Un ami cuisinier me parle de sauce gribiche… mais je me méfie, car j’ai déjà vu des tas de sauces que l’on nommait des gribiches, et qui n’en étaient pas, un peu comme ces rémoulades que l’on confond avec des mayonnaises.
Et pour bien savoir ce dont il s’agit, je décide de partir du Viandier, de Guillaume Tirel, dit Taillevent : après tout, le mot « gribiche » semble vieillot, non ? Pourtant, dans ce livre du 14e siècle, je ne le trouve pas. Je descend alors les siècles, en passant par les textes fondateurs de la cuisine française : L.S.R., Massialot, Marin, La Varenne, Carême, Urbain Dubois, Gouffé… Rien, rien, rien !
Allons voir le dictionnaire général… et je vois alors que l’écrivain Marcel Proust cite la gribiche, en 1911… mais il faut se méfier des romanciers, car ce sont des inventeurs. Savez-vous, par exemple, que dans l’oeuvre qui préfigura La recherche du temps perdu, de Proust, la célèbre « madeleine » qui lui aurait fait souvenir de son enfance était « une petite biscotte grillée » ? Le travail merveilleux de l’écrivain fut de faire rêver le monde en imaginant plutôt la madeleine.
Bref, il faut replonger dans des livres plus récents… et c’est enfin dans le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre, peu avant le début du 20e siècle, que je trouve enfin notre gribiche :
« Mettre dans un saladier trois jaunes d’oeufs cuits, une cuillerée de moutarde de Dijon, sel, poivre et faire une sauce, en écrasant d’abord les oeufs, avec de l’huile d’olive fine. Quand la sauce a pris l’aspect d’une sauce rémoulade, y ajouter du vinaigre, de l’estragon et du cerfeuil hachés et des câpres nonpareilles. On y ajoute aussi un peu de Worcestershire-sauce et l’on sert la sauce pas trop corsée. »
On se souvient que, pour la rémoulade, sauce qui date du 14 e siècle au moins, on a de la moutarde broyée avec de l’huile, et servie en froid ou en chaud ; il peut y avoir de l’oeuf, du jaune d’oeuf, mais la moutarde suffit pour faire la liaison. Ici, dans le texte de Favre, on comprend clairement que la gribiche est comme une rémoulade, mais avec de l’oeuf dur.
Et son introduction dans le répertoire de la cuisine est aussi mystérieuse que celle de la mayonnaise !
Par Hervé This