Beignets de Carnaval, par Daniel Zenner

Les beignets de carnaval en Alsace

Les boulangers-pâtissiers-chocolatiers sont des gens heureux. A chaque saison, à chaque événement familial, à chaque fête, il y a une spécialité tout en douceur qu’ils s’empressent de confectionner. Les pages du calendrier s’effeuillent au rythme des chocolats ou des agneaux de Pâques, des bûches, des beraweckas et des bredalas de Noël, des torches aux marrons, des apfelstrudel, et des galettes des rois. Brioches, viennoiseries, bretzels et kougelhopfs toute l’année.


Au creux de l’hiver, nous attendons avec impatience les fameux beignets de carnaval. Entre les festins de fin d’année et les réjouissances de Pâques, ils apportent à l’organisme des calories utiles, pour affronter les derniers frimas et énormément de plaisir !

L’origine des beignets remonte probablement à l’époque des croisades. Ils auraient été rapportés par les Sarrasins lors de leurs nombreuses incursions en Espagne et même en France (réviser svp l’épopée de Roland de Roncevaux coincé dans un défilé rocheux et qui appelle ses copains avec sa corne de brume ainsi que celle de Charles Martel qui les refoula à Poitiers…) Alexandre Dumas écrit : “Le Sire de Joinville nous apprend qu’en rendant la liberté à Saint Louis (13ème siècle) les Sarrazins lui présentèrent des beignets”.

Le mot beignet lui, à des origines Celtes. Il peut être traduit par enflure ou tumeur… La faute aux bulles d’air qui se développent quand la pâte cuit !

Le mot carnaval apparaît en français vers 1550 sous la forme carneval dans le sens de ” fête donnée pendant la période du carnaval”. Ce mot d’origine italienne, carnelevare, nous vient du latin carne “chair” et levare “ôter”. Il signifie : entrée en Carême. On applaudit l’abondance de calories avant la diète imposée par les quatre semaines de régime avant les Pâques !

 

D’après le calendrier religieux, le carnaval débute à l’Épiphanie (le 6 janvier), date qui marque la fin des fêtes de Noël et s’arrête le mardi gras, veille du début de la période de carême. Le carnaval est une tradition archaïque liée aux cycles saisonniers et agricoles.

La tradition perdure dans de nombreux pays. Les carnavals de Rio, Venise ou Nice sont célèbres dans le monde entier. Celui de la bonne ville de Bâle a lieu du lundi au jeudi suivant le mercredi des Cendres. Le lundi matin à 4 h, toute la ville est plongée dans l’obscurité et la reine du carnaval prend le pouvoir. Une procession costumée sillonne la ville avec des lanternes ornées de dessins satiriques, portant sur l’actualité régionale ou internationale.. Tous les habitants y participent et attendent ces jours de liesse. Le cortège est accompagné par une dizaine de milliers de joueurs de fifres et de tambours. C’est le plus grand rassemblement de lanternes d’Europe. Cette année il aura lieu du 27 au 29 février.

 

