Pour beaucoup de gens, manger des fleurs peut être encore une expérience inédite. L’occidental entretient un rapport intime et respectueux envers les fleurs, à tel point qu’il a développé un interdit lié à sa consommation. Les fleurs sont la chasse gardée des poètes, une ode à la nature, le symbole de la féminité et de la fécondité ; l’offrande, sous forme de bouquets, que l’on donne en toute occasion, la rose rouge offerte à sa bien-aimée.
Pourtant, en parcourant rapidement notre histoire, on constate que les fleurs s’invitaient sur tous les banquets au temps des romains et des contemporains de Clovis et de Charlemagne. Plus près de notre époque, sur les cartes des restaurants, figurent en bonne place les inflorescences des choux-fleurs, brocolis et artichauts qui sont des fleurs non encore développées. Les câpres sont des boutons floraux. De longue date, les fleurs de courgettes se dégustent dans le Sud de la France, les boutons de fleurs de pissenlit dans l’Est du pays.
L’arôme des milliers d’hectolitres de bière consommée chaque jour dans le monde est donné par une fleur femelle : celle du houblon ! Autrefois, dans l’hexagone, on mangeait plus de fleurs qu’aujourd’hui. Dans son ouvrage de 1674 ” L’art de bien traiter” le cuisinier LSR (anonyme) nous donne le procédé de fabrication pour “confire les boutons de fleurs de presque toutes sortes, au sec, et la manière de fabriquer des confitures de violette et de jasmin”. Audigier, dans “La maison réglée” livre paru en 1692, nous confie sa recette de fleurs “odorifantes”. Plus tard, le chef confiturier de l’ambassade d’Espagne à Londres, préparait en 1770, un célèbre confit de jonquille, espèce pourtant classée aujourd’hui, à raison, parmis les plantes toxiques. Edouard Nignon, fin du 19ème siècle, nous a laissé une succulente recette de “cailles dodues à la fleur de tilleul”.
Dans le guide culinaire d’Escoffier (1901), de nombreuses recettes emploient les fleurs comme les beignets d’acacia. Dans ” La cuisine bourgeoise”, un livre datant de 1928, il est inscrit au chapitre des salades ” n’oubliez jamais les fleurs de capucines”. On nous précise aussi “que les fleurs de souci sont employées dans les bouillons Anglais et Hollandais”.
Promenades exotiques
En Egypte, le karkadé est la boisson nationale : il s’agit d’une infusion de fleurs d’hibiscus. C’est en Asie que la consommation des fleurs fait partie intégrante, depuis des siècles, de la culture alimentaire. Confucius, en 550 avant JC, citait déjà les chrysanthèmes. Les fleurs de glycine, camélia, lotus, jasmin, lis, cerisier, pêcher, magnolia ou encore pétasite honoraient de longue date les plats salés ou sucrés servis sur les tables princières. Toutes ces fleurs sont vendues en saison, sur les marchés du lointain Orient.
Et aujourd’hui, que se passe-t-il en France ?
Le cuisinier a aujourd’hui compris qu’il dispose pour s’exprimer -comme le peintre- d’une palette de goûts, parfums, saveurs, textures et couleurs, pour créer un tableau gustatif et esthétique. L’utilisation des fleurs en cuisine a maintenant franchi le cap de sa seule utilisation en décor sur assiette : elle devient ingrédient à part entière, pilier de l’architecture de la saveur. Le client gastronome est aussi éduqué, il attend que le cuisinier le surprenne, épate ses papilles !
Pêle-mêle, on peut trouver dans le commerce et en saison : fleurs de sauge ananas, sclarée, capucine, violette, pensée, courgette, orchidées, soucis, tournesol, hémérocalle, jasmin, violettes, fleurs d’ail, de ciboulette, d’origan et de thym, le tout cultivé bio.
Depuis quelques années, beaucoup de sites de ventes en ligne existent sur le Net. Ils sont globalement sérieux et proposent, des fleurs fraiches acheminées par Chronopost sous gel. J’ai essayé, et ça marche ! Vous trouverez aussi des fleurs séchées, cristallisées, essences et huile essentielles, confits et gelées.
Le rôle des fleurs est essentiel dans le monde : elles sont à la source de notre alimentation, passage obligé pour la naissance de toutes les céréales, huiles végétales et fruits. Sans elles, l’humain ne pourrait survivre. Et que deviendraient peintres et poètes ? Abeilles et papillons ? Pourrait-on vivre sans miel, vanille, cornichons, fraises, oranges et framboises ? Sans couleurs dans nos jardins ? Sans cerisiers en fleurs ? Sans prés en floraison par un chaud mois de juin ? Sans le parfum de la rose et du jasmin ?
Par Daniel Zenner