L’automne est bien là et j’ai envie d’une saucisse de Morteau. Je vous en parle souvent de la Morteau car c’est une de mes saucisses préférées. Avec l’andouille de Guéméné, la 5A, la sèche de l’Ardèche, le chorizo cular du pays Basque et toutes les autres. Mais la saucisse de Morteau n’est jamais sèche. Cuite dans les règles de l’art, elle fond dans la bouche. Elle possède une jutosité à nulle autre pareille. Son grain de hachage est assez gros, mais la farce est bien liée. Le goût du bon cochon et des épices se marient avec bonheur à celui de la fumée de résineux. Heureux les adorateurs du Roi Cochon qui gambade sur les plateaux du Haut Doux, nourri de céréales, pommes de terre et petit-lait, sous-produit issu de la fabrication du Comté, Morbier, Mont d’Or et autres délicatesses.
De passage en Franche-Comté, je me suis arrêté début novembre à Pont de Roide pour aller rendre visite à Marc Schneider, Alsacien de souche, installé en ce beau pays depuis deux ans. Il a repris en compagnie de Marina, son épouse originaire de Lituanie, les rênes de la Maison Barbier. Et cet ancien industriel du bois a raflé en 2010 la Morteau d’Or et en 2011 la Montbéliard et la Morteau d’argent. En sa compagnie, je visite les ateliers et suis surpris de la connaissance qu’il a acquise en deux années dans le métier de boucher-charcutier. Comme si il était né dans un poussoir à saucisses ! Et notre bougre d’homme, avec sa bonne bouille exporte ses saucisses à Londres et dans des restaurants de Ducasse !
Elle se trouve plus rarement sous le Label Rouge. Nos voisins charcutiers produisent annuellement 4500 tonnes de cette grosse saucisse, fumée exclusivement à la sciure de sapin enrichie quelquefois d’un peu de bois genévrier. Appelée aussi “Belle de Morteau” ou “Bonne saucisse”, les chairs du roi des animaux, exclusivement de la gorge qui apporte le gras (environ 22% dans le produit fini) et de l’épaule, sont désossées, découennées, parées, dénervées puis hachées et assaisonnée d’ail, d’échalotes, cumin, coriandre, muscade, etc. Chaque artisan possède sa propre recette. Marc ajoute un peu de vin du pays dans la “mêlée” Il faut que le cochon provienne de Franche-Comté, qu’on lui est lu au moins une fois dans sa vie “Les trois petits cochons”, que la saucisse pèse entre 330 et 500 grammes, qu’elle soit fumée au bois de résineux et dans un Tuyé s’il vous plait.
La farce est embossée de suite dans un beau boyau. Plus celui-ci est gros, plus il est cher. Les Morteaux industrielles avoisinent les 330 grammes car vous l’avez compris, le boyau est cinq fois moins cher que le plus gros, dans lequel vous pouvez présenter des saucisses de 500 grammes. Celles-ci sont d’ailleurs meilleures car elles mâturent mieux, passent plus de temps dans le fumoir (36 heures minimum) et gardent ainsi meilleure jutosité et fort bon goût. Les gros saucissonniers ne s’amusent pas à découenner et à parer la viande, qui arrive souvent surgelée. Tant pis pour eux, ils n’auront pas de médaille !
Le boyau donc est fermé à une extrémité avec la fameuse cheville de hêtre et de l’autre avec une ficelle, pratique pour suspendre l’œuvre. Puis vint la phase du ressuyage, opération qui consiste à laisser les saucissons tranquilles une bonne nuit ou plus, afin que ceux-ci perdent l’excédent d’eau. Durant cette opération, l’alchimie du goût naît. Puis vint la mise au fumoir, nommée “Tuyé” en ces contrées. Il s’agit d’une immense cheminée en planches, de forme pyramidale, de douze à quinze mètres de haut, connue dès le 16ème siècle. Autrefois, il s’agissait de la pièce de vie dans laquelle les salaisons, provisions hivernales, étaient mises à fumer. Déjà, il y a deux mille ans, les Romains se délectaient à Rome de ces salaisons et fumaisons. Au sous-sol, la sciure est étalée en une couche de dix à vingt centimètres. Elle se consume pendant plusieurs jours, doucement, en dégageant un minimum de calories. Il s’agit du procédé appelé ” fumage à froid” par opposition à celui réalisé à chaud.
