La France est le 5ème pays exportateur de rhum agricole avec une production qui avoisine 55 millions de litres/an dans les DOM-TOM. Sa perception se modifie, il gagne ses lettres de noblesse auprès de grands noms de la gastronomie. Le rhum devient la vedette dans l’élaboration d’une carte des rhums exclusive, des menus 100% en accord avec des rhums, il trône dans un palace sur un charriot dédie et il inspire de nouvelles créations comme le rhum Signature de Marcel Ravin ou la marque Carnival de Joey Starr. Les cartes des spiritueux s’étoffent et des bars dédiés ouvrent à l’instar du 1802 Monte Cristo à Paris, avec plus de 1000 références de rhums, ou encore le Monastic, un bar né dans une ancienne chapelle désacralisée, au cœur du domaine Reine Margot.
Des tendances émergent. Le rhum se berce d’écologie, avec de nouvelles gammes de cannes à sucre, telles que la « canne bleu » sur des parcelles 100% bio. Le rhum cherche une alliance avec le végétal, devient médicinal et surfe sur l’innovation avec le succès de produits dérivés, tels des perles de rhum, des huiles, des vinaigres, des confitures, des gelées, des bonbons, qui stimulent la créativité. Le rhum est exaltant, il s’appuie sur la mixologie et le foodpairing pour obtenir les faveurs des 25-35 ans. Sa qualité « spirituelle » et son fort potentiel portent ombrage à sa réputation festive, d’un ancien temps. Heureusement et bonne nouvelle, on ne boit plus du rhum en quantité, on le déguste avec parcimonie et de qualité.
Un rôle économique et social
Plus qu’un spiritueux, le rhum agricole détient un rôle économique, primordial dans les Antilles. « Le rhum a une place culturelle, agricole et sociétale », précise Béatrice Fabignon, cheffe spécialisée dans la gastronomie antillaise, en France et à l’International. « Des familles entières vivent de la culture de la canne à sucre. C’est le poumon des Antilles françaises. La place du rhum est essentielle, surtout dans la gastronomie que je défends », mentionne l’auteur du livre « Petits plats comme aux Antilles ». Miguel Jean-Noël, chef-propriétaire du restaurant La Rhumerie des Pirates en Guadeloupe, se réjouit de relever depuis une décennie, des modifications de consommations chez la jeune génération, tandis que chefs et sommeliers, originaires des Caraïbes, ont à cœur de faire rayonner et valoriser leur identité culinaire, faisant du rhum, le symbole de leurs racines.
Un exhausteur de goût
« Dans la cuisine antillaise, le rhum est utilisé comme un exhausteur de goût, un condiment ou un assaisonnement », mentionne la cheffe Béatrice Fabignon. « Il est utilisé pour déglacer, mijoter ou encore flamber ». Béatrice utilise le rhum vieux dans son ragoût de porc pour apporter des notes de caramel au plat. Miguel Jean-Noël tient à préciser que la sélection des rhums en cuisine, se limite à maximum 5 ans d’âges. « Je me sers du rhum ambré pour faire des sauces, notamment avec les ribs de bœuf, que je fais mariner pendant 12h, puis 8h en basse température ». Le patron de la Rhumerie des Pirates propose 125 rhums du monde, à partir de 8€ les 5cl, jusqu’à 60€ les 5cl, pour un 20 ans d’âges de la distillerie Longueteau du domaine de Sainte-Marie.
La carte des rhums remplace la carte des vins
À Paris, dans son restaurant de cuisine antillaise, Jean-Rony Leriche s’est donné pour mission d’être un ambassadeur de la cuisine caribéenne et son boucanage, – technique ancestrale de cuisson au feu de bois. Une belle carte des rhums remplace la carte des vins, devenue chez lui, anecdotique. « Il y a 4 vins blancs, 4 rouges, et 4 rosés. La carte des rhums, en revanche, comporte des flacons d’exception, comme le Reimonenq ou la cuvée de la Flibuste de la Favorite, selon moi l’un des meilleurs rhums du monde », mentionne Jean-Rony Leriche. « Je suis guadeloupéen, d’origine haïtienne, et notre famille vit depuis 5 générations essentiellement du Clairin à Haïti, un rhum blanc fait à l’ancienne. J’ai grandi dans l’univers du rhum, il vit en moi. Je ne suis pourtant pas un grand consommateur, mais il mérite d’être davantage valorisé. Le rhum est aussi raffiné qu’un bon vin. De nombreux amateurs et collectionneurs viennent s’attabler chez nous. Ils admirent notre collection de flacons comme l’Odyssée de Marie-Galante qui vaut 3000€, mais qui n’est pas à vendre. Ils sont intrigués par les accords avec les plats autour du rhum que nous proposons à partir de 12€ les 4 cl, jusqu’à 75€ le verre. Je fais découvrir à la clientèle féminine un rhum doux, très fleuri « la Baie des Trésors » dont Camille René, Miss Martinique en est l’Ambassadrice », précise-t-il. Bien sûr, le rhum s’invite dans ses recettes avec des rhums de qualité et parfumés, qui engendrent de bien meilleures recettes. « Je marie facilement un rhum blanc avec un dessert autour des fruits et un rhum vieux avec des notes de cacao, sera en parfaite harmonie avec du chocolat, préparé en mousse, sur un biscuit croustillant. Et rien de tel, juste avant, qu’un trou antillais de sorbet exotique surmonté d’un siphon rhum au piment pour raviver l’appétit ».
