Partir en mission en Allemagne ne me réjouissait guère. Côté gastronomique je m’entends. Car des villes comme Berlin, Frankfort ou Köln sont infiniment plus agréables à vivre – malgré leur collossalle taille – que la plupart de nos grandes villes françaises. Et côté architecture, musées, parcs, pistes cyclables et respect de l’environnement, on en prend plein les mirettes…
Mais côté gastronomique, j’angoissais. Car un des plus mauvais repas de l’année, je l’ai vécu à Berlin, en juillet, dans une réputée brasserie. J’avais commandé la “Kalbsschnitzel Berliner Art”. Entendez: l’escalope de veau à la mode berlinoise. Bien mal m’en a pris car cette viande excessivement panée et grasse, surmontée d’oignons frits, baignait dans une sauce sucrée, dont je n’ai malheureusement pas pu identifier les ingrédients. Heureusement que la grappe de groseille réglementaire ornait la délicatessen. J’aurai préféré une fraise Danoise croquante et sentant le concombre, cultivée hors sol à grand renfort de pesticides et d’intrants chimiques, mais on ne m’a pas laissé le choix.
Après avoir pris en pleine face la minéralité ciselée en clair-obscur de la cathédrale de Cologne, j’échoue dans une brasserie réputée. Je voulais du calme, c’est raté. Le volume sonore de cinq cent personnes dînant est impressionnant. Les lumières jaunâtres d’ampoules blafardes éclairent les boiseries noires. Une armée de serveurs trace entre les tables, parmi les affamés cherchant un espace où se poser. On se pousse, on se cale les fesses, assis à la hussarde sur un banc en bois sans coussins.
Sans rien avoir commandé, on nous dépose un verre de 20 cl de bière locale, la “Kölsch” que le personnel de salle, dans un va et vient rapide, transporte dans un grand plateau alvéolé. Le serveur trace un trait noir sur le sous-bock chaque fois qu’il ramène un verre plein. J’apprends par mes voisins de table que tant que le sous-bock n’est pas mis sur le dessus du verre, on nous en servira un nouveau ! Bon, la bière est bonne, légère, désaltérante, peu alcoolisée, peu maltée, finement houblonnée. Rafraichissante, oui, après une journée passée sous les néons des gigantesques halls, c’est bon.
Mais revenons à Köln, dans l’antre bruyante de la “Brauhaus Sion”
Bref retour sur la “gemischter salat” (salade mélangée). Celle-ci m’a beaucoup fait souffrir en Autriche. Elle sévit aussi en Allemagne. Et c’est la même, du nord au sud de ces deux pays. Des carottes râpées, du concombre émincé (même en hiver), des tomates (même en février) et la touche moderne: du chou chinois totalement dépourvu de goût. La vinaigrette est exactement la même dans les cent mille gargottes qui servent la gemischter salat. Blanche, acide, sucrée, d’une consistance semi-épaisse, un peu gluante et fortement glutamatée. Je suis certain que ce genre de restaurant possède une citerne de cette vinaigrette. Des camions-containers en inox sillonnent les autoroutes allemandes et autrichiennes pour remplir ces citernes. C’est pas possible autrement.
Donc, j’en ai marre de cette salade, pourtant c’est le seul plat de la carte qui frôle le diététique. Mais il faut me décider. Je commande donc la saucisse au mètre, environ 25 cm. J’hésite, pour l’accompagner entre un rouleau de seigle (?), une salade de pommes de terre “faite maison”, ou un chou de milan et des pommes de terre sautées. Vu l’intensité sonore du lieu, nous aboyons donc fortement notre commande au serveur. Ce soir là, je me suis nourri, c’est tout.
