Dans une précédente chronique, j’ai mis au défi un cuisinier de réaliser un gâteau mythique en quarante minutes : Le Saint-Honoré. Jean-Christophe Karleskind, chef de cuisine à domicile installé à Kraft, vice-président de la Fraternelle des Cuisiniers et des Métiers de bouches d’Alsace, double médaille d’Or à la Coupe du Monde des Arts Culinaires, Médaille d’Or aux Olympiades des Cuisiniers a relevé le défi ! Le fou ! Mais Jean-Christophe, tu ne vas pas t’en tirer comme ça car, pour que le spectacle soit encore plus beau, la prouesse plus éclatante, tu devras réaliser le VRAI Saint-Honoré !
J’ai donc cherché pour mon plus grand bonheur, ce qu’est le véritable Saint-Honoré. Sur le Net, les recettes les plus farfelues ne manquent pas. L’histoire de Saint “Saint Honoré” y est parfaitement décrite. Quelques blogs affichent un semblant de polémique sur la date d’invention du gâteau et le nom de ses créateurs : bref, une mère poule n’y retrouverait pas ses petits !
Qu’à cela ne tienne, la vérité est bien dans un de mes vieux grimoires ! Plus je cherchais, plus l’histoire de ce célèbre gâteau me passionnait. J’ai mené mon enquête comme l’inspecteur Colombo pour connaître l’histoire fascinante de cette pâtisserie Parisienne qui a connu des heures glorieuses, et d’autres bien plus noires…
L’histoire du Saint Honoré
Pour enquêter sur le sujet, j’ai pris comme date de départ sa probable invention en 1846, ” Dans la maison Chiboust, au Palais-Royal”. Il se faisait alors (Fond et petits choux) “En pâte à brioche ordinaire, avec bonne cuisson, et était garni de crème cuite, puis de crème fouettée (l’été)”. J’ai trouvé ce passage dans “La Cuisine des Familles” un des ouvrages culte de ma bibliothèque, écrit par Jeanne Savarin (La nièce du grand homme) entre 1897 et 1901.
Le célèbre pâtissier Auguste Colombier y a écrit quelques textes. Ce livre regroupe quatre recueils reliés de 156 pages chacun. L’auteur continue : “Plus tard, les Frères Julien, ces grands maîtres de la Pâtisserie, le réformèrent et l’établirent comme on le fait de nos jours. Cependant, dans leur maison, ils créèrent encore le mélange de farine, dont le succès dépasse leurs espérances ; ce qu’ils vendirent de gâteau Saint Honoré est incroyable. Par eux furent imaginés le fond en pâte brisée, la bordure et les petits choux en pâte cuite dénommée pâte à choux ; ainsi le gâteau se maintient sec plus longtemps, tandis que, chez Chiboust, tout s’amollissait au bout de deux heures, et, dès lors, on ne garnissait ces gâteaux qu’au fur et à mesure des commandes”.
Malheureusement, mon vénérable livre ne me donne aucune date, mais d’après mes recherches, les Frères Julien, auraient vendu ce gâteau dès 1863.
Les heures sombres du sulfureux gâteau
Fin des années 1880, on relève dans quelques journaux des cas d’empoisonnements causés par le gâteau. Albert Chevalier, l’auteur de la chronique sur le Saint Honoré, toujours dans ” La Cuisine des Familles” écrit en préface de la recette : “Selon nous, s’il y a eu des mécomptes, des surprises anti-digestives, c’est qu’il y a eu défaut dans la préparation du gâteau, peut-être encore y a-t-il eu emploi de matières falsifiées à l’insu du pâtissier… ” Il énumère ensuite les produits pouvant être ajoutés dans la farine : ” Plâtre, sulfate de baryte, ivraie, seigle ergoté… “. Puis il incrimine le vert-de-gris, un poison qui se développait sur les cuivres non étamés et mal entretenus (Fortes coliques).
