L’adjectif « aromatique » est employé à tort et à travers, de sorte que l’on en vient à ne plus savoir la différence entre les aromates et les épices, à ne plus savoir ce qu’est un condiment, et que même la notion d’assaisonnement, cruciale en cuisine, devient floue. Devant écrire le menu, le chef hésite. Le pire, c’est bien sûr de confondre la saveur et l’odeur, et les deux précédents avec le goût, mais nous avons déjà donné des explications précédemment. Ici, avant d’examiner les sens des quatre mots donnés dans le titre, on se contentera de redire que l’odeur est une partie du goût, que cette odeur soit sentie quand l’aliment est devant le nez, ou bien qu’il soit dans la bouche : dans les deux cas, l’aliment libère des molécules qui sont emportées dans l’air et qui viennent stimuler les récepteurs olfactifs, dans le nez.
J’insiste un peu pour être clair : quand on approche une bouchée de la bouche et que l’aliment passe sous le nez, les molécules odorantes qu’il libère viennent dans le nez se lier à des « récepteurs olfactifs », tout comme une clé peut entrer dans une serrure, et ces récepteurs activés émettent un signal vers le cerveau qui décode et nous fait prendre conscience d’une odeur. En bouche, c’est la même chose : quand la bouchée arrive en bouche, et surtout quand nous mastiquons, l’aliment libère des molécules odorantes (généralement les mêmes que dans le premier cas), qui, elles, montent vers le nez en passant par les canaux qui sont à l’arrière de la bouche, et qui nous sont désagréablement perceptibles quand nous « buvons la tasse ».
Bref, les composés odorants sont les mêmes, qu’il s’agisse d’une odeur « anténasale », à partir des narines, ou d’une odeur rétronasale, lors d’une mastication.
Il n’y a donc pas lieu de nommer « arômes » toutes les odeurs… car les arômes sont seulement les odeurs des aromates. Le vin n’a pas d’arômes, mais un bouquet, et il y a des composantes d’odeur ; la viande n’a pas d’arôme, mais une odeur.
Car -on y arrive- les aromates sont des substances odoriférantes appartenant généralement au règne végétal qui exhalent une odeur agréable. Par exemple, le persil, le cerfeuil, le thym, le romarin et bien d’autres sont des aromates. Et leurs odeurs sont effectivement des arômes, puisque ce sont bien des odeurs d’aromates, ou d’herbes aromatiques.
Les épices ? Cette fois, ce sont des substances d’origine végétale dont on se sert pour assaisonner les mets, mais l’épice donne surtout du goût, alors que l’arômate donne principalement de l’odeur, et, mieux encore, de l’odeur anténasale.
Assaisonner ? Il s’agit d’ajouter à un mets des éléments propres à en relever le goût : c’est-à-dire la saveur, l’odeur, la couleur, les caractéristiques trigéminales (piquants, frais). La saveur : elle est perçue par les papilles, qu’il vaudrait mieux nommer papilles sapictives plutôt que papilles gustatives. L’odeur ? Nous savons ce que c’est. Les caractéristiques trigéminales ? Ce sont les sensations données par le nerf trigéminal, un nerf à trois branches qui vient de l’arrière du cerveau et qui irrigue le nez, le palais et la langue, et qui perçoit les piquants et les frais. Et c’est donc en vertu de cette définition que le poivre est une épice, tout comme le gingembre, l’ail, le piment, et nombre de graines : coriandre, aneth, angélique, badiane, anis, cardamome… Evidemment les épices ont aussi des odeurs, mais l’exemple du poivre explique mieux la chose : quand on met des grains de poivre dans un bouillon pendant moins d’une dizaine de minutes, on perçoit non seulement du piquant, mais aussi une fraîcheur, et une saveur… en plus d’une saveur. Manifestement le poivre relève le goût. L’épice donne du goût, alors que l’aromate donne seulement cette composante du goût qu’est l’odeur.
Les condiments, maintenant ? Ce sont des préparations d’un goût prononcé que l’on mêle aux aliments, afin d’en augmenter le goût : le bon exemple, c’est donc la moutarde. Les aromates et les épices sont utilisés comme condiments, mais il y aussi des préparation plus élaborées, comme la sauce raifort et d’innombrables préparations faites à l’inventivité des cuisiniers. Par exemple, je pense à ce mélange de poivron rouge et d’infusion de menthe poivrée, que fait mon ami Pierre Gagnaire, ou bien à cette pâte de citron que sert Pascal Barbot avec sa tarte feuilletée de champignons et foie gras.
Reste donc le mot « assaisonnement » : c’est que l’on ajoute afin de relever le goût d’un mets. Tout peut donc y passer : aromates, épices, condiments.
Par Hervé This