Drôle de mois de mars. La moitié de la France subit les caprices de la fin d’un hiver qui n’a pas encore dit son dernier mot. En ce 12 mars, dans ma montagne, le thermomètre affiche moins sept degrés. Il neige. Laissez donc de côté les salades de pissenlit et de mâche sauvage car il encore temps, sous ces rigueurs inhabituelles de mettre la poule au pot. Comme tout bon français qui se respecte, à entendre “poule au pot”, vous avez de suite pensé à Henri IV, ce cher roi de France resté bien populaire. En classe de cinquième, c’est à peu près la seule chose que j’avais retenu sur ce roi-gastronome. Cancre reconnu, je connaissais pourtant par cœur la date de son assassinat et l’horrible nom du sanguinaire assassin, car sur une des étagères du bureau de mon père, trônait en bonne place parmi d’autres bibelots, une assiette en étain représentant le carrosse du roi et l’ignoble Ravaillac armé de son long couteau qui tentait de poignarder le brave Henri par une des portes de la voiture hippomobile.
Le nom du défunt Roi ainsi que celui de son bourreau étaient inscrits au dessus de la date tragique: 14 mai 1610, Paris. Tout cela pour vous dire que déguster la poule au pot du dimanche à la maison, c’était déjà toute une histoire…
Il faut bien redonner à Henri ce qui est à Henri, car ce débonnaire Monarque, représentant de la famille des gloutons Bourbons, a bien cultivé l’étroite relation qui le lie à la poule au pot. La tradition veut qu’Henri IV, soucieux du bien-être de ses sujets, ait maintes fois répété : “Si Dieu me donne encore de la vie je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot “. Une autre version de la royale phrase existe: ” Je veux que chaque laboureur de mon royaume puisse mettre la poule au pot le dimanche”.
Voilà qui est dit. Merci Henri. Voilà enfin un souverain qui pense à son peuple, contrairement à ses prédécesseurs qui ne pensaient qu’à ripailler, courtiser, guerroyer et aller à la chasse. Une exception cependant pour Charlemagne (an 800) qui a inventé l’école, puis régulé le cours du blé, interdisant sa spéculation, faisant bâtir d’énormes entrepôts. Mille deux cent ans après, nos politiques devraient s’en inspirer.
Les propos du roi, qu’elle qu’en soit la version (selon les manifestants ou la police) tendent indéniablement à sustenter le bon peuple, du moins à en prendre soin, à le considérer. Certains auteurs ont, à mon avis à tort, voulu nous faire croire que ce bon roi voulait imposer tous les dimanches ce plat qu’il aimait tant à tous ses sujets de Navarre, sous peine de sanctions. Imaginez un instant des contrôleurs venant à l’improviste chez les pauvres hères pour vérifier ce qui mijote dans le pot dominical et dresser, si tel est le cas, une contravention-en- trois-exemplaires-avec-talon-détachable-AFNOR/1553 pour non respect des souhaits du Roi. Non, cette version des faits ne tient pas debout.
Béarnais de naissance, Henri IV vit le jour le 13 décembre 1553 à Pau. Il fût baptisé au vin de Jurançon, voilà qui commence bien, mais l’histoire ne nous dit pas s’il s’agissait d’un nectar moelleux ou sec. Sa région d’origine, au pied des Pyrénées, est un pays connu depuis bien longtemps pour ses habitants qui font bonne chère. L’ouverture sur l’océan, la garbure, le jambon de Bayonne, le salmis de palombe, le gâteau basque à la crème, les innombrables fromages de brebis, vaches et chèvres et les incontournables vins d’Irouléguy et de Madiran sont encore aujourd’hui les dignes représentants de la culture gourmande du Béarn. Et que dire de la sauce béarnaise? Une des plus belles créations de la cuisine française?Nourri du meilleur de cette région, allaité par une nourrice elle-même entretenue au Jurançon, il me semble bien improbable que notre bon Roi ait eu envie, tristement, de manger lui même – et de faire manger à tous ses sujets nobles et roturiers – le même plat chaque semaine.
Non, point de lassitude alimentaire! Notre brave Béarnais voulait juste que chaque Français puisse manger chaque dimanche à sa faim, car dans les campagnes de la fin du 16ème siècle, la disette sévissait souvent et les ventres criaient encore trop souvent famine. Qui entretien un poulailler a chairs et œufs en abondance, poussins, poulardes et fiers coqs… Avoir des poules, c’est presque baigner dans l’opulence.
Symboliquement, elle est l’image de la mère qui, parfois à l’excès, se soucie de l’enfant qu’elle nourrit et protège. Une mère-poule, on sait ce que c’est! La poule, parmi toutes les bestioles apprivoisées qu’entretiennent les hommes, peut s’enorgueillir, avec le mouton, de détenir la palme d’or de la stupidité. Mais la poule est intelligente au moins une fois dans sa vie: quand ses petits cassent la coquille des œufs qu’elle a instinctivement couvé pendant de longues semaines. Elle devient chef d’entreprise, responsable et assurée, défiant même le coq qui se soucie de sa paternité comme de ses premières ramiges. Observer une poule et ses poussins est un des plus beaux spectacles que je connaisse. Je suis sûr qu’à Paris, je pourrai monter un super spectacle: installer un vrai poulailler sur une scène de théâtre, avec la terre, le tas de fumier, un arbre, le grillage, les odeurs, les bruits, le pondoir, l’échelle pour la nuit, la poule et ses poussins. Les spectateurs pourraient venir se détendre pour un quart d’heure, une heure ou plus, assister aux premiers chants du coq, s’émoustiller en regardant les positions acrobatiques que prend ce dernier pour honorer ces dames, assister aux courses poursuites et divers conflits d’intérêts entre les dominantes et les dominées, etc. Mais je m’égare, revenons à notre poule au pot.
