Le Gault & Millau a remis à Patrick Henriroux, chef-propriétaire de la Pyramide à Vienne le «Trophée du cuisinier solidaire 2022 ». Une belle distinction, qui exprime l’état d’esprit de Patrick Henriroux, exigeant et perfectionniste, mais toujours avec bienveillance et humanité.
La solidarité au quotidien
La remise du « Trophée du cuisinier solidaire 2022 » par le Gault & Millau a pris le chef au dépourvu par surprise. « Je me demande comment ils étaient au courant de mes différents engagements », interroge-t-il. Car Patrick Henriroux préfère aider en toute simplicité, sans se mettre sous les projecteurs. Que ce soit pour des ateliers de cuisine avec des enfants malades ou la préparation de repas au bénéfice d’associations humanitaires, le chef répond toujours présent. « Comme d’autres de mes collègues, tient-il à préciser. « Quand vous visitez le service d’oncologie pédiatrique, vous n’en sortez pas indemne, et il n’y a même pas à réfléchir, je m’engage avec amour. Pour moi c’est tout à fait normal. Cela me fait aussi avancer humainement ».
La solidarité, Patrick Henriroux la pratique quotidiennement. « Elle fait partie de ma vie de tous les jours en tant que patron, je dois être exemplaire. Je suis un des premiers à arriver ; les problèmes, à n’importe quel niveau, dans n’importe quel service, nous les résolvons ensemble. C’est important de créer une vraie unité, une ambiance familiale. »
Lors de la remise du trophée, le Gault & Millau a également salué la prime versée à l’ensemble du personnel de la Pyramide. «Rien de plus normal, là aussi, explique Patrick Henriroux. « Pendant la longue période de fermeture, pendant 7 mois et demi, nous avons élaboré un plan de bataille en envisageant plusieurs cas de figure : soit tout allait mal, et il faudrait licencier. Soit tout irait très très bien et dans ce cas nous verserions une belle prime à chacun. Et c’est ce que nous avons eu la chance de pouvoir faire. De juin à fin novembre, 3% du chiffre d’affaires a été versé à toute l’ équipe. Comme nous avons ajouté et intégré cette somme dans la prime Macron, elle est nette d’impôts pour les salariés. On ne ramènera rien dans notre dernier plumard», conclut Patrick Henriroux avec humour.
« Sans nos équipes, des chefs aux plongeurs, rien ne serait possible. Ce sont des gens extraordinaires, fidèles, et je sais pouvoir compter sur tout le monde», apprécie le chef. « D’ailleurs, ce ne sont pas des employés, mais des collaborateurs responsables et compétents, chacun à son niveau, qu’il soit Meilleur Ouvrier de France ou simple commis. C’est un vrai bonheur de voir leur engagement et leurs performances.»
L’équipe, c’est un terme qui revient souvent dans la conversation avec le chef. Un état d’esprit qui a permis à la maison Henriroux de remporter le trophée Haeberlin en 2014, et d’être finaliste au en 2021 à Mulhouse. Le trophée récompense en effet une équipe complète, cuisinier, maître d’hôtel et sommelier. « C’était notre troisième participation au trophée Haeberlin qui exige l’unité de tous. Tous s’accrochent pour gagner ensemble. Nous étions une quinzaine à faire le déplacement à Mulhouse, pour nous c’est un engagement humain, mais aussi financier. »
De la terre haut-saônoise à la pyramide de Vienne
Samedi matin, au marché de Vienne dans l’Isère. Parmi les clients qui se pressent devant les stands des maraîchers, fromagers, poissonniers et bouchers, Patrick Henriroux, faisant ses courses comme n’importe qui, une liste à la main ? « C’est par respect pour mes fournisseurs. Je travaille avec beaucoup de petits producteurs de la région. Nous faisons évidemment livrer tout ce qu’il nous faut pour nos restaurants, mais le samedi, je viens au marché pour rencontrer une partie d’entre eux, compléter ce qui pourrait manquer, goûter des nouveautés. Dans la région, nous avons la chance d’avoir plus de 400 producteurs avec des produits extraordinaire. Ce sont des gens attachés à la terre, c’est comme une famille ; je reste relié à mes racines paysannes. ».
Sur la carte de son restaurant, les légumes tiennent une place importante depuis toujours. « Nous travaillons une soixantaine de légumes différents, selon les saisons, et nous proposons un vrai menu de légumes. Cela ne souffre pas la médiocrité et c’est extrêmement chronophage entre l’épluchage, la taille, ou encore le mijotage…. Mais ce serait vraiment dommage de ne pas puiser dans cette riche palette de produits de la terre ! », explique-t-il en s’arrêtant devant une boucherie halal. Non pas pour acheter de la viande pour le restaurant étoilé, mais pour la préparation des repas des salariés, dont plusieurs sont de confession musulmane. Le respect, là aussi.
