C’est l’une des spécialités reconnues alsaciennes et appropriées comme telles. Les spätzele, comme les nouilles, sont des pâtes. Mais toutes les pâtes ne sont pas des nouilles…De la farine et des œufs. Voici la base inébranlable de nos pâtes d’Alsace, mélange simple de deux produits, qui sont à la source d’une diversité de préparations que la France de l’intérieur nous envie. Ajoutons à cette base, du lait ou de l’eau, quelques herbes fraîches, un soupçon d’inventivité culinaire et une belle dose de gourmandise : bienvenue dans le monde des pâtes d’Alsace !
Les belles histoires des spätzele
Une légende encore tenace dans notre région veut que la recette de base des pâtes, soit venue d’Italie par l’intermédiaire de Marco Polo, célèbre Vénitien qui aurait rapporté la formule ( sous forme de vermicelles ) lors de son retour de Chine en 1295. Mais, dans quelques ouvrages et chroniques du quatrième siècle avant J. C., on se rend compte que le monde gréco-romain connaissait les pâtes. En effet, quoi de plus simple que de les réaliser ? le blé est une céréale cultivée par l’homme depuis plusieurs millénaires. Les œufs sont ramassés par nos ancêtres depuis la nuit des temps, probablement bien avant l’invention de l’élevage des poules. L’Alsace, forte de terres agricoles fertiles propices à la production de céréales et d’œufs, n’a sûrement pas attendu Marco Polo pour se régaler de spätzele !
Quoiqu’il en soit, la première recette de pâtes aux œufs décrite dans un livre de cuisine alsacienne figure dans le Kochbuch ( 1507 ), puis dans Von allen Speisen und Gerichten ( 1530 ), deux ouvrages parus à Strasbourg. Les deux livres donnent la recette des Wasser Strieble, véritable spätzele car la formule stipule : « on fait tomber dans de l’eau bouillante des fragments de pâte plus ou moins épais ». La recette des nouilles à la main ou nouilles maison, nommée Selbstgemachtnudel ou encore Sälbschtgemachtinüdle, apparaît plus tardivement, exactement en 1671, dans le Kochbuch de l’abbé Bernardin Buchinger : « Les nouilles sont faites de beaucoup d’œufs, de bonne farine et de sel. Pas d’eau, mais des œufs en quantité ».
Revoir, la vidéo des spatzeles avec Good’Alsace
Pour réaliser cette recette originale, dont la pâte ne doit être ni trop dure, ni trop molle, propice à être étalée au rouleau, il faut ordinairement un kilo de farine blanche pour dix œufs. Pour ma part, je n’ajoute jamais de sel, car celui-ci attaque l’albumine de l’œuf ( le liquéfie ) et l’oxyde rapidement ( perte de la belle couleur jaune ). Un célèbre tableau, peint au milieu du 19e siècle, une huile sur toile d’Alfred Pabst, représente une alsacienne préparant des nouilles. Cette oeuvre est exposée au Musée Alsacien de Strasbourg. Elle figure en bonne place sur les paquets des fameuses pâtes Valfleuri, dont les Sundig Spätzele.
La plupart des mots utilisés dans notre dialecte se prononcent et s’écrivent de multiples façons. Cela dépend des us et coutumes de chaque village et de sa position géographique. Le mot le plus connu et le plus employé pour désigner le préparation culinaire qui nous intéresse dans cette chronique est Spätzele (prononcez : chpétslé ). Nous adopterons donc cette orthographe. C’est un mot dérivé du souabe ( dialecte alémanique d’une région de l’Allemagne du Nord-ouest ). C’est un diminutif de Spatzen qui signifie en ce patois moineau, car les spätzele ressemblent après cuisson à un nid de moineau…
Mais nos renommées pâtes ne sont pas l’exclusivité de notre Alsace chérie. Elles sont connues et fort appréciées en Suisse, Allemagne, Autriche, Italie Alpine et en Moselle. Chez un de nos chers voisins, en Franche-Comté, elles sont dégustées sous le vocable de guilles d’âne, ce qui n’est pas un compliment, car ce mot se traduit par crottes d’âne…
Une belle histoire de notre tradition alsacienne raconte que vers 1782, le Maréchal de Contades, alors en poste de gouverneur en Alsace de 1762 à 1788 et installé à Strasbourg, en avait marre de manger trop de spätzele. Il ordonna donc à son cuisinier, Jean Pierre Clause, qui deviendra célèbre un peu plus tard, de lui cuisiner autre chose. Grâce à cela, ce marmiton de génie inventa le fameux et réputé Pâté de foie gras…
Une grande famille
Comme nous l’avons vu, la recette des spätzele semble être nettement antérieure à celle des nouilles maison ( fraîches ou sèches ). Mais au coeur de l’Alsace, si riche en tradition, la grande famille des pâtes ne pouvait que prospérer. Réaliser son inventaire est une tâche ardue. Citons les plus connues comme les Mähl Knepfle (Knepfle de farine ), les Striwele ( quenelles de farine ), les Schniederspätzelé ou schniederspatzla : c’est une pâte à nouille découpée en carrés ou en petits losanges, cuite dans de l’eau bouillante salée puis mise dans un plat à gratin avec beaucoup d’oignons revenus dans du saindoux. C’est une spécialité de centre Alsace. Ce mot peut se traduire par morceaux de tissus, car la forme de ces pâtes ressemble aux bouts de tissus carrés qui servaient à raccommoder les pantalons usés ( surtout aux genoux ) par les garnements. Les Kaassknepfle, agrémentés de fromage blanc dans la pâte, sont pochés en forme de quenelle puis dorés au beurre.
