptères car, avec le temps pourri de ce joli mois de mai, elles ne peuvent se reproduire. L’abeille, elle, ne viendra pas polliniser vos arbres fruitiers. Mais vous, de quoi vous plaignez-vous?

Allez donc aux escargots ou pêcher la grenouille, bottez-vous pour aller observer la nature. Ce merveilleux printemps n’a pas été depuis longtemps aussi vert. De ces verts fragiles et éphémères, tendres et lumineux. La primevère, la violette, l’ail des ours, le tussilage, le magnolia, le lilas, malgré le temps, ont accompli leur cycle: ils nous ont offert leurs fleurs et leurs parfums, se souciant de la pluie comme de leurs premières feuilles. En ma montagne, les saules n’ont jamais été aussi fournis, touffus, puissants. Les sureaux rouges se sont parés de folioles mordorées érigées vers le ciel vers lequel s’ouvrent les panicules de fleurs en grappes. Les orties dégagent une telle énergie que je les cueille à main nue pour réaliser des coulis, purées, potages et macérations pour le jardin. La berce et l’égopode n’ont jamais été aussi goûteux: je m’en délecte. Dans mon jardin potager, aucune plante n’est parasitée. Les limaces et autres limaçons ont fort à faire avec les pissenlits géants. Jamais les toxiques boutons d’or n’ont été aussi jaunes: ils irradient: c’est le moment pour savoir si vous aimez le beurre.

Sale temps pour les mouches, en effet. Restez donc au chaud, prenez votre mal en patience, vous verrez quand l’été arrivera, on fera la fête jusqu’à l’aube!

Le temps qu’il fait est un petit rappel à l’ordre. L’ordre naturel bien sûr. Tout ce qui vit sur la terre, Hommes compris, obéit aux lois de la nature. Ce dernier ne peut, comme la mouche ou le salsifis, s’en affranchir. Et en ce joli pourri mois de mai, contentez-vous, en philosophe, de prendre la météo comme elle vient car cela pourrait être pire. Je trouve Dame Nature bien clémente avec nous: nous n’avons aucun tremblement de terre, pas de tsunami à l’horizon, Fessenheim n’a pas encore explosé. L’activité sismique est en dormance, la dernière tempête sérieuse date de 1999, pas de cyclone à l’horizon, les orages de grêles nous épargnent, les glissements de terrain sont très peu fréquents, notre pays n’a pas encore déclaré la guerre à l’Allemagne, la sécheresse n’est pas inscrite à l’ordre du jour comme l’invasion des criquets géants et l’Alsace, contrairement à mille îles d’Indonésie, ne s’enfonce pas dans l’océan parce que des mafias locales leur pompe le sable au large.
Tout va donc très bien. Profitez de l’ambiance actuelle automnale pour cuisiner.
Les asperges d’Alsace sont encore excellentes, les légumes primeurs en forme. Laissez sur le coin de la cuisinière mijoter le bourguignon, confire la rouelle de porc sur un lit de navets salés. Réalisez une belle purée avec les patates de la saison dernière, mettez encore la poule au pot, et les tiges de rhubarbe en tarte. Et oubliez pour encore quelques semaines la ratatouille niçoise. Et oubliez pour toujours les poivrons d’Espagne et de Hollande. Ceux-ci poussent sur de la laine de roche dans des serres grandes comme quatre fois un terrain de football. L’atmosphère, la température, l’hygrométrie, la luminosité y sont contrôlés par un puissant ordinateur. Les nutriments arrivent au goutte-à-goutte au pied de la plante, que j’entends hurler sans bruit. Le végétal est sous perfusion, en intraveineuse, dans une chambre stérile. Le fruit est d’apparence parfait, ce qui signifie en jargon d’ingénieur agronomique: beau, carré, identique, lisse, brillant, assez solide pour supporter 3000 kilomètres en camion réfrigéré. Le goût dans tout cela? Pourvu qu’il y ait un taux de sucre obéissant à une norme définie. Et la notion de terroir, où est-elle?Actuellement, je travaille avec un institut de recherches sur un programme de plantation et de commercialisation de plantes à fleurs comestibles. J’ai fixé la notion de terroir dans le cahier des charges car un bégonia, une violette, une pensée, une fleur de sauge auront un goût et un arôme différents suivant le substrat dans lequel elles se nourrissent, puisant la quintessence dans la matière vivante et captant l’énergie de notre soleil. Le végétal illustrant le plus la notion de terroir est la vigne. Le même cépage de Riesling planté au Rangen ou au Kastelberg aura un bouquet, une structure, une évolution différente. Je serais curieux de vinifier une récolte de Riesling ayant poussé dans les mêmes conditions que le poivron décrit plus haut et…sur de la laine de roche!

