La Foire Européenne de Strasbourg vient de se terminer. Les puissantes lumières inondant la scène du Théâtre du Goût n’illuminerons plus jamais les cuisiniers, du moins à cet emplacement, car le hall historique du pavillon 10 va être prochainement livré aux bulldozers…
Qu’à cela ne tienne, car l’an prochain, je reverrais à nouveau mes frères cuisiniers, avec à chaque fois énormément de plaisir. Pendant onze jours je parle cuisine, sans jamais me lasser. Et devinez ce que je fais pour me reposer après la foire dans ma retraite montagnarde ? De la cuisine et encore de la cuisine. Car pendant onze jours, je ne mets plus la main à la pâte et cela me manque cruellement.
Je goûte le délicat saumon de fontaine cuisiné par Roger Bouhassoun, la belle langoustine de Guilvinec, le saumon d’Irlande, les légumes frais d’une maraichère installée en biodynamie sur les terres fertiles de la Roberstau, puis apprécie les dodues mirabelles aux joues bien rouges, ramassées dans le verger familial entretenu par le papa de Clément!
Cette année, j’ai découvert une façon de préparer le bouillon de poule. C’est tout bête un bouillon de poule. Dans toutes les cuisines d’Italie, à l’instar d’un fond de veau chez nous, une casserole mijote sur le coin du fourneau. Elle laisse échapper des effluves de volaille, d’aromates et de légumes. Ce fond sert essentiellement à nourrir les mille risottos. Vendredi soir, en passant au Kobus, j’aperçois sur le coin du piano, une bonne vieille casserole remplie à ras bord de carcasses de volailles et de légumes. Joël Margotton préparait la base d’un plat qui serait servi dimanche sur la table des festins. Je me réjouissais déjà…
Puis vint, par un beau lundi de septembre, François Golla tenant l’affaire familiale du “Bœuf Rouge” à Niederschaeffolsheim. La dernière fois que je l’avais rencontré, c’était il y a exactement trois ans, au même endroit, sur la scène du Théâtre du Goût. Je me rappelais le plat qu’il avait exécuté de main de maître: les écrevisses à la nage. Il m’avait impressionné. Je le regardais donner progressivement du goût à ses crustacés d’eau douce. Ses gestes étaient précis, mesurés. D’une belle matière mise en œuvre naissait le plus beau plat d’écrevisses à la nage que j’ai jamais dégusté! Je m’en souviens encore…
En ce lundi, François nous réalisa une “pâte de fruit” à la choucroute, amuse bouche plaisant restituant parfaitement le goût de notre plat traditionnel.
Ce cuisinier ne poivre jamais ses plats. Dans sa cuisine, point de bac de poivre moulu. Il veut laisser intacte la saveur de sa cuisine. Puis nous parlons des fonds de sauce. Il réalise un fumet de poisson uniquement avec les parures, sans ajouter de légume ni d’aromats. Idem pour le bouillon de poule qui ne contient que des carcasses. ” Pourquoi ajouter plein de légumes et d’herbes dans les fonds de sauce? Un bouillon de poule doit sentir la poule et un fumet de poisson, le poisson! ” lança-t-il au public! Je dois avouer qu’il a raison, même si ses fonds tiennent plus d’un jus. À force d’ajouter plein de choses dans les bouillons ou les fumets, la Bouchée à la Reine sentira plus le poireau et la carotte, le thym et le romarin que le veau ou la volaille. En plus si la sauce est trop poivrée…
De retour chez moi, j’ai réalisé un fumet de poisson avec juste les parures et du vin blanc. Je dois avouer que François m’a convaincu: j’avais gagné en saveurs maritimes et en finesse. Bien réduite, montée au beurre, voilà ma sauce belle et concentrée. Et pas de poivre cher François!
Je n’ai rien contre, mais on fait vraiment n’importe quoi. J’en ai vu de toutes les couleurs, de tous les goûts.Lors du concours annuel de la Bouchée à la Reine, quinze candidats s’affrontaient. Cette année, le niveau était vraiment excellent. Voilà qu’arrive devant les yeux du jury, une superbe bouchée, fort savoureuse d’ailleurs, jouant des coudes sur l’assiette avec une énorme fleur d’orchidée comestible bleu criard, aussi grande que la croûte. Le jury a de suite déclassée la chose, peu avenante à goûter je l’avoue, même pour moi, grand croqueur de fleurs…
Sur un dessert à l’ananas et noix de coco en train d’être dressé, j’aperçois une fleur typique à cinq pétales. J’identifie de suite l’appartenance de cette fleur rose à la famille des liliacées, présentant essentiellement des saveurs sulfureuses et aillées… Je goûte donc et avertis de suite le chef de la puissante odeur d’ail de cette belle fleur, dont j’ai gardé la saveur pendant une bonne heure… À la fin du service, le cuisinier est venu me dire: “Tu m’as sauvé la vie…” Idem un autre jour, ou j’identifie sur un dessert au chocolat une fleur de la famille des crucifères. Généralement dans cette famille, les spécimens sentent plutôt le chou et la moutarde que la rose et la vanille. Et ça n’a pas loupé… on ôte donc la fleur de l’assiette…
Cuisiner avec les fleurs, oui, mais pas n’importe comment… car chaque fleur possède son parfum. Goûtez-les donc avant de les offrir aux clients, cela vous évitera de commettre quelques crimes de mauvais goûts…
Par Daniel Zenner