Son appel du 18 juin à la Pyramide
Mais qui est Patrick Henriroux, décrit par le guide comme « le chef idéal pour la légendaire Pyramide » ? Une pyramide dont l’histoire est double : l’actuel hôtel-restaurant se trouve sur le site d’un cirque romain construit à la fin du Ier siècle. De ce site fabuleux, il ne reste aujourd’hui qu’un obélisque, appelé « la pyramide ». Deux mille ans plus tard, elle est toujours là, gage de longévité et d’endurance, à l’image du restaurant éponyme dont l’entrée se trouve à moins de 30 mètres.
« Je suis le fils de paysans haut-saônois », sourit celui qui découvre la gastronomie par son oncle, enseignant à l’école hôtelière de Luxueil. Patrick Henriroux a grandi avec les produits de la terre, fruits d’un dur labeur, d’un travail attentif au fil des saisons. Celui qui a été refusé ( !) à l’école hôtelière d’Illkirch a fait une carrière fulgurante. Sorti major de l’école, où enseignait son oncle et après trois ans dans la marine nationale, il multiplie les expériences, exporte son savoir-faire même au Japon, au restaurant Le Crown du Palace Hôtel à Tokyo.
Il passe par l’Auberge Bressane à Bourg-en-Bresse, où il rencontre Pascale, son épouse et son fidèle soutien. Au château d’As à Baume-les-Dames il découvre la cuisine classique et, le dimanche, va à la chasse avec le chef. Il se perfectionne auprès de Georges Blanc à Vonnas. Avec son épouse Pascale en salle, il obtient sa première étoile à la Ferme de Mougins qu’ils quittent pour la réouverture de La Pyramide en 1989, restaurant mythique qui a bien failli sombrer. «Et le 18 juin 1998, nous sommes devenus propriétaires des murs, c’était mon appel à moi», se souvient Patrick en reconnaissant qu’ils étaient probablement « inconscients. A l’époque, le propriétaire avait sollicité tous les grands chefs, mais aucun n’avait osé s’y lancer…. A part nous. »
Faire revivre ce célèbre restaurant à l’âge de 29 ans, était un immense challenge.
« Il n’y avait évidemment plus personne de l’ancienne équipe, la moyenne d’âge de nos salariés était alors de 20 ans ! » Avec une belle persévérance, et beaucoup de travail, le couple Henriroux a su surmonter les coups durs. De nombreux travaux plus tard, La Pyramide a intégré l’association des «Relais & Châteaux », l’établissement comprend une épicerie fine et en 2009 c’est l’ouverture de l’Espace PH3. « Les clients de l’hôtel n’appréciaient pas que restaurant soit fermé le mardi et le mercredi, alors nous avons imaginé ce lieu de convivialité qui n’est ni un restaurant, ni un bistro, ni une brasserie mais un lieu convivial. La cuisine est ouverte sur la salle et la carte se décline par 3 : trois entrées, trois plats, trois desserts. Un peu comme une danse culinaire à trois temps», sourit Patrick Henriroux.
Et l’avenir ?
L’esprit familial imprègne toute cette belle maison, avec Pascale en tant que directrice générale. Leur fils Boris assure la fonction d’assistant-directeur, en charge le marketing et de la gestion financière. Leur fille Leslie est chef de réception et son mari Martin Rineau dirige l’Espace PH3. Voir ses enfants s’engager à ses côtés « permet de perpétuer la vie de cette belle maison à la riche histoire, d’avancer, de créer pour durer, de transmettre aux jeunes. »
« J’ai fait ma vie, avec mon épouse, et j’ai réalisé mon rêve : être patron comme mon grand-père. Comme il était heureux, j’avais décidé à l’âge de 5 ans, de devenir patron, sans savoir ce que cela voulait dire ! Il faut toujours croire en soi et avancer, il faut rester positif ».
Le rêve d’une troisième étoile ?
Patrick Henriroux détient deux étoiles au Guide Michelin depuis 1992. Avec ses 4 Toques au Gault & Millau, il membre des Grandes Tables du Monde, et s’ est vu élevé au grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 2017.
« Je suis heureux si nous gardons nos deux étoiles ! Dans notre région, nous avons la chance d’avoir plusieurs restaurants trois étoiles et c’est une vraie richesse. Mais je ne suis ni envieux ou jaloux. Je suis heureux, car je jouis d’une grande liberté, je peux changer la carte comme je veux sans me dire que tel ou tel produit n’est pas représentatif d’un trois étoiles ! Je ne subis pas non plus cette angoisse, cette pression. Je souhaite tout simplement continuer à satisfaire nos hôtes, à proposer un bon rapport qualité-prix. »
Le restaurant gastronomique, d’une sobriété élégante tout en noir, jaune et or, est l’écrin parfait pour sa cuisine généreuse et créative, tout en finesse et subtilité. Les plats sont accompagnés par les magnifiques crus choisis avec soin et gourmandise par le chef sommelier dans la cave de la Pyramide. Une cave qui contient d’ailleurs une des plus belles collections de liqueurs de Chartreuse.
Mais ça, c’est une autre histoire !
Par Ursula Laurent
crédit photos ©LaPyramide, Jonathan Thevenet