Scharwa ou Merveilles d'Alsace
Scharwa ou Merveilles d’Alsace
Entre les différents types de beignets, il est difficile de s’y retrouver car il n’existe ni indication géographique protégée, ni AOC ! La paternité des bugnes Lyonnaises par exemple, est un fait tout à fait discutable. D’après quelques sources, elles seraient nées à Arles puis seraient remontées par le Rhône jusqu’à Valence puis Vienne. Avant de se faire connaître à Arles, les “bugnes” durent probablement venir dans les valises des arabes via l’Espagne ! Ces beignets gagnèrent aussi le Dauphiné et la Provence car ils sont connus dans cette région sous le nom de bugneto, bugneto, bougno ce qui se rapproche très nettement du vocable beignet.
Et les Chinois ? Ces derniers maitrisent depuis deux millénaires l’art de frire des aliments. Témoins de nombreux écrits relatant la vie de la cour dans des époques reculées. Les arabes se seraient-ils inspirés de leur art ? Quel a été le rôle de Marco Polo dans cette aventure du beignet ?Il existe une recette assez extraordinaire dans “Le Cuisinier ” de Pierre de Lune (1656) : les pets de putain. (En français dans le texte…) “Avec la même pâte des bonnets à la seringue, on peut faire ceux-ci y mettant un peu de moelle fondue et un peu de farine ; servez avec sucre musqué et fleur d’oranger”. Est-ce l’ancêtre des beignets soufflés ? Ce cuisinier écrivain mentionne aussi la pâte seringuée, dont je vous livre ici la recette : “Prenez de la pâte d’amandes que vous aurez faite pour frire ; pilez-la dans un mortier avec un peu de crème naturelle et cuite ; la mettez dans la seringue et la faites frire en grande friture ; mettez sucre musqué et eau de senteur en servant”.
D’autres variétés de beignets suivront, comme un des plus curieux que j’ai trouvé dans “Le Dictionnaire Portatif de Cuisine” fin du 18ème siècle, les beignets bachiques : “Prenez des bourgeons de vignes très tendres. Trempez-les dans une pâte à bière, comme les fraises. Faites frire et glacez”
Le grand Antonin Carême en donne plusieurs recettes, dont les beignets de brioches, ceux à la crème, à la Provençale ou soufflés à la vanille. La mode est bien lancée ! Curieusement, après quelques recherches dans mes précieux livres gourmands, je n’ai pas trouvé de recettes dans ” Le confiseur Royal” (1825)

 

Mais la confusion règne dans les appellations, car chaque région gourmande de France à baptisé un beignet identique d’un autre nom comme oreillette, roussette, nœud d’amour, merveille, beignet de mardi gras et même d’autres mots plus compliqués à prononcer en Bulgare et Danois. Les recettes concernant ce type de beignets sont à peu près identiques. Seules les formes diffèrent. En Lorraine par exemple, et le jour de la Saint Valentin, la promise offrait à son fiancé, en gage d’amour, des pois de sucre : elle découpait dans une pâte levée de petits ronds avec un dé à coudre puis les faisait frire.

En ce qui concerne les fameux beignets en pâte de type briochée que l’on retrouve en période de carnaval, il s’agit du beignet Viennois aussi appelé boule de Berlin ou knaffen. Vous pouvez les retrouver toute l’année dans les fast food et les sandwicheries d’outre-Atlantique. C’est une spécialité qui y ressemble, en plus mauvais, il faut bien le dire.

 

Mais revenons en Alsace !

Curieusement, je n’ai trouvé dans le livre “La Cuisinière Alsacienne” de Marguerite Spoerlin (1842) aucune trace du moindre beignet. Pourtant, cet ouvrage a été écrit dans la région de Mulhouse, ville réputée et reconnue à l’époque pour la qualité de ses
spécialités pâtissières.
Quoi qu’il en soit, je vous livre ici, quelques recettes et histoires des principaux beignets réalisés en alsace :

 

Les schangalas – Beignets de carnaval Alsaciens. ©cuisinededeborah

*Les scharwas, scherwe ou charwa : ce sont les véritables beignets de carnaval que nos mères préparaient autrefois. Ils étaient parfumés au zeste de citron, fleur d’oranger, rhum ou Kirsch. Ils appartiennent à la grande famille des bugnes.

*Les schenkala ou schankala (cuisses de dames ou cuissettes) : la pâte était roulée par les femmes sur leurs cuisses à l’aide de la paume de la main. Ils se conservent longtemps dans une boite en fer mais en ont rarement le temps ! C’est une pâte qui contient de la poudre d’amandes et de noisettes.

*Les beignets à la mode de Hoerdt (Hördter kiechle) sorte de charwa connu dans ce village au nord de Strasbourg. Ils sont dégustés froids avec un bon pichet de vin blanc.

*Plus curieux : les beignets au bicarbonate de soude (Natronkiechle) il s’agit d’une pâte levée détaillée à l’aide d’un verre, creusée en son centre puis mise en friture. L’emploi du bicarbonate se justifiait car les levures chimiques performantes n’étaient pas encore inventées !