Sale temps pour les mouches, oui! Mais en cette fin du mois de mai, il y a des choses qui me dépriment plus que le temps: un vendeur de Mr Bricolage a oublié de passer ma commande pour ma tête de débroussailleuse. Paraît que le fax n’est pas passé. On est peu de chose. On m’a dit de rappeler car le vendeur amnésique est en congé cette semaine. Chez Brico Dépôt, on m’a vendu une lunette de WC “aux normes standards” dont il manque cinq centimètres pour épouser parfaitement la forme ovale de la céramique blanche. Avec le temps et un peu d’exercices, on s’habitue à la lunette en bois chinois. METRO m’averti lundi par téléphone que le mixer “Robot Coupe” que j’ai commandé depuis trois semaines est enfin arrivé. Mais ce jour, on me donne l’exemplaire de démonstration dans une boîte polystyrène défoncée: je refuse! Ce matin à la pharmacie, on ne me trouve pas dans l’ordinateur: le chef est appelé avec le sous-chef. La vendeuse assiste au duel homme-machine. Puis-je donc être soigné sans l’avis de l’ordinateur? À la poste de mon village, je veux envoyer un colis de 12 kg: manque de pot, leur balance est limitée à dix kilos. Faut-il que j’aille dans une “Grande Poste”. Je reçois un courrier de la RSI m’invitant à régler une bizarre somme majorée de dix pour cent: je n’ai jamais eu le moindre appel de cotisation. Une dame à l’accent asiatique me harcèle au téléphone, de la part d’éco-énergie EDF, au moment des horaires de repas. Voilà au moins quinze fois que je l’envoie sur les roses, mais, telle une tique, elle s’accroche.

Mais largement plus pire que le pire c’est les photos d’identité. Elles doivent êtres conformes. Sur les côtés de la boîte rectangle de l’appareil automatique de la gare, c’est indiqué qu’elles sont conformes. Génial, super! Je m’efforce de ne point sourire car c’est formellement interdit. Je prends donc ma tête de bagnard fraichement sorti de chez le coiffeur. J’ajuste le siège, fais gaffe que mon visage soit bien dans le cercle, ferme le rideau, etc.

En moins d’une minute, une planche de quatre photos rutilantes sort du robot. Bravo, quel progrès car dans le temps, la machine mettait un temps indéterminé, de quoi rater son train. Mais malheur à moi! Croyant bien faire, j’ai soigneusement découpé les photos, au millimètre près je vous jure!

Eh bien j’ai gaffé. Je regarde piteusement la secrétaire de mairie qui m’annonce que “là-bas”, “ils” ont une machine automatique pour découper les photos d’identités conformes car, oh miracle! elle arrondit les angles. Il faut donc que j’aille refaire des photos conformes à la gare, sans les couper cette fois-ci, mais sans être certain cependant qu’elles passeront avec succès l’ultime épreuve du tampon conforme. J’imagine un gars payé à certifier les photos conformes. J’aimerais bien boire deux bouteilles de vin de glace Riesling grand cru Zinnkoepflé de Seppi Landmann 1996 avec lui. Je ne sais pourquoi ce grand maitre de l’art photographique a refusé mes photos en vue de refaire ma carte d’identité, car elles proviennent exactement de la même série qui a servi pour réaliser mon passeport conforme!

Alors le temps qu’il fait hein, je m’en fous. Et les mouches rattraperont bien le temps perdu en été.

Bon, il est bientôt 17 heures. J’ai acheté ce matin de fringants carrelets que je vais cuisiner “à la meunière”, des coques du Pouliguen que je vais enfermer dans un soufflé chaud, des petits pois frais cuisinés “à la Française” en en dessert, je ne sais encore…

Carpe Diem!

Par Daniel Zenner