Le coing ! Voilà un de mes fruits préférés ! Généreuse pomme d’or à la peau de velours, je l’attends avec impatience chaque automne. Pourtant, il semble bien être un fruit mal-aimé, manquant même de considération auprès des grands chefs qui préfèrent cuisiner la mangue, la pomme ou l’abricot avec un foie gras poêlé. Mais le coing a plus d’un tour dans son sac. Je vais vous en entretenir, histoire de vous en boucher un coin.
Par Daniel Zenner
Mal aimé notre brave coing ? Il est pourtant le symbole du bonheur, de l’amour et de la fidélité. L’amour, probablement par le fait de sa générosité, de sa prodigalité, car il engendre une nombreuse progéniture. Fidèle, il ne vous laissera jamais tomber, car il se rit des dernières gelées, se gausse des bourrasques de mai, des orages de grêles de juillet et des sécheresses d’août. Ses grosses fleurs blanches teintées de rose attirent toutes sortes de pollinisateurs. Généreux, peut être aussi pour plaire aux abeilles car toutes ses fleurs seront fécondées. Mais au fil des jours, le cognassier laissera tomber les petits fruits verts, pour ne sélectionner que les plus beaux.
Afin de porter ses nombreux fruits lourds, ses branches sont courtes, noueuses et solides. J’en ai installé un juste devant la maison. Il caresse le mur blanc, prenant la nuit la chaleur du soleil laissé en mémoire dans la pierre. Je le regarde chaque jour. Formidable cognassier aux épaisses feuilles luisantes : il n’est jamais malade, faisant fi des bactéries ou des champignons qui pourraient lui causer tort. C’est un véritable champion ! Car tel est le nom de cette variété ancienne que j’ai plantée.
Mal aimé le coing ? Certes, voici un des seuls fruits qu’on ne peut manger cru, hormis ceux nettement plus volumineux des cucurbitacées, qui ne sont arrivés en Europe qu’au 17ème siècle et de quelques autres fruits exotiques comme l’ananas ou le durian, dont le coing, bizarrement, a emprunté quelques parfums subtiles d’exotisme. Son duvet épais composé de tanins empêche l’intrusion des insectes dans sa chair : il ne sera quasiment jamais habité par des coléoptères ou autres hyménoptères goulus.
Ne blâmez plus le coing ! La langue française s’en est déjà occupée, car elle lui a soustrait – phonétiquement parlant – son majestueux « G » qu’on ne prononce pas. Sauf peut-être du côté de Marseille, où l’on peut entendre cette expression : «Hier soir, il était encore bourré comme un coing » (prononcer koingue !). Je milite donc pour la prononciation du « G », à l’instar du cerf, dont on a aussi spolié le « F » ! Et par là-même du faisan, que l’on devrait nommer fésan et non fesan.
Généreux et merveilleux fruit des Jardins des Hespérides, mal considéré aujourd’hui, il a pourtant connu ses lettres de noblesse.
Originaire de Perse ou d’Arménie, où il y pousse encore à l’état sauvage, le coing fut vite adopté par les Romains qui le nommaient « pomme de coing ». Apicius dans son ouvrage de cuisine en donne une recette à tenter : le Patina de coing, un plat sucré servi chaud composé du fruit, d’épices, d’œufs battus et de miel.
Dans la Grèce Antique, ce fruit était vénéré. On peut le voir dessiné sur des murs des temples. Avant d’entrer dans le lit nuptial, la brave mariée devait en manger, mais je ne sais si ce dernier devait être dégusté cru ou cuit !
Au 17ème siècle, en Angleterre, la demande pour ce fruit dépassait l’offre : il fallait importer d’autres coings de Flandres, où ils étaient abondamment cultivés. Ce fruit entrait dans la composition d’un vin médicinal et vertueux pour lutter contre l’asthme.
Toujours à la même période, en France, plus précisément à Orléans, on en faisait une réputée marmelade que sa majesté Louis XIV adorait. Cette confiture, appelée « Cotignac », tirait son nom d’une petite commune du Var dont une variété est aujourd’hui recensée. Cette confiture, à base de coings, miel et épices était déjà confectionnée au 14ème siècle par un apothicaire… du coin. Chaque année, dans ce village a lieu la fête du coing. Cette année, elle aura lieu le dimanche 20 octobre. Visite du verger conservatoire et spécialités à base de coings à déguster… Ce fruit entrait aussi dans la formule de certaines liqueurs, ratafias, vins et élixirs, dont la consommation était en vogue au 18ème siècle.
