Il a fait le buzz sur les réseaux sociaux avec une video de découpe d’un cocon en moins de trois minutes ce qui lui vaut plus de 319 000 vues, 2300 likes, 640 partages et un article “insolite” dans les Dna.
Le président de la chambre des métiers d’Alsace, entrepreneur et boucher de métier, avait à coeur de rejoindre les équipes, et mettre en exergue le savoir faire “artisan de qualité”
Une belle occasion braquer les projeteurs sur Jean-Luc Hoffmann, à travers son portrait publié dans le dernier magazine Good’Alsace #11 en kiosque.
Président de la Chambre des Métiers d’Alsace (CMA) depuis mai 2020, Jean-Luc Hoffmann a mené une triple vie professionnelle. À la direction de son entreprise, à la présidence de sa corporation des bouchers-charcutiers d’Alsace et à celle de la CMA, valoriser l’artisanat a toujours orchestré son parcours.
« On peut succéder à Bernard Stalter, mais on ne le remplace pas » !
Cette affirmation de Jean-Luc Hoffmann illustre bien l’estime réciproque, que se portaient celui qui a hissé l’artisanat à son plus haut niveau, et celui qui l’a accompagné durant quinze ans, avant de lui succéder à la présidence de la Chambre des métiers d’Alsace (CMA) dans les conditions tragiques que l’on sait. Pas étonnant, par conséquent, que Jean-Luc creuse sa propre trace dans le sillon de son prédécesseur et, si le style diffère, question de caractère, le fond perdure, à savoir remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier pour l’améliorer encore et encore.
Jouer collectif en « perfambiance »
Fils de boucher, Jean-Luc entre en apprentissage à 15 ans. Il suit tout le cursus de l’alternance jusqu’au brevet de maîtrise. En 1995, il prend les rênes de l’entreprise familiale, sise à Haguenau, avec son épouse Pascale. Sitôt installé, il entreprend de moderniser et d’agrandir son outil de travail, tout en diversifiant l’offre commerciale, d’abord avec une activité de traiteur événementiel, qu’il recentre ensuite dans la vente à emporter de plats cuisinés. Il est aussi présent sur plusieurs marchés aux alentours de Haguenau, ouvre un deuxième magasin et un restaurant ; le Clem’s dans la cité de Barberousse, un temps en association avec Pascal Bastian, chef du « Cheval Blanc » à Lembach.
En veille professionnelle permanente, il adapte constamment son entreprise aux changements des habitudes de consommation et aux évolutions technologiques. Ainsi, il s’est lancé très tôt dans le numérique, en introduisant un logiciel de prise de commandes. De l’accessibilité des personnes handicapées, il a su faire un atout commercial de sorte que, une fois n’est pas coutume, des travaux de mises aux normes se sont révélés rentables. Féru de formation et de transmission, il encourage ses collaborateurs à participer à des concours, où ils sont régulièrement primés, comme le cuisinier du Clem’s, qui a remporté le concours de la meilleure bouchée à la reine à la foire européenne de Strasbourg. Lui-même, est distingué du prix national «Stars et Métiers», une coproduction du réseau des Chambres de métiers et de la Banque Populaire.
Aujourd’hui, la boucherie-charcuterie de Jean-Luc emploie 30 salariés, dont 5 cuisiniers. Son style de management, il le décrit participatif : « car la réussite de l’entreprise, dépend de l’adéquation entre ses objectifs et le projet personnel des collaborateurs ». Pour mieux définir sa démarche, il a trouvé un néologisme de circonstance, la « perfambiance », une contraction entre performance et ambiance.
Les clés de sa réussite, il ne les conserve pas jalousement, tout au contraire. Il les met au service de son métier et de ses collègues, surtout les moins expérimentés. « Jouer collectif », revient chez lui comme un leitmotiv.
Changer l’image de la boucherie-charcuterie !
Jean-Luc a longtemps œuvré aux côtés de Jacqueline Riedinger-Balzer au sein de la corporation des bouchers-charcutiers-traiteurs du Bas-Rhin. Ensemble, ils se sont attachés à conférer à leur métier, une toute autre image, que celle véhiculée par des clichés délétères. En 2018, Jean-Luc succède à la grande dame de la boucherie charcuterie, poursuit et renforce encore leurs actions communes. Lui-même manquait d’assurance, par rapport à son métier et de se souvenir :« quand j’étais apprenti, je craignais de dire aux filles que je voulais être boucher ». La concurrence de la grande distribution entraînant la fermeture de nombreux points de vente, faute de repreneurs, conjuguée avec de graves difficultés de recrutement de salariés et d’apprentis, auguraient mal de l’avenir du secteur artisanal. Alors, il convenait de réagir ! « Il fallait casser la caricature du boucher patibulaire, sanglé dans un tablier maculé de sang, car il y a bien longtemps que nous n’abattons plus nos bêtes. En franchissant le seuil de nos magasins, le client perçoit que nos collaborateurs/trices, portent des tenues plaisantes et seyantes » et de poursuivre :« nos personnels sont formés à l’accueil et à l’information sur les caractéristiques des produits proposés à la vente, établissant ainsi une relation de confiance avec la clientèle ». Il ressent comme une blessure chaque fois que le mot « boucher » est utilisé, pour désigner un criminel particulièrement odieux.