Nous avons disserté sur Henri IV, sa région natale et le sens de ses propos. La poule est encore libre dans le poulailler: tuons-la maintenant!
Mais comment la cuire? Dans un pot pardi! Une gamelle en fer suspendue à la crémaillère… voilà un des seuls ustensiles disponibles à la fin du 16ème siècle, avec les poêles et les broches. Les fours, souvent banaux, étaient destinés avant tout aux cuissons des pains et pâtisseries. Le fourneau ne fit son apparition qu’au milieu du 17ème siècle.
Dans les différents ouvrages que j’ai consultés, les recettes restituent bien l’origine de ce plat au Béarn, mais celles-ci sont peu nombreuses. Antonin Carême n’en pipe mot, comme Jules Gouffé ou Auguste Escoffier qui ne mentionne dans l’index alphabétique de son “Guide Culinaire”, sous la lettre P, que “Poule d’eau” et “Poule de prairie”, gibiers occasionnels assez estimés. La poule domestique brille donc par son absence. Cela s’explique probablement par le fait que la poule est considérée comme une denrée peu estimée et que son rôle primordial est d’abord de pondre des œufs et de procréer: elle n’était donc sacrifiée que dans son vénérable âge, quand sa viande était devenue dure et peu goûteuse. Un peu à l’instar de la vache sacrée chez les hindous. Les célèbres auteurs cuisiniers cités ci-dessus préféraient consigner les apprêts des coquelets, poulets-grains, coqs, chapons et poulardes, ces deux dernières volailles n’étant issues que du génie de la création humaine pour satisfaire son appétit sur l’autel de la gastronomie. Pauvre poule qui ne mérite point, au vu des fourchettes raffinées, qu’on lui consacre rien que pour elle un livre de cuisine! Savez-vous que même le législateur la dénigre? Au point que l’administration française, par le biais du bulletin n°2 de février 1995 de la DGCCRF en page 8, émet ce triste avis: “Peuvent être présentés à la vente sous la dénomination “coq au vin”, les plats cuisinés élaborés à partir de poule, poulet, chapon, coquelet” (Sources: Jean Paul Branlard “Droit et Gastronomie” un admirable ouvrage). Ne vous êtes vous jamais demandé où passaient les milliers de milliers de poules pondeuses de batterie? Celles emprisonnées à vie, sans être ni jugées, ni coupables, par douze dans des cages en grillage d’un mètre carré? Nourries avec ce que produit de pire l’alimentation industrielle pour bétail?
Maintenant, vous le savez. Et je souhaite bon appétit aux consommateurs de viande de poulet industriel, car croyez-le, le coq au vin cuisiné, en boite ou surgelé, ne contiendra pas du chapon, même si le législateur l’autorise…
Alexandre Dumas, dans son dictionnaire de cuisine de 1873, n’en donne lui non plus la recette, mais nous offre une anecdote croustillante: “Ce furent les habitants de l’île de Cros qui apprirent aux Romains l’art d’engraisser les volailles dans des lieux clos et sombres. La profusion qui existait à Rome de volailles engraissées obligea le consul Canius Fanius à faire une loi qui défendait d’élever les poules dans les rues”
Dans la plupart des livres de cuisine, la poule est souvent répertoriée dans les recettes de “poule au riz” ou de “poule gros sel” cuite avec d’autres viandes. Quel dommage!
Fin gourmet, Henri IV n’aurait point admis que l’on mette en pot une vieille poule, maigre et affaiblie, dont les chairs sèches ne régalent point le gastronome. “Il faut une poule, ni trop jeune, ni trop vieille, de deux ans environ” (Cuisine des familles 1899); “Une poule de deux ans” (Robert-Jean Courtine 1952)
Voilà, vous l’avez compris, nous avons maintenant notre poule parfaite: en forme, heureuse et épanouie d’avoir pondu sa centaine d’ovaires, de bonne constitution, un peu grassouillette, à limite du cholestérol acceptable.
J’ai sous les yeux, la “vraie recette de la poule au pot” réalisée par une Béarnaise de souche. La version décrite y est luxueuse, la poule enfin considérée. Je ne vous la livrerai point ici car elle s’étale sur deux pages. Sachez que la volaille est farcie, enfermée dans une barde de lard assez grande pour la protéger des ardeurs du bouillon, lui-même enrichi de dix légumes et aromates, soigné, écumé pendant plusieurs heures, surveillé sur le coin du fourneau. Le service comporte le potage au riz et la poule “qui se découpe comme un poulet rôti. Quand à la farce (réellement exquise) qui garnit l’intérieur, on la détaille en tranches aussi minces qu’il est possible de les couper” Jeanne Savarin 1899, “La Cuisine des Familles”
Merci à vous deux, Jeanne et Henri, d’avoir anobli la bien modeste poule!
Par Daniel Zenner