Le vin et la cuisine “In vino véritas”

Le vin, soit comme boisson (à jeun ou à table), soit comme ingrédient de la pharmacopée, mais pas comme ingrédient d’une recette de cuisine. Quid du vin utilisé par le cuisinier lorsqu’il est au fourneau ? Eléments de réponse. Trois lieux d’observation : le point de vue organoleptique, le point de vue sanitaire (microbiologique) et le point de vue nutritionnel. “In vino véritas ” ! Un éclairage signé par Jean-Michel Truchelut.

Jean-Michel Truchelut
Nous ne passons pas à table, nous allons en cuisine. De chaque lieu d’observation, nous ferons le point, selon que l’on est dans la préparation de recette, en cours d’élaboration, ou au moment de la finition. A chaque étape, comme pour la consommation du vin (d’où l’expression ” boire un coup”) dans le service à la française (voir figure plus haut), peuvent être convoqués plusieurs “coups” : le coup d’avant correspond aux marinades. Ce sont également les ” fonds de braisage ” ou “courts mouillements” convoqués tout au départ des cuissons (notamment les poissons) que l’on fait bouillir pour éliminer les acidités et l’alcool. Le coup du milieu : le mouillement, soit du vin et/ou la marinade de départ pour effectuer la cuisson. Enfin le coup d’après (fin de cuisson) : le vin est sollicité, réduit “au miroir” pour la “finition” d’une sauce. On utilise le mot vinifier pour évoquer ce rajout de vin réduit et/ou nature.

D’abord un “petit coup”

Le vin et la cuisine "In vino véritas"

La cuisine au vin : “In vino gastronomicas” !

On distingue classiquement les marinades crues, les marinades cuites et les marinades instantanées. Leurs descriptions et leurs buts sont repris dans tous les ouvrages de technologie culinaire. “Les marinades sont des préparations liquides et aromatiques, destinées à parfumer, attendrir et parfois à prolonger la durée de conservation de certains aliments : grosses pièces de viande de boucherie, volailles, viandes noires (gibier), abats….”, selon Michel Maincent dans son ouvrage (p 374) : La cuisine de référence aux éditions BPI (2015). Les ingrédients principaux sont, outre la garniture aromatique, le vin blanc ou vin rouge, le vinaigre de vin et un alcool fort, type cognac. A remarquer que la marinade crue peut ensuite être cuite avec l’aliment lui-même. De même que la marinade cuite peut subir une deuxième cuisson. Les marinades instantanées font rarement appel au vin sinon en très petite quantité (cas de vin blanc pour aromatiser des poissons cuits préalablement). Les marinades instantanées font plutôt appel au cognac, madère, porto.
Le but recherché est manifeste : le goût ! Il y a le bouquet, les parfums, les arômes des produits convoqués, mais aussi les fragrances issues des activités biologiques initiées par les produits et leurs manipulations. Un deuxième but est l’attendrissement. Les produits ne sont pas stables. Ils sont le siège de réactions biochimiques qui permettent d’obtenir la tendreté. Le recours au froid, la pellicule d’huile sur la marinade permettent de maîtriser ces phénomènes. La marinade permet également une meilleure conservation des produits. Elle a donc une influence sur l’activité microbiologique.
La même quête de la recherche des odeurs et des saveurs est poursuivie lorsque l’on procède au mouillement d’une cuisson, ainsi qu’au moment de finaliser une préparation en la “vinifiant”.

Du point de vue microbiologique :”In vino sanitas” !

La conservation des aliments marinés met en évidence le rôle des différents ingrédients convoqués dans la marinade. L’alcool du vin tout d’abord, mais aussi des autres liquides alcoolisées. Se surajoute le vinaigre qui joue avec son pH, c’est-à-dire l’acidité. D’autres substances diffusent notamment à partir des aromates (thym, laurier, clou de girofle), des herbes, des “essences” aux propriétés bactériostatiques, voire bactéricides. Le vin apporte de manière spécifique des antioxydants, tels que les fameux polyphénols. Si la marinade est cuite, l’effet alcool sera moindre pour cause d’évaporation. Un effet “pasteurisation” opérera cependant. Dans le cas de la marinade crue, l’alcool aura le premier rôle. Scénario identique avec les mêmes acteurs lorsque l’on procède au mouillement de la cuisson.