Les Schnupf Knepfle sont des spätzele légers au lait, présentés avec un mélange d’œufs battus et de crème fraîche ajoutés en fin de cuisson. Les Sueri Spätzele sont appréciés du côté de Drusenheim, un village du nord de l’Alsace, au bord du Rhin. Ils sont agrémentés d’une sauce à la crème vinaigrée. Les Knöedel, ou Knodel, ou en français boulettes à la souabe, sont constitués d’une pâte à spätzelé moulée en grosses boules, puis pochées. Elles sont quelquefois farcies de quetsches et constituent un mets roboratif et rustique, apprécié surtout en Autriche.
Traditionnellement, les spätzele sont proposés en accompagnement de plat en sauce. Ils sont rarement consommés seuls contrairement aux pâtes italiennes qui composent à elles seules un plat de résistance. Il existe aussi des versions sucrées appelées Melichstriwle, de véritables spätzele non salés, parfumés habituellement à la vanille et accommodés de sucre, de crème ou de confiture. Tout ce petit monde appartient donc à la grande famille des Knepfles (petits boutons en dialecte alémanique), dont notre terroir gourmand offre une palette variée et diversifiée.
Dans ma jeunesse, non loin de Colmar, quand ma mère cuisinait une choucroute garnie, nous étions sûr que le lendemain, nous mangerions des spätzele mêlés des restes de choucroute. Cette façon de procéder, surtout connue dans le Haut-Rhin, est nomméeKrauterspätzele. Nous adorions ce plat.
Spätzele, version traditionnelle et industrielle
Pour les confectionner chez soi, il existe plusieurs méthodes :
À la planche : il s’agit de verser la pâte sur une planche en bois humide. Il faut alors incliner celle-ci au dessus d’une casserole d’eau bouillante salée, puis détailler au couteau ou à la spatule la pâte, au fur et à mesure qu’elle s’écoule.
À l’entonnoir : cette façon de procéder exige une pâte un peu plus liquide que celle citée précédemment, car celle-ci doit pouvoirs’écouler facilement par l’ouverture étroite d’un entonnoir.
Avec une passoire à spätzele : c’est la méthode la plus courante. L’appareil ressemble à un presse-purée, mais les trous sont ronds et plus espacés. Il faut tourner la manivelle en bois pour actionner le mécanisme.
Avec une râpe à spätzele : la pâte est déposée dans un carré placé au dessus d’une râpe à gros trous. Il faut faire coulisser ce carré pour fragmenter la masse qui tombe en forme caractéristique.
Avec une presse à spätzele : ces appareils sont surtout utilisés en Allemagne. La pâte doit être de consistance assez dure car elle est compressée.
Dans tous les cas, pour bénéficier de l’appellation traditionnelle admise, il faut que la pâte contienne de la farine de blé, des œufs, de l’eau ou du lait, puis soit pochée dans de l’eau frémissante. Certains marmitons ajoutent dans la masse du fromage blanc : les spätzeleseront plus légers. On peut aussi les agrémenter de purée de légumes (épinards ou herbes sauvages ) et d’épices ( paprika, curry, etc. ). Ces pâtes peuvent être présentées dès la sortie de l’eau, ou rafraichies puis égouttées, pour être ensuite revenues dans du beurre, ce qui leurs confèrent une saveur de crêpe grillée que les amateurs plébiscitent.
La première fabrique de pâtes en Alsace date de 1840 ! Ce fût la maison Scheurer qui adopta le pétrin mécanique et la presse hydraulique. L’usine, installée à Colmar-Logelbach, fut bombardée par les Allemands (depuis Horbourg) le 21 août 1914. Elle fut entièrement détruite. L’histoire nous raconte que plusieurs milliers de marks de pâtes alimentaires furent détruits…
Les pâtes d’Alsace, dont les Spätzele, bénéficient d’une IGP (Indication géographique protégée), label reconnu par l’Europe.
Le cahier des charges stipule – entre-autre – que les pâtes doivent être fabriquées en Alsace et contenir au moins 320 g d’œufs pour un kilo de semoule de blé dur. À l’instar de la plupart des pâtes italiennes, celles-ci contiennent donc de la semoule et non plus de la farine de blé. Les spätzele adoptent aussi une forme plus longue et ronde, contrairement à ceux, plus petits, ronds et dodus, ordinairement confectionnés à la maison. Après le façonnage (par compression au travers d’une grille), les spätzele sont pochés puis séchés.
Ils peuvent être réalisés avec de la semoule ou des œufs bios, de batterie ou de plein air. Il suffit de lire les étiquettes !
Aujourd’hui, deux grandes entreprises peuvent prétendre à l’IGP Pâtes d’Alsace. Elles se partagent le marché pour notre plus grand bonheur : Valfleuri à Wittenheim et Heimburger à Marlenheim.
Par Daniel Zenner