Les pièces suspendues dans le fumoir prendront leur belle couleur dorée plus ou moins vite suivant la température extérieure. Plus il fait froid, moins la fumée se fixera et pénétrera les chairs. Le boyau naturel possède la faculté de respirer : il est poreux, laisse entrer la fumée et sortir l’excédent d’humidité. Cette œuvre d’art est ensuite laissée un petit moment tranquille puis mise en vente. Elle se conserve plusieurs jours à température ambiante, mais perd de sa jutosité si l’on attend trop.
Enfant, j’ai été nourri de “pommes à la sauce” spécialité que ma mère avait héritée de sa mère Belfortaine. En voici la recette : Laissez frémir tendrement vingt minutes la Morteau dans un super court-bouillon contenant oignons, gousses d’ail, poireaux, carottes, céleris, clous de girofle, baies de coriandre et poivre en grains, feuilles de laurier et branches de thym et romarin. Réaliser un roux brun, technique de liaison de l’ancienne cuisine (le beurre noisette et la farine grillée donnent un goût unique). Passer le bouillon sur le roux afin que celui-ci prenne une consistance d’une sauce pas trop épaisse. Ajouter du poivre et un peu de sel si besoin, puis des patates crues coupées en gros cubes. Mettre l’ensemble dans une cocotte en fonte, au four chaud pendant trente minutes. Ajouter sur le dessus, quelques minutes avant de servir, la Morteau coupée en épaisses tranches. Écraser dans votre assiette les patates et la sauce. Accompagner d’un savagnin de bonne maison. Du bonheur vous dis-je ! Un plat que ma petite famille adore, au creux de l’hiver…
Traditionnellement, les Alsaciens ont toujours ajouté parmi les nombreuses garnitures de la choucroute, la saucisse de Montbéliard. Nos charcutiers alsaciens n’ont aujourd’hui plus le droit de la fabriquer, du moins de la vendre sous ce nom, car celle-ci est protégée par une IGP. Mais on a le droit de fabriquer en Franche Comté des Knacks, car celles-ci ne sont concernées par aucune législation. Sur sept porcs consommés en Alsace, un seul est produit sur nos terres : la partie n’est pas gagnée pour l’IGP !
Je contemple les saucissons secs dont un pavé au vin jaune, moulé et sans boyaux. Le brési quand à lui est un jumeau de bœuf, salé et fumé. Je goûte : succulent ! On dirait de la viande des grisons. Émerveillé, je regarde dans le Tuyé les “Jésus”. Même farce que la Morteau, mais embossés dans le même boyau qui sert à abriter les plus beaux chorizos (le gros intestin) Cette saucisse était servie traditionnellement à Noël. Des jambons entiers et de gros jambonneaux pendent dans le brouillard acre de la fumée de résineux. Ils sont salés au sel sec et injecté par la veine fémorale puis laissé dans un sel d’Azalé (sel de mine du mali) durant quatre mois (sous-vide). Ils passent ensuite 36 heures minimum au Tuyé.
D’autres grosses saucisses patientent dans les frigos : même farce que les Morteaux mais elles n’ont pas droit à cette appellation car elles comportent du chou cru, des champignons ou du Comté. Pour terminer, une spécialité de la maison : la saucisse “Rudi-Pontaine”, nom des habitants de Pont de Roide. Elle est réalisée aux trois viandes (porc, bœuf et veau)
Si vous passez à Arbois, aller à “La Finette”, une authentique taverne exclusivement dédiée à la gastronomie Franc-Comtoise. Du bonheur avec un superbe poulet fermier aux morilles et vin jaune (18€
la fondue au Comté, la saucisse de Morteau sur pommes vapeur et cancoillotte chaude, etc. Même les simples patates sont délicieuses et une belle sélection de vin de pays est présente sur la carte. Sinon allez au Grapiot à Pupillin : cuisine gastronomique abordable aux accents du terroir avec une carte des vins qui honore les nectars du Jura. Pour les fins gourmets, allez-vous restaurer chez Jean Paul Jeunet bien sûr ! Et profitez d’une belle région aux portes de l’Alsace. Eviter d’aller dormir au “Castel Dalamandre” à “Les Planches près d’Arbois” Une véritable catastrophe !Maison-Barbier.fr