Le changement dans le métier n’a pas porté que sur l’image. La production aussi est à l’ordre du jour. La vente de viande brute a sensiblement baissé ces dernières années, mais elle est compensée par les viandes cuisinées et des préparations charcutières toujours plus élaborées. Les bouchers charcutiers se sont bien accaparés l’activité traiteur, c’est pourquoi les cuisiniers les rejoignent en nombre croissant. Restés ouverts pendant les confinements, ils ont développé la vente de plats à emporter, créant une habitude nouvelle, celle de pousser chaque jour la porte du magasin.
Le boucher flexitarien
Jean-Luc se déclare fléxitarien, autrement dit il privilégie une moindre consommation de viande, mais de bonne qualité. Il est ouvert à la cause animalière, sauf lorsque ses ayatollahs détériorent les boucheries et s’en prennent physiquement aux professionnels. Un autre domaine lui tient à cœur, c’est celui de la féminisation de la boucherie artisanale. Longtemps, la présence des femmes se limitait à la fonction d’étalière, une activité qui a aussi considérablement évolué, la qualification de « préparatrice », est devenue plus pertinente et elle attire de nombreuses jeunes filles en apprentissage. La grande nouveauté, c’est la présence de plus en plus de femmes dans la production. Le travail de la viande ne les effraie plus, tout comme le management d’équipes de garçons bouchers. Jean-Luc n’est pas peu fier de compter dans le comité de sa corporation sept femmes sur quinze membres !
Son engagement dans son métier, lui a valu d’être sollicité par ses collègues pour les représenter à la Chambre de métiers. Aux élections consulaires de 2005, Jean-Luc figure sur la liste de Bernard Stalter et il est élu membre titulaire, le début d’une autre existence.
Jusqu’à la présidence de la Chambre de métiers d’Alsace
Jean-Luc se fait vite remarquer par son assiduité aux réunions, l’intérêt des questions qu’il pose et des suggestions frappées du sceau du bon sens. Ce qui n’a pas échappé à Bernard Stalter, prompt à détecter des compétences et à s’en entourer pour faire avancer l’action consulaire au pas de charge, qui était le sien. « Quand je lui ai relaté les problèmes de mon métier, Bernard m’a toujours accordé son écoute et il a recherché des solutions, chaque fois que c’était possible, comme l’extension et la modernisation du laboratoire de boucherie-charcuterie du CFA d’Eschau ».
Aux élections consulaires de 2015, la liste de Bernard Stalter est réélue et Jean-Luc monte en grade en devenant vice-président de la CMA au titre de la section du Bas-Rhin. Il siège dorénavant au comité directeur, l’exécutif de la compagnie consulaire.
La complicité entre les deux hommes se renforce encore, à tel point que Bernard Stalter, voit en son vice-président, un possible successeur, à un horizon indéfini, dont il ne pouvait, hélas imaginer la proximité. Au printemps 2020, alors que le coronavirus fait rage, Bernard le contracte et est hospitalisé en réanimation. Il ne se réveillera plus. Sa disparition brutale a résonné comme un coup de tonnerre, dont l’écho s’est répandu bien au-delà du monde de l’artisanat, car son aura était grande et sa destinée loin d’être achevée. Jean-Louis Freyd propose alors à ses collègues du comité directeur de confier à Jean-Luc la présidence intérimaire jusqu’aux prochaines élections consulaires. Celles-ci sont fixées au mois de novembre 2021 et Jean-Luc, après une réflexion de 48 heures et le soutien de son épouse Pascale, décide de monter une liste, qui obtient les suffrages des artisans. Le voilà président de la Chambre des métiers d’Alsace, la boucle est bouclée !
« On était alors en plein confinement, j’ai été dans le bain tout de suite, pour aider les entreprises à trouver les moyens de s’adapter et de survivre, dans une situation inédite. Parallèlement, se poursuivaient les tractations pour la représentation de l’artisanat à l’échelon de la région Grand-Est », se souvient Jean-Luc. La pandémie a changé le monde et de nouveaux défis s’imposent à l’artisanat, dans les domaines du climat, du numérique et de la formation. Sur chacune de ces priorités, Jean-Luc Hoffmann relève que « la crise sanitaire a accéléré considérablement des processus, qui étaient déjà en cours. Notre rôle, à présent, est d’aider les artisans à se les approprier, et surtout à les maîtriser. La mandature en cours, qui s’achèvera en 2026, va dans ce sens ».
