Distiller ? Le mot s’entend souvent en cuisine, mais savons-nous bien ce dont il s’agit ? Et n’aurions-nous pas intérêt à mieux connaître la distillation, pour mieux cuisiner ? Ici, je propose de mélanger des réflexions terminologiques avec la présentation de résultats expérimentaux que nous avons obtenus lors d’un récent séminaire consacré à l’importance du couvercle, et qui confirme une idée que je distribue depuis longtemps : « Tout ce qui sent bon dans la cuisine est perdu pour le plat ».
Commençons avec la définition de la distillation. Là, nous irons directement regarder dans l’Encyclopédie, coordonnée par Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert : « La distillation est une opération chimique qui consiste à détacher par le moyen du feu, de certaines matières renfermées dans des vaisseaux, des vapeurs ou des liqueurs, & à retenir ces dernières substances dans un vaisseau particulier destiné à les recevoir. »
Là le langage est ancien, de sorte que je propose de moderniser en disant que l’on chauffe un mélange et que l’on récupère des vapeurs que l’on condense. Et comme rien ne vaut un exemple, je propose de prendre une cocotte-minute, d’y mettre du cidre, puis de placer un tuyau à la place de la soupape de sécurité ; on chauffe alors la cocotte-minutes tandis que l’on fait plusieurs tours du tuyau dans une bassine d’eau froide, et l’on fait arriver l’extrémité libre du tuyau dans une bouteille.
Il se produit alors la chose suivante : quand la température du liquide est entre 70 et 80 degrés, c’est surtout l’éthanol du cidre qui s’évapore, et qui part dans le tuyau ; mais, refroidie par l’eau, cette vapeur reforme de l’éthanol liquide, qui tombe dans la bouteille.
Expliquons davantage, en partant de l’éthanol : ce composé est celui qui rend alcoolisé les boissons alcoolisées que sont cidres, bières, vins, liqueurs, eaux-de-vie. Il se forme à partir de la fermentation des sucres des fruits, notamment (mais aussi des pommes de terre pour la vodka, par exemple). Et il faut ajouter que l’éthanol n’est pas seul à être « distillé » quand on chauffe du cidre : on récupère aussi des composés odorants, et le « méthanol » (jadis nommé « esprit de bois »), qui est toxique. En réalité, un bon distillateur sait bien que l’on ne doit pas conserver les premières parties distillées, car le méthanol y est abondant ; c’est seulement quand la température est supérieure à 78 degrés que l’éthanol est abondamment vaporisé, et qu’il faut alors conserver le distillat ; puis, quand la température monte à 100 degrés, on s’arrête, sans quoi l’eau du mélange initial passerait aussi.
Reste que la distillation est une opération très simple : je me souviens avoir produit de l’eau de violette pour la fête des mères quand j’avais dix ans ! Et il faut aussi signaler qu’il y a des tas de variantes, telle l’hydrodistillation, qui consiste à extraire les huiles essentielles d’une plante que l’on met dans un flux de vapeur d’eau.
Ajoutons que des cuisiniers qui ont été séduits par la « cuisine moléculaire » ont pratiqué, et pratiquent encore, la distillation sous vide, que j’avais proposée dès 1980 : il y a des appareils pour de telles distillations dans des cuisines, avec de remarquables résultats en termes gustatifs… car tout peut y passer : des légumes, des fruits, des aromates…
Le couvercle, dans cette affaire ? C’est exactement le contraire d’une distillation, car il refroidit les vapeurs, qui se condensent alors dans la casserole, au lieu d’être perdues. Et c’est ainsi que, lors d’un séminaire récent, nous avons fait bouillir, soit à l’air libre, soit avec un couvercle, de l’eau où nous avions ajoutée un composé odorant. Initialement, le liquide avait beaucoup de goût, et il l’a conservé avec le couvercle… tandis qu’il n’y avait plus que de l’eau, pour la casserole sans couvercle !
Bref, nous devons « avoir la maîtrise de notre feu », puisque ce feu, c’est l’outil du cuisinier.
Par Hervé This