La preuve de l’efficacité de ce qui est avancé ici se trouve corroborée par les analyses microbiologiques. Ces analyses menées dans le cadre d’une étude de vieillissement des produits, en vue de la commercialisation, confirment les rôles divers et essentiels notamment du vin. Au point que l’on a évoqué notre histoire culinaire (et son recours à la dive bouteille pour cuisiner) comme un véritable “plan d’expériences”, selon le langage des qualiticiens. C’est bien parce qu’il y avait des avantages à le faire que nos ancêtres ont cuisiné de cette manière. Les industriels utilisent des extraits pour maîtriser la microbiologie de leurs produits. Extraits pour essayer de gérer des productions linéaires, à grande échelle, normalisées. Sans bénéficier pourtant des avantages globaux des produits initiaux. Aux industriels, leurs problèmes spécifiques, aux cuisiniers d’utiliser les ingrédients traditionnels en validant leur emploi par des contrôles microbiologiques.

Aspect nutritionnel : « In vino non-caloricas » !

Photo MiaminBourgogne
Le recours au vin, et plus généralement les préparations (sauces) à base de vin s’accompagnent d’une réticence nutritionnelle. Une mauvaise réputation qui correspond davantage à un manque d’information. Où il est question de ne plus supporter de liaison (pour cause d’amidon), de sang (hygiène), d’alcool (calories et alcoolisme), de fond (ignorance des produits et des procédés).

Quels sont les apports nutritionnels réels du vin utilisé en cuisine ? Il faut pour cela se référer à la cinétique d’évaporation de l’alcool ! La température d’ébullition est de 78°C. Lors d’une cuisson, il reste après “évaporation” de 7 à 10 % d’alcool initial. Examinons des apports classiques de vin à travers des recettes traditionnelles.


Calcul pour exemple, du bœuf bourguignon, élaboré avec du vin titrant 12° vol :

0,7 litre de vin pour 10 personnes.
Après cuisson, ne reste que 10 % de l’alcool initial, donc 8,4 volumes d’alcool (7 x 12 = 84 ; puis 10 % de 84)
La densité de l’alcool étant de 0,8 nous sommes en présence de 6,7 grammes d’alcool. (8,4 x 0,8 = 6,72)
Le calcul calorique pour 10 est le suivant : 6,7 x 7 (1 g d’alcool est équivalent à un apport de 7 « calories »), soit 46,9 “calories” pour 10 personnes.
L’apport par individu est donc de 46,9 : 10 = 4,7 calories.

Deux remarques s’imposent. D’abord l’apport “anecdotique” des calories dues à l’alcool. Il y aurait cependant à évaluer l’apport des sucres du vin pour être plus prêt de la réalité. Le deuxième point concerne l’apport en alcool. Soit 0,6 gramme d’alcool à comparer à des boissons “sans alcool” dont l’engagement porte sur un apport inférieur à 1% maximum. Il y a manifestement plus de risque de consommer de l’alcool avec ce genre de boisson qu’en consommant un bœuf bourguignon !
Quand aux devenirs des antioxydants et autres polyphénols, j’ignore l’influence de la cuisson.

Ne cédons pas à l’ivresse !

Il n’y a pas lieu de faire une promotion tout azimut des plats cuisinés avec du vin. Nous n’ignorons pas les ravages occasionnés par la consommation d’alcool.

Cependant, l’utilisation du vin dans nos recettes révèle bien quelques arguments à faire valoir, tant du point de vue organoleptique, microbiologique que nutritionnel. On ne peut à la fois faire la gloire de notre cuisine, de son terroir, de ses produits et ne pas avoir un minimum de “tranquillité” lorsqu’il s’agit du vin utilisé dans nos glorieuses recettes.

La pratique de la cuisine au vin se doit de s’intégrer dans une démarche de “conservatoire des techniques”.

Un appel pressent aux cuisiniers pour proposer des fiches techniques de cuisine transparentes, suivies et fiables. Ainsi gourmets, nutritionnistes, microbiologistes, journalistes pourront se faire une idée précise de cette problématique.

Par Jean Michel Truchelut.
Professeur au lycée Alexandre Dumas.