A la sortie des confinements, l’artisanat a bien rebondi. Celui du bâtiment a le savoir-faire dans le domaine du développement durable, la production a tout à gagner d’une réindustrialisation du pays, l’alimentation et les services ont joué à fond les atouts du locavore et de la proximité. Mais, très vite, et avant même que se profile cette terrible guerre d’Ukraine, le secteur redoutait déjà la pénurie de matières premières et s’inquiétait des difficultés de recrutement dans un grand nombre de métiers, malgré une augmentation sensible du nombre d’apprentis, plus de 5500 actuellement.
S’il fut un temps, où l’artisanat allait son bonhomme de chemin, sans trop se soucier de sa perception des médias, du grand public, ou de la considération des institutions, Bernard Stalter a sérieusement secoué cet état d’esprit bon enfant, à sa manière, à la fois offensive et tout sourire, pour hisser son secteur de prédilection au cœur de la société. Dans le monde de l’entreprise, l’artisanat détient une image très positive et pour la conserver, il convient de l’entretenir en occupant le terrain. Jean-Luc Hoffmann a bien retenu la leçon de Bernard Stalter, et au mois de janvier dernier, il a divulgué un nouveau concept, projet phare de la CMA pour 2022.
Le marque « Artisanat d’Alsace »
La marque « Artisan d’Alsace » déposée à l’INPI s’appuie graphiquement sur le « A cœur » porté par la Collectivité européenne d’Alsace et l’Adira, partenaires de ce nouvel outil de communication. Les objectifs de la marque, consistent à promouvoir le savoir-faire, à valoriser l’attractivité de l’artisanat et booster les talents régionaux. « La main qui transforme l’idée » est plus qu’un slogan, c’est une synthèse des intelligences opératives et intellectuelles, qui est le terreau, sur lequel l’artisanat s’épanouit. S’approprier ce label d’excellence, suppose d’être immatriculé au registre des entreprises au moins depuis 3 ans. Le métier exercé doit être l’activité principale et avoir un lien fort avec la région Alsace. Les critères exigés portent sur les performances des postulants dans les domaines économique, environnemental, social et digital. Sont également retenus, les efforts de formation et de transmission bref, toutes les priorités d’actions de la CMA pour la mandature en cours. Les candidatures sont validées par un comité d’accréditation, composé d’un représentant de la CMA, d’un représentant de l’organisation professionnelle, dont relève le métier du postulant et d’un représentant de l’Adira. Rejoindre la marque, c’est bénéficier d’une plus grande visibilité sur internet et les réseaux sociaux et répondre aux attentes des clients en puissance, qui aspirent à consommer « responsable », en soutenant les entreprises locales.
Jean-Luc Hoffmann remarque que « des labels et des marques, il en existe déjà un certain nombre, mais nous voulions avoir la nôtre propre aux 250 métiers, relevant de l’artisanat. En nous associant à la marque Alsace, on s’appuie sur l’existant tout en affirmant notre identité ». Les actions développées par la CMA sont généralement bien suivies par ses ressortissants. La grande diversité des métiers, n’empêche pas l’émergence d’un esprit de corps spécifique à l’artisanat. Il le doit aux corporations, certes plus ou moins affaiblies par la décision du Conseil Constitutionnel, abrogeant leur caractère obligatoire, mais qui poursuivent leur travail fédérateur :« quoi qu’il en coûte », c’est le cas de le dire !
Inscrire les restaurateurs à la Chambre des métiers
De son propre chef Jean-Luc Hoffmann soulève la question controversée de l’inscription des restaurateurs au répertoire des métiers. Longtemps impossible, pour cause de code NAF et de l’opposition des organisations professionnelles, UMIH nationale en tête, cette perspective est aujourd’hui juridiquement possible. Elle pourrait notamment donner un second souffle aux titulaires du titre de maître-restaurateur, qui s’essouffle singulièrement, depuis que la carotte fiscale lui a été enlevée. Cette question, selon Jean-Luc, est à débattre avec les organisations professionnelles, si toutefois elles le souhaitent !
Si le président de la CMA a une haute idée de sa fonction, il en mesure aussi la relativité ! « Lorsque je franchis le seuil de cette vénérable maison, riche de ses 122 années d’existence, je sais que d’autres avant moi ont donné le meilleur d’eux-mêmes. A mon tour d’essayer d’en faire autant, et de transmettre demain, ce que j’ai reçu, car ce qui compte, au-delà des péripéties humaines, c’est que vive l’artisanat ».
Enfin, Jean-Luc se définit en trois mots, « le travail qui m’a permis d’arriver où je suis, l’humilité car rien n’est jamais gagné et la reconnaissance, car tout seul on ne fait rien » !
Maurice Roeckel