Monique Jung vient d’être intronisée membre d’honneur du club Prosper Montagné Alsace, un club dont son époux le regretté et célèbre chef de cuisine Emile Jung en fut président-fondateur. Le couple de restaurateurs du mythique restaurant Crocodile, a tant formé, tant transmis, tant fait rayonner la gastronomie alsacienne et française, que perpétuer leurs valeurs et leur héritage culinaire est un devoir, dont s’honorent avec respect, les acteurs de la profession.
Sur le salon EGAST à Strasbourg en février 2022 se tenait la toute première édition du trophée Émile Jung, qui nous avait quittés le 20 janvier 2020.
Invisible, mais omniprésent, l’esprit d’Émile Jung observait, bienveillant l’organisation du concours. Sa pensée céleste devient terrestre sous la plume d’Axel Araszkiewicz, -autrefois, chargé de communication du Crocodile- et la validation de Monique Jung.
« De là où je suis, tout là-haut »
« Alors qu’il y a tout juste deux ans à quelques jours près, je tirai ma révérence pour aller vers l’au-delà, me voici à l’occasion d’Egast remis en piste à travers cet hommage très émouvant, le trophée Émile Jung ! De là où je suis, tout là-haut, les perspectives sont bien différentes, mais au fond de moi, je n’ai pas vraiment changé. À vous, je peux vous le chuchoter : j’étais déjà sage et philosophe, poète et un peu artiste, intègre et discret… et ces traits de caractère particuliers, m’ont aidé à prendre de la hauteur, malgré moi. De la hauteur pour mieux vous observer, mieux vous comprendre et mieux vous aimer pudiquement, mais intensément, vous les terriens. Sans jamais vous quitter vraiment, car je vous suis toujours avec bienveillance et discernement depuis que je suis parti.
Un passeur pour les futures générations
Aujourd’hui, avec cette distinction qui a été créée dans le cadre du salon EGAST, je me sens un véritable passeur pour les futures générations et c’est à ce titre que je suis très heureux et comblé. Cela est le vrai sens de ma vie : transmettre et partager. Je repense avec grande émotion à tous ceux, avec qui j’ai œuvré, collaboré, avancé, trimé, sué… dans la chaleur des fourneaux et dans l’incontournable stress de la course à l’excellence. Chefs, seconds, pâtissiers, sommeliers, commis, apprentis, stagiaires, collaborateurs, fournisseurs et partenaires … chacun à sa manière a participé et apporté sa contribution à l’édifice, d’eux tous, je suis fier et extrêmement reconnaissant, car ce qui m’a toujours animé dans ce métier, au- delà de la recherche du goût parfait, c’est le travail en équipe d’une brigade complémentaire, soudée, et plurielle, qui se cherche, tâtonne, se respecte pour au final, se trouver, se fédérer et interpréter une partition harmonieuse de goûts et de saveurs. Peu importe, les coups de feu et les coups de gueule, ce qui comptait, c’est le résultat final !
C’est avec une infinie reconnaissance qu’aujourd’hui je grave ces mots sur le parchemin numérique de Sandrine Kauffer-Binz, fidèle des fidèles, qui grâce à sa passion pour nos métiers, dès la première heure, a contribué depuis de nombreuses années à défendre nos valeurs, nos terroirs et notre vision des choses. Plus que jamais, je tiens à l’en remercier ainsi que toute notre belle profession et en particulier, le groupement des Chefs d’Alsace, mes pairs et mes frères, qui à travers cette volonté de m’honorer ont signé leur appartenance à cette grande tribu des cuisiniers passionnés. Je n’ai pas besoin de les nommer pour qu’ils se reconnaissent, car notre connexion est très forte. Également bravo à ce jury hors pair et à ses choix judicieux, qui me parlent tant et me comblent, d’où je suis, faisant frémir mes narines et me faisant saliver ! J’en ai presque honte tant je suis resté gourmand.
Je veillerai sur le destin de Jonathan Lux
Mes sincères félicitations et mon admiration vont à Jonathan Lux du Cerf à Marlenheim qui remporte cette première édition du trophée Émile Jung pour sa croustade aux fruits de mer et sa sauce si appréciée. Puisse cette récompense l’auréoler d’un destin prometteur, sur lequel je veillerai personnellement au grain. Je tiens également à féliciter et remercier les cinq autres lauréats, qui ont fait preuve de créativité, d’ingéniosité et de pugnacité. L’important, c’est bien de participer pour évoluer et se dépasser ! Enfin, si je puis me permettre, messieurs, n’omettez jamais, d’ajouter dans vos recettes quelques soupçons d’audace, quelques tours de moulin à poivre, quelques grains de sel, et n’oubliez jamais que le vin est le génie de la cuisine pour la transcender.
Bouleversé par tant de flash-back qui remontent dans mon esprit, je ne peux m’empêcher de me remémorer tous ces événements gourmands et gourmets montés avec Unis 7, les Étoiles d’Alsace, le Club Prosper Montagné, la Fraternelle des Cuisiniers, les Relais et Châteaux, les Amis d’Escoffier, Femmes et Chefs. J’ai également une pensée pour mon premier maître, l’incontournable Roger Roucoux, de la Mère Guy à Lyon, pour Alex Humbert, le grand chef de Chez Maxim’s à Paris, et pour les conseils avisés du visionnaire Monsieur Paul lors des nombreux repas à sa table familiale. D’eux tous, je me sens riche aujourd’hui, même sur mon nuage là-haut.
Monique, mon flambeau
Ce temps fort exceptionnel d’Egast m’a bien remis les pieds sur votre bonne terre lorsque j’ai vu Monique, ma très chère épouse, porter mon flambeau et mes bonnes paroles. Elle qui mieux que personne, pendant toute notre carrière à Masevaux, puis à Strasbourg m’a compris, accompagné, protégé et parfois même supporté, pour m’aider à grandir et à me bonifier, quelles que soient les circonstances traversées. Quand je l’ai vue entourée de notre garde rapprochée du Crocodile – des collaborateurs, des prestataires fidèles, des amis proches, des membres du Crocodile-Club, je l’ai sentie très forte, très digne, pétrie d’émotions et de chagrin, certes, mais en phase totale avec ce que nous avons été pendant de nombreuses années : un couple complémentaire généreux, à l’écoute, esthète du goût et des bonnes manières. Sans oublier cette jolie foule d’anonymes, venue participer et admirer la scène culinaire. J’ai été très touché.
Et comment ne pas avoir une pensée puissante pour mes très chers parents, mes sœurs et mon oncle Léon qui m’ont mis le pied à l’étrier à l’Auberge familiale de Masevaux, l’Hostellerie Alsacienne, où le destin m’a joué un sacré tour en me forçant à reprendre à 19 ans les rênes de l’affaire, mon père ayant disparu prématurément. Que serai-je devenu selon mon souhait initial, de devenir un bon médecin de campagne, fréquentant les belles tables d’Alsace le dimanche ?
Le sort en a voulu autrement et ma vie a été merveilleuse d’expériences, de labeurs, de saveurs et de rencontres étoilées.
Mes derniers mots, pesés et sincères, iront droit aux vaillants repreneurs de mon saurien préféré, pour lesquels je ne serai jamais assez reconnaissant. La famille Burrus, qui aux côtés de Cédric Moulot, permet d’assurer au Crocodile un avenir auréolé en cette époque bien troublée.
Et n’oubliez jamais, chers Terriens : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » (cit. Antoine de Saint-Exupéry).
Votre dévoué Émile Jung