Cette semaine, le beau temps est revenu, un temps de saison en quelque sorte. Le vent a chassé les nuages noirs, laissant dans un ciel de traîne quelques restes laiteux de vapeurs éphémères. En ce début du mois de juin, les gelées ne sont plus à craindre : je repique le basilic, les capucines et quelques plants de tomates encore fragiles. Mes semis de courgettes et de potimarrons sortent enfin de l’humus, déployant leurs feuilles sur les tas de fumier compostés. Je les vois chaque jour grossir, couvrir l’espace avant l’apparition des herbes indésirables.
Le lilas blanc achève seulement sa floraison, dominant les lis de collection, qui viennent fièrement présenter aux pollinisateurs leurs curieuses et insolentes fleurs. L’estragon, la livèche, les menthes, la pimprenelle, les origans sont en pleine forme. Je plante bien tard, penserez-vous à raison mais, dans ma retraite montagnarde, à 900 mètres d’altitude, les conditions ne sont pas les mêmes qu’autour de Strasbourg ou de Colmar: je vis dans un autre monde, observant de mon nid d’aigle la plaine d’Alsace.
Mais qu’est ce donc que du foin ?
La cuisine au foin est connue de longue date. En Bretagne, l’andouille de Guéméné est cuite dans du foin. Dans le massif central le jambon sec est infusé 20 heures dans le bouillon chargé de plantes sèches. Plusieurs fromages sont affinés dans les bonnes herbes sèches des prés pour leur donner corps et arômes.
Les recettes sont nombreuses, simples, originales et bon marché. Il existe des sirops et des gelées de foin. Le premier est original pour agrémenter en apéritif un crémant ou un vin sec, réaliser quelques desserts à la saveur des prés. Avec un fromage fort de type Munster, la gelée de foin renforcera en bouche le côté “étable” de la préparation ! Essayez, c’est vraiment intéressant !
Mes amis adorent les coquelets cuits dans du foin. La recette est vraiment très simple : enduire des coquelets d’un peu d’huile, saler. Mettre du foin dans une terrine en terre, poser les tendres volatiles et recouvrir de foin. Lutter la cocotte. Enfourner 45 minutes à une heure. Les poussins cuiront dans leur propre vapeur et les succulentes chairs s’enrichiront des parfums du foin. La magie de ce plat atteindra son paroxysme quand vous ouvrirez à table le couvercle de la terrine !
Allez au Valtin découvrir le poulet en croûte de foin chez Philippe Laruelle ou à Baerenthal vous régaler avec le jambon de cochon de lait cuit sur un lit de foin de Jean George Klein : dans ce plat, le foin à vraiment gagné toutes ses lettres de noblesse.
Le foin se conserve aisément une bonne année, dans un sac en papier ou en botte. Pour vous en procurer, demandez à un gars du village ou à un paysan en train de faner, il vous en donnera bien un petit peu ! Sinon, pour quelques euros achetez une botte. Choisissez-la, réalisée de façon artisanale sur des prés que vous connaissez car vous pourriez tomber sur un foin de friche ou de jachère à peine bon pour donner aux ânes, ou trouver dans votre assiette de la terre, car de puissantes machines raclent un peu trop les champs. L’idéal est de faucher vous-même quelques arpents sous les arbres de votre verger. Laissez le soleil boire l’eau des herbes puis mettez en sac le foin tassé, c’est comme cela que je procède.
L’an dernier, au salon de l’Agriculture à Paris, j’avais programmé une recette employant du foin. Mais je l’avais oublié en Alsace. Je suis donc allé dans une jardinerie-animalerie pour en acheter et là, quelle ne fût pas ma surprise car une bonne douzaine de sortes de foin garnissaient les rayons ! Je ne savais pas que les possesseurs de hamsters, cochons d’Inde et lapins d’appartement était aussi exigeant quand à la qualité du fourrage. De véritables crus étaient vendus en sac de 2 à 10 kg. Des saveurs des Alpes du sud, du foin des Causses, des Pyrénées ; d’autres coupés ” à la main” à 1200 mètres, des fibres longues, des regains, des foins enrichis de serpolet ou de menthe, séchés naturellement ou en étuve, même des bios, compressés ou en vrac ! Bref, je me suis régalé !
Etonnante, la cuisine aux foins confère aux mets un goût typique et un parfum suave. Elle est l’œuvre de la nature et du cuisinier. Elle reflète le travail du paysan. Alors, ne soyez pas vache ou “bête à manger du foin”, essayez et régalez-vous.
Quel superbe mois de juin. Il est 10 heures, le ciel est bleu, le soleil monte. Une douce bise vient m’apporter le parfum de foin coupé, quelle belle journée en perspective, je vous laisse…
Par Daniel Zenner