*les beignets des jeunes filles (Jungferekiechle) : la pâte assez souple est réalisée avec 250 g de farine, 80 g de beurre ramolli, 1 tasse de crème fraîche, 1 tasse de sucre, 1 pincée de sel fin et du sucre cannelle pour soupoudrer. Des carrés sont posés dans la friture. Lors du carnaval des femmes (wiwerfasenacht) les jeunes femmes du village allaient chez l’aubergiste pour se faire offrir ces beignets avec force rasade de vin blanc. Cette tradition était surtout vivace dans le Haut-Rhin, ainsi que dans la région de Barr et Sélestat.

*Les hirtzhernles : beignets de Mardi Gras, variante des scharwas connue dans le Sundgau.

*Les fasanachtkiechles (67) ou fastnachtspfluta (68) ce sont les beignets traditionnels d’Alsace. Ils peuvent aussi désigner d’une manière générale tout type de beignets sucrés. Ils adoptent généralement des formes rondes et rebondies. Ils sont souvent fourrés, après cuisson, de bonne confiture. Ce sont les cousins des berliners ou beignets Viennois. Dès la fin de Moyen-Age, une coutume concernant ces beignets est attestée : les enfants ou les conscrits collectaient les fasnachtkiechles de maison en maison pour les offrir ensuite aux personnages importants du village. Le premier beignet sorti du bain de friture était donné aux poules afin qu’elles deviennent de bonnes pondeuses !

 

Hors concours, car hors saison :

*Les beignets de fleurs de sureau (Holderkiechle) ou d’acacia (Akaziakiechle) Il faut disputer aux abeilles vers la mi–mai, les belles grappes odorantes de fleurs blanches. Auguste Escoffier dans son fameux “Guide Culinaire” (1901) en donne une recette.

*Les beignets de cerises (kirschkiechle) Ils annoncent le début de l’été. Vous rappelez-vous ceux confectionnés avec de petites cerises insignifiantes mains tellement goûteuses, portés par une variété de cerisier, qui a probablement disparu aujourd’hui ?

*Les beignets au fer (Ysakiechle) : autrefois, lors des mariages, ces beignets étaient réalisés par centaines. Il semble qu’ils soient très connus dans la région de Schleithal. Il faut disposer de fers spéciaux que l’on trempe alternativement dans la pâte puis dans l’huile chaude. Au bout de quelques secondes, ils se détachent. Mélanger 250 g de farine, 2c. à soupe de sucre glace, 1 pincée de sel, 6 œufs entiers et ¼ de litre de crème fraiche.

*Les Nonnenfirtzle ou pfiddele (pets de nonnes) : beignets soufflés très légers dans lesquels on ajoutait autrefois de l’eau de rose. La pâte à choux est mise dans une poche à douille unie installée au dessus d’un bain d’huile. A l’aide d’un fil de fer tendu ou d’un petit couteau, on coupe des petits bouts de la taille d’une noisette. Ils se dégustent en toute saison. Les saints-vents, grâce à l’eau de fleur d’oranger, auraient t’ils des odeurs de sainteté ?

* Les beignets dits “de crème” à l’honneur dans la cuisine du 19ème siècle.

 

Les Beignets de carnaval traditionnels
Les Beignets de carnaval traditionnels

Un petit mot sur l’huile de friture :

Autrefois les beignets étaient cuits dans de l’huile de graisse de bœuf, de rognon de veau, de saindoux, de dromadaire ou autre animal exotique en Afrique, ou de beurre clarifié en Inde. L’apparition des huiles de friture est relativement moderne bien que quelques recettes existent au début du 19ème siècle avec l’emploi d’huile d’olive.
L’huile d’arachide ou des fruits du palmier à huile n’existait pas encore sur le vieux continent. Celle de tournesol ou de colza n’était pas produite en grande quantité. Aujourd’hui, des huiles composées de bonne qualité existent mais l’emploi d’huile de palme ou de coprah (noix de coco) tend à se généraliser malgré la mise en garde du corps médical sur la relative toxicité de celles-ci (les fameuses graisses saturées…) Idem pour la plupart des margarines.

Maintenant, cher lectrices, chère lecteurs, il ne vous reste qu’une chose à faire : vous mettre en cuisine pour préparer comme il se doit, les réjouissances sucrées de carnaval !

Par Daniel Zenner
Photos DR.