À 30 ans, le chef Thibault Nizard prend son envol. Après avoir chapeauté les fourneaux du Drouant, à Paris, il vient de créer sa propre maison, tout en sobriété, entre Louvre et Palais-Royal. Une table inspirée par l’instant, l’instinct du chef et la classe des grands classiques de la cuisine française. Pour diriger la salle, son épouse, Elinor Nizard.
Un lieu unique
Même s’il a une affection particulière pour le quartier de l’Odéon, à Paris, c’est à deux pas du Louvre et de la Comédie Française que Thibault Nizard a trouvé le bon écrin pour son restaurant. Un établissement traversant de 320 m2 répartis sur deux niveaux, avec une entrée rue de Richelieu et une autre rue de Montpensier.
Côté déco, le chef a tout supervisé, en misant sur la sobriété. Sur les murs, une peinture gris perle et des moucharabiehs laissent passer la douceur d’une lumière tamisée. Les luminaires épurés, ultra contemporains, prennent la forme de pales de bateau, lampadaires ou autres suspensions, dont une rehaussée d’une finition à la feuille d’or.
La salle de L’Aube multiplie les curiosités, singularités et autres subtilités. D’abord avec un parti pris pour une cuisine ouverte et le chef qui réalise le dressage de ses plats à même le passe, entièrement revêtu de granit noir, où une place est réservée « pour l’ami de passage ». Thibault Nizard tient beaucoup à ce concept de « chef en salle », au plus près des clients, pour leur expliquer sa cuisine, ses accords, mais aussi pour répondre à leurs attentes et ouvrir le dialogue. Le tout en direct. Lors du coup de feu. Au moment le plus fort d’un service. Quant au sommelier, il dispose de deux îlots aménagés pour décanter, goûter et conserver ses vins au frais. Fini les bouteilles posées sur la table. À cela s’ajoute une « chef’s table » de 130 cm de hauteur, tout en bois et traversée d’une rivière en résine, pour un effet de profondeur. Entourée de hauts tabourets et située face aux fourneaux, cette « chef’s table » pour six convives, avec guéridon dédié au sommelier, invite à une immersion immédiate au cœur de la cuisine.
Saucier de formation, je suis un cuisinier d’instinct
“J’aime les grands classiques, mais je n’ai pas envie de m’ennuyer. Il doit y avoir de la vie dans une assiette, sans pour autant oublier ce qu’attend le client. » C’est ainsi que Thibault Nizard résume son identité culinaire. Entre traditions, transmissions et modernité, son cœur balance. Alors il adapte les codes des grandes maisons aux goûts du jour : « Je vais à Rungis plusieurs fois par mois pour découvrir, goûter partager. Les fournisseurs guident mes cartes et menus. »
Gourmandises de volailles, poissons et charcuterie « maison »
À la carte de L’Aube figurent un menu « déjeuner » et un menu « après-spectacle », inspiré par la proximité de la Comédie Française et du Théâtre du Palais Royal. Celui-ci sera proposé entre 22 et 23 heures, uniquement sur réservation. À cela s’ajoute un menu « dégustation » en 5 et 7 temps, qui évoluera peu à peu en 6 et 8 temps. Question de rodage et de réglage.
Le parti pris du chef pour ces différents menus : « Décliner la version dégustation sur toute la carte. Tous les plats seront ainsi travaillés avec les mêmes produits, ils auront la même cuisson et le même goût. »
Thibault Nizard parle de « cohérence » et d’« intelligence de travail », surtout à l’heure du « zéro déchet » et de la chasse au gaspillage alimentaire. Quant aux recettes, le chef évoque ses « gourmandises de volailles », ainsi que sa passion pour les poissons et la charcuterie qu’il réalise lui-même… Le tout servi dans les règles de l’art, avec découpes et flambages en salle. Pour le sucré chaque dessert est imaginé par Thibault Nizard et dressé à même le passe, comme les plats. Côté cave, avec un stock de 6 000 bouteilles et quelque 300 références, dont une part belle faite aux vignerons du Rhône – région de prédilection du chef, pour les crus -, les accords mets et vins visent le subtile, le précis, l’exquis.
À Paris, Thibault Nizard passe ainsi par les fourneaux du Collectionneur, ceux du Chiberta, jusqu’à intégrer l’équipe du chef triplement étoilé Alain Solivérès au Taillevent. Puis, échappée d’un an sous le soleil marseillais au Petit Nice de Gérald Passédat, lui aussi auréolé de 3 macarons au Michelin. À son retour dans la capitale, Thibault Nizard trouve d’abord ses marques aux fourneaux des 110 de Taillevent, puis il retrouve les cuisines du Taillevent, où il est nommé sous-chef à tout juste 24 ans. Au départ d’Alain Solivérès, en 2018, il ne reste pas et rejoint Guy Savoy à La Monnaie de Paris, autre table alors triplement étoilée et, là aussi, en tant que sous-chef. Enfin, après une courte période dans un petit restaurant de Boulogne-Billancourt, où il a carte blanche pour tout cuisiner au feu de bois –
« Je m’éclatais ! Je changeais le menu tous les jours ! » -, Thibault Nizard arrive au Drouant, d’abord comme « second » du chef Émile Cotte, en collaboration avec le Meilleur ouvrier de France Philippe Mille, puis comme chef des cuisines : il n’a que 28 ans. Un parcours sans faute, « auprès de chefs avec du tempérament », dit encore Thibault Nizard, hissé au rang de « jeune talent » dans l’édition 2023 du guide Gault & Millau.
Voler de ses propres ailes
À la sortie des périodes de confinement, Thibault Nizard a envie d’autre chose. Après des semaines à rester enfermé, cloîtré, loin de ses fourneaux, il a soif de liberté. Il souhaite pousser plus loin encore l’excellence, l’exception et la perfection dans l’assiette, mais avec davantage de marche de manœuvre. Il recherche le quasi « sans limite ». Il rencontre des investisseurs, prêts à le suivre dans une nouvelle aventure plus personnelle. Un véritable pari pour Thibault Nizard, qui s’apprête à souffler ses 30 bougies. Mais le chef aime les défis autant que la montée d’adrénaline lors des coups de feu. Pas pour lui, la routine et le confort qui finit par lasser, ennuyer, démotiver. Il veut voler de ses propres ailes, s’ouvrir à de nouveaux horizons. Il dit alors « banco » aux financiers qui souhaitent l’accompagner. Sa seule certitude, alors qu’il n’a même pas encore trouvé de lieu : son équipe. Elle sera composée de fidèles, de disciples, de proches. Car, sans confiance, pas de complicité ni de réussite en cuisine.
L’aube; le début, l’amorce, l’émancipation
Audacieux autant qu’ambitieux, Thibault Nizard veut « jouer à domicile ». Il a envie d’être chez lui. Pour avoir la main aussi bien sur une carte, un menu, que sur le choix d’une déco, l’organisation d’un décor, la place des fourneaux, les horaires d’ouverture… L’idée : faire le meilleur sans faire comme les autres ; être créatif sans sombrer dans la facilité ; surprendre sans ostentation ; proposer une offre juste, pertinente et originale, pour fidéliser les équipes comme les clients. C’est ce qu’il souhaite instaurer dans son restaurant baptisé L’Aube – « comme l’amorce de quelque chose, le début d’une émancipation… » – et situé à mi-chemin entre le Louvre et les jardins du Palais-Royal, en plein centre de la capitale.
@Natalia Khoroshaieva-Melchior.