Le lendemain, il me fallait encore dîner. A nouveau, je n’ai pu refuser une invitation: celle d’aller dans une autre Brauhaus. La carte contenait à peu de chose près, les identiques spécialités de la brasserie de la veille. J’ai donc opté pour une escalope de veau pannée, avec confiture de groseilles s’il vous plaît et patates sautées comme le veut la tradition. Dans les deux cas, je ne prends jamais de dessert car entre les “Biennentisch” décongelés, les crèmes brûlées (en français sur la carte), les meringues et glaces industrielles au coulis de myrtilles…
Troisième soirée à Köln
Cinquième jour. Ouf, ce soir, je suis invité dans une soirée VIP. Quatre cent personnes sont présentes. Le lieu est génial, implanté dans une usine désaffectée rénovée. Les buffets sont nombreux. Je goûte quelques trucs insipides, ça va pas recommencer? Je prends une cuisse d’une volaille fermière trop cuite accompagnée d’une drôle de boule de la taille et de la consistance d’une balle de tennis. Pour la couleur verte, j’aurais du prendre “aux épinards”. La boule est difficilement coupable: il s’agit de knödel, une pâte de farine et quelquefois d’œuf, puis cuite dans de l’eau ou dans du bouillon pour les plus chanceux. Dedans, on peut ajouter des quetsches, du poulet mixé, de la viande bouilli ou autres délicatessen. Mais attention, ne tentez jamais d’avaler un Knödel, même bien cuit, d’un seul coup, à l’instar des Danois qui gobent entier un hareng mariné. Ce serait du suicide, car la boule peut se coincer dans l’œsophage et vous finissez à coup sûr la soirée aux urgences. Si la boule arrive dans l’estomac, là aussi il y a danger, car nos sucs gastriques de français ne sont pas prêt à digérer un knödel.
Par méfiance, je n’ai donc quasiment plus rien mangé durant la soirée…
Découverte d’un restaurant japonais
Sur les marchés ou dans les superettes allemandes, je suis toujours surpris par la qualité des fruits et des légumes proposés: frais, nombreux, on trouve une dizaine de variétés de carottes, pleins de graines germées, des herbes fraiches en quantité. Pourquoi mange-t-on si mal et fondamentalement anti-diététique dans la cuisine populaire? Enlevez à la cuisine allemande les patates, les oignons, le porc, la crème, la farine et les oeufs, il ne vous restera pas grand chose… Côté poisson, c’est aussi la catastrophe. Le saumon industriel y est roi. Les harengs trouvent leur place en conserve. Le vinaigre dissout les arêtes calcaires.
Il y a quelques années, je suis allé cuisiner dans un restaurant du côté de Brême, tout au Nord. Pendant trois jours, à l’occasion d’une semaine alsacienne, j’ai pris les commandes des fourneaux. J’ai réalisé entre-autre une matelote à l’alsacienne. Prudent, j’ai emporté de France tous mes poissons dont quatre kilos d’anguilles vivantes. Quand j’ai déballé mes anguilles, tout le monde s’est sauvé: la patronne, le personnel de salle, la plongeuse et…les cuisiniers. Ils prenaient mes anguilles pour des serpents!
Puis j’ai commencé à les saigner et à les dépouiller. Le sang giclait sur les murs car l’animal se débattait. Ecorchée, étêtée, les tronçons d’anguilles remuaient encore dans la casserole. On m’a regardé comme un monstre sanguinaire…
Sachant que j’allais à quelques kilomètres de la mer du Nord, je n’ai pu m’empêcher d’aller dans un “Métro”. Quelle ne fût pas ma surprise, car je n’ai vu dans cet immense magasin aucun poisson frais entier. Tout était sous-vide, surgelé, portionné, fileté. Les Allemands ont peur de l’anisakiase, charmante bestiole qui fera l’objet d’une future chronique.
Une énigme: en Allemagne, les oeufs sont blancs et vendus par dizaine. Si quelqu’un peut me dire pourquoi, je l’invite à partager avec moi deux mètres de saucisse “In Kölner Art” avec une confiture de framboise acidulée et une touche, juste pour le fun, de “Cumberland Sauce”
Mais il reste de l’espoir, car de l’autre côté de la frontière les bonnes tables macaronées fleurissent et je suis certain que l’on se passera bientôt, entre bons amis, l’adresse de bonnes auberges de campagne tenues par nos amis Allemands.
Par Daniel Zenner