Ainsi, il parfumait le linge à l’instar de la lavande en Provence. Pour ma part, en saison, j’en mets toujours dans la voiture. Pendant plusieurs semaines, une délicate fragrance parfume l’habitacle. Je l’installe aussi en bonne place sur la table du salon : outre son parfum qu’il diffuse sans compter, sa couleur jaune éclaire la salle. Dans le conte des « Mille et Une Nuits », l’auteur en parle en ces termes en le comparant : « au sable mélangé d’or, disque de lune dans son entier ».
Comme la pomme, la poire, le cerisier ou l’abricot, le coing épouse la famille des Rosacées, sous-famille des Pomoideae, genre Cydonia et enfin espèce du cognassier.
Planté et soigné en Alsace depuis fort longtemps, ce solide petit arbre figure en bonne place dans le Capitulaire de Villis sous Charlemagne. Ce dernier, encourage sa plantation pour les moultes vertus médicinales qu’offre le fruit. De plus, ce fruit dur et parfumé, posé au cellier sur des claies paillées, se conservera jusqu’au cœur de l’hiver en compagnie des pommes Reine des Reinettes et des poires Passe-crassane. Puis ce fruit, progressivement, perd de sa notoriété. Il figure de moins en moins en bonne place dans les vergers. Les poires et les pommes, par millier de variétés, lui ravissent la vedette. En 1690, dans l’abrégé des bons fruits, Merlet ne mentionne que trois variétés de coings. Dans le traité des jardins en 1785, quatre variétés. En 1841, six variétés sont décrites. En 1893, onze. Il n’y en eu guère plus, les coings tombèrent dans l’oubli au profit de fruits plus faciles à transformer.
En gastronomie, il n’a pas dit son dernier mot.
Au Portugal, grâce à un climat chaud, le coing arrive à maturité optimum. Il entre dans la composition de plusieurs plats et peut même se manger cru. En Grèce, il tient la vedette dans nombre de recettes, comme la mijotée de coings aux épices, le bœuf aux coings ou mitonné avec des aubergines et des patates douces. Au Maroc, j’ai dégusté un jour un tajine de mouton aux coings : sublime ! En Europe de l’Est, on le cuisine dans une soupe salée.
En Alsace, le cognassier était quelquefois planté aux abords des parcelles de vigne pour les délimiter. Le faible ombrage de ce petit arbre ne portait pas préjudice à la vigne. De vieux cognassiers existaient dans tous les vergers. Abondants, faciles à cueillir et si délicatement parfumés, les fruits une fois arrivés à maturité, étaient essentiellement distillés.
Dans notre patois, il se nomme « Kittena ou Kittene », suivant le département où l’on habite. Jérôme Bock, au 16ème siècle, mentionne une recette de coings au sirop. Charles Gérard dans « L’Ancienne Alsace à table » écrit qu’il existait une habitude de donner une tranche de coing frit aux gens ayant abusé d’alcool.
Marguerite Spoerlin dans « La cuisinière alsacienne » (1811) donne les recettes d’une confiture, d’une gelée, d’une compote, d’une marmelade, d’une tourte à la gelée de coings et de « tablettes », qui sont une sorte de bredele composé de purée de coings et de blancs montés en neige.
Je dois ici vous livrer la recette de son gâteau aux coings :
« Faites bouillir les coings jusqu’à ce qu’ils soient tendres, pelez-les et enlevez le centre, lorsque vous en aurez 250 g, délayez 80 g de sucre, l’écorce d’un citron râpé, le jaune de 6 œufs et les blancs fouettés en neige ; beurrez le plat sur lequel vous voulez servir, couvrez de la marmelade, de macarons et faites cuire au four ».
Le livre de cette grande dame a été écrit à Mulhouse, qui était alors la capitale de la pâtisserie alsacienne. Mais trêve de baratin, laissez-moi maintenant vous livrer deux recettes que je réalise chaque année,
deux formules à base du même fruit, pour en tirer la quintessence, recettes héritées d’une tradition familiale encore vivante. Laissez vos coings le plus longtemps possible sur l’arbre. Entreposez-les ensuite à température ambiante jusqu’à ce qu’ils mûrissent. Suivez mes recettes à la lettre, elles vous combleront tout au long de l’hiver. Et n’oubliez pas, dans votre verger, de planter un cognassier !
Par Daniel Zenner