En quête d’un accord végétal
Antony Denon, chef du restaurant Le Baudelaire 1 étoile au guide Michelin, a longtemps été imprégné de la cuisine d’Alain Ducasse et de naturalité. Il s’affranchit de sa formation et souhaite faire rayonner la Guadeloupe au sein du Burgundy, tout en restant en accord avec ses convictions environnementales. Le rhum fait consensus, véritable symbole de son île, il va l’associer avec son plat signature l’artichaut, servi avec un sabayon rhum-vieux et un crumble de café. Le chef pousse ses recherches et inscrit un nouveau menu « Racines » 100% accord mets/rhums bio, en collaboration avec la Maison Bologne. De l’apéritif au digestif, le rhum bien sélectionné est un allié pendant tout le menu. Les accords avec les légumes sont moins évidents, mais Antony Denon s’emploie à dénicher cet accord parfait. Deux possibilités ; jouer sur les contrastes ou les similitudes aromatiques.
Un baba sur son charriot à rhum
Olivier Bikao, directeur du restaurant le Meurice Alain Ducasse à Paris, détaille le cérémonial du service du baba au rhum avec le charriot à rhums. « Nous en proposons 5 différents pour servir avec le dessert signature d’Alain Ducasse, à la carte dans tous ses établissements. Il est accompagné d’une crème mi-montée à la vanille, bien onctueuse pour être déposée à la cuillère. Les rhums ont été sélectionnés par Gabriel Veissaire, le directeur de la sommellerie, qui a opté pour des rhums dits de destinations, avec des étiquettes identifiables et des labels forts pour rassurer nos clients. Lors d’un déjeuner créatif en présence d’Alain Ducasse, Cédric Grollet a élaboré un dessert autour de la vanille de Madagascar, décliné en croustillant, en praliné de vanille, en gel d’eau de vanille et en glace crémeuse à la vanille. Avec Gabriel, nous avons réalisé une recette de rhum arrangé, avec du rhum blanc et de la vanille Pompona infusée et un peu de sucre, servi dans de magnifiques verres Baccarat. J’ai démontré au chef de quelle manière, il était possible d’accélérer le processus d’infusion, avec des jeux de températures pour diminuer le taux d’alcool », précise Olivier Bikao.
Un rhum spécialement créé pour les pâtissiers
Entre le rhum et le kirsch, son cœur balance. « Le rhum est notre allié en pâtisserie », reconnait Christophe Felder. «Il y a une bouteille dans tous les Labos, c’est certain», sourit l’associé de Camille Lesecq, dans la boutique Les Pâtissiers à Mutzig. « Le rhum fait partie des ingrédients indispensables, il parfume et souligne le goût dans une crème, une ganache, un biscuit et tous les gâteaux. Il se marie parfaitement avec les fruits ou le chocolat, sans compter le flambage dans les salles de restaurant », relève l’ancien pâtissier du Crillon-Paris. « Cependant, il faut bien le sélectionner et qu’il soit de qualité. Je travaille uniquement avec le Saint-James, un rhum à 54°, très concentré en arômes, élaboré spécialement pour nous les pâtissiers ». Son baba au rhum, son millefeuille, ses cannelés vanille au rhum brun, son far aux abricots, ses douceurs au chocolat rhum-raisin, son gâteau basque au citron ou encore ses macarons ganache caramel rhum-banane, font sensation.
Le roi des cocktails
La mixologie présente une boule à facettes de recettes de cocktails. Le rhum blanc est plébiscité, en parfaite harmonie avec les couleurs et les fruits, un tonic, une liqueur ou d’autres ingrédients fétiches des bartenders. Mais le rhum ambré et le rhum vieux s’invitent à la fête. Il est le composant principal du Mojito, Daïquiri, Caïpirinha, Pina Colada, Zombie, Mai Tai, sans oublier le Ti-Punch, le Planteur, les rhums arrangés des apéritifs antillais.
Ses vertus
« L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » mais en cas de refroidissement, le rhum fait partie d’un remède de grand-mère appelé le grog. Ce breuvage pseudo-médicinal s’obtient par le mélange d’un tiers de rhum et deux tiers d’eau chaude, un demi-citron et du miel. Le rhum aiderait également à réduire l’anxiété et donc à améliorer la qualité du sommeil. Il diminue également le risque de maladies cardiovasculaires (la première cause de décès dans le monde) en agissant sur la circulation du sang et donc l’irrigation des organes. C’est un antiseptique efficace, un allié de taille pour garder des plaies « propres » naturellement. Au 17ème siècle, le rhum était appelé le « tue-diable ». Les Antillais vous le diront, ils ont toujours du rhum à la maison ; il sert en cuisine, en pâtisserie, à préparer le ti-punch, mais aussi à soigner, à se frictionner le corps en cas de douleur et réaliser des infusions d’herbes et de plantes médicinales.
Par Sandrine Kauffer