Lorsque j’étais étudiant, j’avais travaillé dans une créperie, en Bretagne, et j’étais notamment chargé de produire la pâte pour les galettes : du blé soir (sarrasin), du lait, de l’eau, du sel. Pas d’oeuf. Je me mettais torse nu devant une grande bassine en plastique, et je prenais la pâte par dessous, je la soulevais et je la jetais vers les bas, afin de faire « cloquer » : les crépières me disaient que c’est seulement quand j’avais bien aéré la pâte que les galettes ne collaient pas au « bilic » (cet ustensile de cuisson en fonte épaisse, très plat).
Pendant des décennies, je me suis demandé si cette affaire de bien aérer était exacte, car on sait que bien des précisions culinaires sont fausses ! Puis, un jour, lors d’un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, cette fois en public au Salon de l’agriculture, nous avons testé la précision, en divisant une même pâte en deux moitiés, et en battant l’une d’elle à l’aide d’un mixer. Et… effectivement, les pâtes étaient différentes, et les galettes aussi.
Nous en étions là : des effets vérifiés, pas bien interprétés, mais vérifiés. Comment comprendre ces effets ? Cela est toujours difficile, de sorte qu’il est de bonne stratégie de multiplier les observations préliminaires. Or j’avais dans un coin de mon ordinateur cette autre précision, selon laquelle la bière permet de faire « bien » les pâtes à crêpes. Là encore, la première question à poser est : est-ce vrai ?
C’est ce que nous avons voulu tester lors du séminaire de gastronomie moléculaire de décembre 2015.
Lait ou bière pour réaliser les crêpes ?
Il n’a pas fallu beaucoup d’efforts pour observer, tout d’abord, une différence considérable d’apparence, pour les crêpes des deux sortes : quand le liquide est la bière, les crêpes sont pleines de petits trous, comme on le voit sur la photographie. En revanche, avec du lait, les crêpes sont unies, régulières.
Une différence au niveau du goût ?
Autrement dit, nous en sommes à ce point que nous savons que la bière est intéressante pour le goût des crêpes, mais nous ignorons encore si nous conserverions cet effet avec une pâte qui aurait reposé et qui pourrait donc conduire à des crêpes plus régulières, non trouées. Nous avons besoin de tous les cuisiniers professionnels ou non pour poursuivre de tels essais !
Par Hervé This