Puis il fustige les fraudeurs en ces termes : “Ah ! Messieurs les fraudeurs, vous n’hésitez pas à délabrer la santé publique pour vous enrichir quand même. Soyez maudits du moins, puisqu’on ne vous pend pas haut et court, comme vous le méritez. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous dévoilons votre industrie infâme. Vous nous vendez du chocolat, où le cacao est remplacé par des matières farineuses, qui elles-mêmes sont déjà falsifiées ; de la vanille, qui n’en a plus que le nom ; du sucre en poudre plâtré, c’est-à-dire mêlé de sulfate de chaux ; du lait fabriqué avec de l’amidon et des cervelles avariées ; du beurre, où il y a de tout, excepté de la crème de lait ; des œufs achetés à vil prix en Chine, et qui ont fait un voyage maritime de trois mois ; sans parler des œufs fabriqués à la mécanique par les usines allemandes installées à Riga pour ce joli métier !… Et vous aurez beau, messeigneurs, rouler orgueilleusement dans vos automobiles écraseurs ; vous n’échapperez pas au mépris et aux malédictions de la conscience humaine… J’ai dit.” Viens ensuite l’histoire du gâteau…
Mais la polémique ne désenfle pas. Dans le “Traité de Pâtisserie Moderne” (1911 ?) préfacé par Phileas Gilbert, coécrit par Emile Darenne et Emile Duval, la recette du Saint Honoré est donné avec la plus extrême prudence car “Par suite d’empoissonnements constatés à diverses reprises chez un certain nombres de personnes, à la suite de l’ingestion de gâteau à la crème pendant la saison d’été, nous considérons comme un impérieux devoir, devant la gravité de ces accidents alimentaires, d’engager nos confrères, à exercer une surveillance méticuleuse sur la propreté des ustensiles… ” Les chimistes s’en mêlent et affirment “Que les décès sont dus au blanc d’œufs” S’ensuit alors un cour magistral de deux pages, intelligemment écrit sur l’utilisation correct et hygiénique des œufs en pâtisserie.
Nous avons maintenant l’assassin présumé, probablement judicieusement démasqué, car dans la recette qui va suivre, toutes les matières employées sont cuites, sauf les blancs d’œufs montés en neige. Il faut aussi dire que ces gâteaux pouvaient trainer dans des vitrines non réfrigérées pendant quelques temps. Les cas d’intoxication étaient relatés en juillet et août.
La recette des frères Julien
Je ne peux ici vous transcrire la recette exacte du Saint Honoré telle qu’elle figure dans “La Cuisine des Familles” car elle s’étale sur deux grandes pages. Sans m’attarder dans les détails ou m’embarrasser de la prose dithyrambique de Jeanne Savarin, je vous livre sans tarder l’honorable formule :
Pâte brisée abaissée “De la grandeur d’une assiette ordinaire” Sur le pourtour “Un cordon de pâte à choux” Cuire ensemble et à part, huit petits choux.
La crème cuite, dont les choux sont farcis est une pâtissière à la vanille, enrichie à chaud de blancs d’œufs montés en neige (Une version de la Chiboust car certains ajoutent une meringue italienne, au sucre cuit…) Les choux sont trempés dans un caramel puis disposés sur le pourtour du socle cuit.
“On peut coller sur la bordure, entre les petits choux, s’il vous reste un peu de sucre, soit un quartier d’orange, soit une cerise ou un morceaux d’angélique (Entendez confits…) ou un gros raisin de Malaga”.
Mais comment combler le vide au milieu ? Toujours d’après Jeanne Savarin, avec de la crème Chantilly ou une crème à charlotte Russe… Ou d’après Emile Varenne et Emile Duval d’une crème Chiboust dressée à la poche et munie d’une douille à Saint Honoré : voilà qui me parait plus cohérent et rend hommage aux créateurs de ce merveilleux dessert !
Le défi
Il aura lieu sur le Théâtre du goût, à la Foire Européenne de Strasbourg, édition 2012, un samedi ou un dimanche. Le défi sera annoncé par voie de presse. Les membres de la Fraternelle des Cuisiniers seront présents, mais dans le public, Jean Christophe Karleskind sera seul avec moi sur le podium !
Quarante minutes, pas une de plus, Saint Jean-Christophe !
Et si tu as encore le temps, tu pourras édifier sur l’œuvre un chignon en sucre filé !
Par Daniel Zenner